Les difficultés qu'éprouve la syndicalisation enseignante: 1946-1959
En
1946, en effet, le gouvernement vote la ½Loi pour le progrès de l'éducation╗ qui retire le droit d'arbitrage (par le fait même, le droit de négociation et le droit de grève) aux enseignants ruraux, régime discriminatoire qui se maintiendra jusqu'à la fin des années cinquante. Puis, en 1949, la ½Loi concernant les corporations municipales et scolaires et leurs employés╗ est votée, plaçant les enseignants des villes dans la même situation que ceux des régions, exception faite du fait qu'ils conservent leur droit d'arbitrage. Une baisse des membres s'ensuit, l'adhésion passant de 11 000 membres au plancher historique de 4 000 membres en 1952-53.
Cette loi fait suite à la grève
illégale des membres de l'APCM en 1949 qui revendiquent, entre autres, la parité des salaires avec les enseignants protestants et la hausse du salaire des femmes (gagnant la moitié moins que les hommes). Le gouvernement lui retire du même coup son accréditation, et l'évêché lui retire son aumônier. De longues procédures s'entament alors entre l'APCM et la CECM qui donnent finalement gain de cause au syndicat en 1953, entraînant une loi votée (rétroactive) en riposte interdisant le droit de grève sous peine de perte d'accréditation. En réaction, la CIC crée un fonds judiciaire pour soutenir les poursuites devant les tribunaux. L'ACPM ne recouvre son certificat et les droits qui l'accompagnent qu'en 1959. Pendant cette période, les enseignantes rurales continuent de revendiquer et obtiennent certains accommodements. En revanche, en 1952, 23 commissions scolaires seulement disposent d'une convention négociée avec le personnel enseignant.
Ces difficultés liées aux dissensions au sein de la CIC entraînent la restructuration de celle-ci par le regroupement, en 1953, des fédérations provinciales en fédérations diocésaines mixtes dans le but de négocier avec les 1 500 commissions scolaires existant à cette époque. Par ailleurs, en 1953 toujours, la CIC présente un mémoire sur l'enseignement à la Commission Tremblay. Il en ressort trois constats : l'insuffisance de traitement, l'insécurité d'emploi et les difficiles conditions de travail. Or, seulement quatre conventions de type diocésain sont signées. La mise sur pied d'un service technique en 1955 par la CIC à des fins syndicales (négociations, arbitrage, éducation) donne peu de résultats, ce service jouant un rôle conseil tout au plus auprès des fédérations et des associations locales.
C'est dans ce contexte que la CIC, dans sa tendance syndicale, se replie sur elle-même et fait plutôt des réclamations de type corporatiste (corporation fermée, code d'éthique, serment d'office, recrutement des futurs enseignants, perfectionnement). Certains des points marqués seront repris par les commissaires de la Commission Parent, ainsi qu'on le verra un peu plus loin. Il n'en demeure pas moins qu'au terme de cette période, l'unité des enseignants sur le plan du travail est donc loin d'être un fait accompli. Il en est de même pour la reconnaissance sociale, de telle sorte que Brouillette (1985) peut écrire:
½À la fin des années cinquante, les conditions du personnel enseignant laïque francophone, bien qu'elles se soient améliorées depuis le début du siècle, restent donc bien en deçà de celles de beaucoup de travailleurs et travailleuses syndiqués. Les salaires sont faibles, la sécurité d'emploi inexistante, la qualification et l'expérience à peine reconnue et les conditions d'enseignement très variées. De grandes disparités demeurent entre le personnel enseignant rural et urbain, les femmes et les hommes, les écoles franco-catholiques et anglo-protestantes... (p.23).╗
Les événements se précipitent toutefois. La conjoncture politique favorise en effet un certain progrès au niveau de l'image des enseignants, d'une part. Des phénomènes tels que le développement de la scolarisation et l'augmentation de la demande d'éducation liés à la croissance économique et démographique de l'après-guerre y contribuent en effet grandement. D'autre part, jusque là peu engagés dans le développement du système éducatif, les enseignants accroissent leur participation dans les années entourant la parution du rapport Parent. De plus en plus, le syndicat a droit de cité, l'enseignement est perçu comme un métier honorable permettant de gagner sa vie, de faire carrière, puisque la guerre (Seconde Guerre mondiale : 1939-1945) a montré que les femmes, comme les hommes, à la ville comme à la campagne, mariées ou pas (en milieu rural surtout, les femmes, une fois mariées, n'enseignaient plus, se conformant ainsi à la tradition), constituent une importante force économique.