LES GENS QUI FONT PEUR AUX CHATS Markus LEICHT C'est le jour de la lune que les gens qui font peur aux chats se manifestèrent pour la première fois. Ou du moins c'est ce jour là que je remarquai les premiers indices de leur présence. Je pense que s'ils étaient passés plus tôt je l'aurai senti. Car je devine toujours leur passage. Il est des signes qui ne trompent pas. Comme si l'air lui-même était différent. Et puis il y a le chat... Quand je suis rentré, ce soir là, il avait encore le poil hérissé et de petits grognements montaient du fond de sa gorge chaque fois qu'il portait un regard vers la porte. Or, s'il est un territoire de l'esprit sur lequel les chats ne jouent jamais la comédie c'est bien celui de la peur. Je ne sais pas qui ils sont. Ils viennent toujours quand je suis absent, mais ils me font peur à moi aussi. La journée du lendemain s'est déroulée sans incident notable. Pas le moindre signe de leur présence. Cette absence a calmé mes inquiétudes. Cette peur iraisonnée de la veille m'a paru absurde. Le mercredi, ils sont passés une nouvelle fois. Un voisin les a entendus frapper en milieu d'après-midi. Ils ont glissé un papier sous la porte. Il n'y avait rien d'écrit dessus. Pas la moindre trace, pas la moindre tache. Pas la moindre empreinte qui eut pu dévoiler un peu de leur personne. Le voisin, à qui j'en ai parlé, a haussé les épaules. Une plaisanterie de gamins, sans plus, a t-il constaté. Moi, je doute et j'ai peur. Je sais qu'ils existent. Comme lors de leur précédent passage le chat était inquiet. Il n'a même pas voulu que je le caresse. Je n'aime pas cette intrusion de l'inconnu dans mon quotidien. Cela me laisse l'impression d'une menace. Du jeudi au dimanche, les gens qui font peur aux chats ne se sont plus manifestés. C'était comme si l'invisible étau qui se refermait sur moi n'avait été qu'un simple cauchemar. Mais dès le lundi suivant ils sont revenus. Ils avaient de nouveau glissé une feuille de papier sous la porte. Cette fois ci la feuille n'était pas totalement vierge. En bas, à droite, était tracé maladroitement ce que je crus déchiffrer comme la lettre oméga, symbole, dans certaines traditions, de la fin de toute chose. La menace se voulait-elle plus précise à travers ce néfaste message d'avertissement ? Cela commençait à m'inquiéter sérieusement. Qui donc étaient ces inconnus ? Quel but poursuivaient-ils ? Le mardi ils passèrent de nouveau. Je restais chez moi le reste de la semaine pour essayer de les surprendre. Mais ils ne se manifestèrent pas. Comme si soudainement ma présence les dérangeait. Comme si ce n'était pas moi qui les intéressait mais le chat. Etait-ce réellement le cas ? L'idée même n'en était que plus terrifiante. Je me demandais quel lien étrange pouvait s'être tissé en mon absence entre le chat et ces inconnus. Quel pacte terrifiant pouvait les liait. Le lundi de la semaine suivante je suis retourné au travail et bien sûr ils sont passés. Ainsi que le mardi, le mercredi et le jeudi. Le jeudi soir je trouvais une nouvelle feuille de papier glissée sous la porte. Tachée de quelques gouttes de sang encore fraîches. Par contre le chat était très calme. Comme si de nouveaux éléments étaient intervenus dans le mystérieux cérémonial qui se déroulait en mon absence. Toute peur semblait l'avoir quitté. Je ne sais pas pourquoi mais cette constatation me parut plus angoissante que tout ce qui s'était passé jusqu'ici. Je frissonnais toute la soirée. Curieusement les jours suivants les gens qui font peur aux chats ne se manifestèrent pas. Ils ne devaient plus jamais le faire. Ils semblaient s'être totalement volatilisés. Une semaine après leur dernier passage un voisin découvrit dans les greniers les corps affreusement déchiquetés de trois hommes vêtus de noir. D'après le médecin légiste ils avaient été attaqués par un ou plusieurs félins de belle taille. On n'en su pas plus. Aujourd'hui l'affaire est définitivement close. La police a renoncé à découvrir l'identité de ces hommes et les circonstances de leur mort étrange. Mais écoutez mon conseil : Laissez les chats tranquilles. Ne venez pas les effrayer lorsqu'ils sont seuls. Les chats n'aiment pas avoir peur. Et surtout, ne m'obligez pas à me couvrir de ma fourrure et à sortir du tiroir de la cuisine mes griffes d'acier bien tranchantes...