21 JANVIER 1998: Marie-Antoinette au Sahara

Deux désirs s'entrechoquent pour finir par se mélanger une fois encore. Deux histoires, celle de marquis et marquises au XVIIIe siècle tous de redingotes et paniers vêtus, et celle des Touaregs protégés du vent et de la lumière sous leurs turbans, deux histoires réunies par le livre et ses pages· blanches. Cette collection de couture est donc le reflet de cette rencontre improbable venue à l'esprit grâce à un vieux grimoire· aussitôt transformé en redingote. Comme relié de cuir de Cordoue ouvragé, ce livre habille un marquis tandis que les marquises affichent des superpositions de mousselines en débardeur ou chemise. A partir de là tout devient possible et voici que commence la visite de Marie-Antoinette au Sahara·

Visite excentrique s'il en est, hors du temps et de l'histoire, mais actuelle dans ses propositions. Comme silhouette de base, des pantalons courts ou longs, pressionnés-dépressionnés sur le mollet sous vestes sobres ou ouvragées, et chemises. Dessus, le XVIIIe siècle se joue sur le mode redingote ou paniers amovibles, les Touaregs sous turbans. Dans la fidélité à une démarche qui utilise du vieux pour faire du neuf, des lamés, macramés et guipures anciens sont travaillés en application sur tulle ou organza pour des jeux de pièces de vêtements sur des vêtements, des aplats sur des volumes. Superposition d'époques, superposition de genres, Jean-Paul Gaultier n'a pas fini d'explorer ces variations infinies. Autre jeu, le tulle brodé de perles façon Toile de Jouy, un jardin à l'antique et une marine empreinte d'exotisme, mais dont de petits espaces plus transparents, moins perlés nous rappellent l'usure du temps et l'illusion du trompe l'oeil. Inspirés par les pages blanches de son livre, il superpose enfin ici les envols de mousseline qui deviennent débardeur ou chemise d'une transparence que la morale ne peut réprouver. Carrés et rectangles se superposent donc et offrent toujours la possibilité d'être plus ou moins découverte; on porte ces effeuillages toutes voiles baissées ou au contraire rabattues sur les épaules.

De grandes jupes jamais romantiques apportent du mouvement et un sentiment de fête; parfois en cuir coupé à crû. Les pantalons courts s'habillent de vestes de marquis en sobre gabardine de laine ou au contraire pailletées, brodées... Les vestons sont toujours présents, épaulés court, près du corps, "vestes pulls" stretch aussi, cache cþur, ou profond décolleté parfaitement rond. Dessus, le jour, des paniers amovibles boutonnés sur le veston comme des "poches sacs" transforment la vision des volumes du corps, et ces mêmes paniers de Chantilly noire se nouent le soir sur des fourreaux, comme un accessoire que l'on laisserait au vestiaire!

Mais Marie-Antoinette, non contente d'admirer l'impossible horizon saharien, chipe aussi aux Touaregs leur turban qu'elle réinterprète immédiatement en turban voilette de tulle brodé ou de perles de jais. Aux pieds, des mules bien sûr le jour -aussi précieuses que les souliers dans les tableaux de Watteau-, et des nu-pieds le soir.

Le blanc et l'ivoire dominent cette collection pour un été de fraîcheur et le noir vient là rappeler l'éternel chic parisien. Quelques éclats métalliques, un orange cuivre, un bleu acier, un brun mordoré créent la surprise. Quant aux matières, la modernité est dans la souplesse structurée d'un jersey stretch et du crêpe.

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