Le vomac jette coup d'oeil machinal sur le message affichΘ par le minuscule Θcran au centre du panneau de signalisation. Juste pour s'assurer que tout est oquΘ. Puis son regard las se porte sur la sΘrie d'inscriptions qui souille la pΓleur du mur. Il ne rΘalise pas tout de suite. Des lambeaux de nuit obscurcissent encore ses pensΘes. Et quand il Θmerge enfin dans ce qui est devenu son enfer quotidien il ne peut que jurer : "Putan de tigre !" Car il ne connaεt que trop bien la griffe de Fant⌠me Rouge.
Cela fait maintenant 15 jours, ou plut⌠t 15 nuits, qu'il essaie d'Θtauler cet enfoirΘ de fils de pute. Une ronde tous les quart d'heure, entre 22 heures et le lever du jour. Et malgrΘ cela et les systΦmes sensoriels de protection de l'εlot, Fant⌠me Rouge parvient chaque nuit α dΘjouer la surveillance et α poser ses tags sur les murs extΘrieurs des immeubles, ainsi que dans les allΘes et dans les cabines d'ascenseur.
Putan de tigre !
Journal de l'εlot 41 - Responsable Jeff Hesnard (extrait)
15 juin 2032 - RΘdacteur du jour : Jeff Hesnard
Nousotres, α l'εlot 41, on a notre fiertΘ et faut pas croire que Fant⌠me Rouge nous les gonflera longtemps. Merde, c'est qui ce tigre de l'εle 182 qui vient foutre sa zone chez nous ? Nousotres, du 41, si nous lui mettons la main dessus nous lui saturons les circuits α lui et α tous les gonzos du 182.
Ce matin on nous a tous convoquΘ dans le placard du rΘgisseur, moi et les vomacs de la surveillance et de l'entretien. Et croyez moi il Θtait pas joyce, le vom. Il nous α dit :
- Vous dormez la nuit, ou quoi ?
Moi je peux vous dire qu'on dort pas. La Martinez et Bernard ne quittent pas les ΘlectroΘcrans des yeux et nousotres, les trois vomacs qui travaillent sous mes ordres et moi-mΩme, on tourne toute la nuit. A croire que ce putan de tigre a rΘussi α se mettre en phase avec l'εlot. Le vom dit que c'est pas possible. Moi je sais pas. Je suis pas ingΘnieux. Il faut voir, je dis.
Alors j'ai proposΘ :
- Yaka mettre des yeux partout.
Le rΘgisseur il Θtait toujours pas joyce. Il a rΘpondu : "Pour que des gonzos nous les cranchent comme la derniΦre fois."
Faut reconnaεtre qu'il a pas totalement tort. 48 plaques de matos envolΘes τa vous crible les neurones. Mais je voyais pas ce qu'on pouvait faire de mieux.
Mais le grand vom il est jamais en panne d'idΘes. Un vrai cube!
LE PROGRES - Edition Lyon-Presqu'εle - 16 juin 2032. Hier, en fin de soirΘe, la police a du intervenir, rue Franklin, α hauteur de l'εlot 41, pour porter secours α un vinard agressΘ par les ilotiers du service de sΘcuritΘ. "Il s'agit d'une regrettable erreur", a expliquΘ Monsieur Hesnard, responsable de la surveillance du 41. "Nous avons cru qu'il s'agissait du tigre que nous essayons de marquer depuis deux semaines..."
Journal numΘrique de Serge Mailler (ex-Θtudiant et zoneur)
"Wosh ! 3 carres de MΘtox et tu dΘcolles en moins d'une minute. C'est Johnny qui m'a vendu la boite. Un copain de Martine. Il parait qu'avec τa tu traverses la nuit en premiΦre... Pourvu que je voyage pas trop, quand mΩme. Pour le moment τa va, je suis cool. Fin prΩt pour affronter la longue nuit qui s'annonce. Cette fois-ci on l'aura l'enfant de salaud qui dessine ses fant⌠mes sur nos murs. Le vom principal a promis 3 jours de loyers en moins aux participants de la chasse et un mois gratis pour celui qui Θpinglera le tigre. On est une douzaine α participer au grand safari, en plus des mecs de la surveillance. Pas le pied avec les vomacs. Ils se prennent pour des chefs mais ce sont des cons, y compris Hesnard-Dieu-le-pΦre. Mais 3 jours de loyer c'est toujours bon α prendre. Waouh ! Je goberais bien un ou deux MΘtox de plus mais ils vont voir tout de suite que j'ai avalΘ quelques carres et ils en profiteront pour me renvoyer chez moi."
***
Jeff Hesnard pose un long regard sur les hommes. Ses hommes. Car cette nuit c'est lui le vom. Avec τa il a pas intΘrΩt α dΘcranter. Sinon il va dinguer sacrΘ. Et avec cette bande de crΘtins de premiΦre ce sera pas du tout cuit.
- Je veux un homme de garde dans chacune des onze allΘes de l'εlot. Celui qui reste fera partie de la patrouille.
Hesnard jette un dernier regard sur le troupeau qui se tient devant lui.
- Toi, dit-il, en dΘsignant un costaud dont le visage dΘgouline de sueur, tu tournes avec nous. Les autres, au pas de jog, vous vous installez chacun dans une allΘe. Et pas question de dormir.
Allez... Bon... Nous on se tape le schΦme habituel. Le nouveau avec moi, les trois autres en sens inverse.
Tandis que les hommes s'Θloignent Jeff affranchit son compagnon de ronde :
- Tu t'occupes pas des putes. Y'en a trois. Jusqu'α une ou deux heures. AprΦs elles rentrent se pieuter... Parfois elles nous branchent pour discuter le bout de gras mais elles sont pas mΘchantes... Tu te contentes de repΘrer les individus un peu zib. C'est pas plus compliquΘ. Jusqu'α deux, trois heures c'est la routine. AprΦs c'est l'heure du tigre et c'est α ce moment la, quand la fatigue arrive, que tu dois Ωtre le plus vigilant. Pas de question ?
L'autre fait non de la tΩte et les deux hommes entament leur ronde.
2 heures.
R.A.S.
Jeff Hesnard essuie la sueur qui coule sur son front.
- Quelle chaleur ! On se croirait dans un micron.
Son compagnon, un italien prΘnommΘ Luigi, porte α ses lΦvres une boite de biΦre.
- Tu crois qu'il viendra, le tigre ?
- Il viendra. ╟a fait deux semaines qu'il tartine sa merde sur nos murs et α mon avis il continuera comme τa tant qu'on l'aura pas Θtauler. Et crois moi, une fois qu'on le tiendra il aura plus jamais envie de recommencer.
Les deux hommes observent quelques rares promeneurs nocturnes.
Depuis que chaque pΓtΘ de maisons s'est transformΘ en zone hyperprotΘgΘe, presque plus personne n'ose sortir la nuit. Ne serait-ce que par peur de dΘclencher les systΦmes d'alarmes ultrasensibles qui interdisent l'approche de la plupart des murs d'une distance de moins de 3 centimΦtres.
La derniΦre pute encore en activitΘ α cette heure de la nuit, adresse un signe de la main aux deux hommes avant de s'Θloigner.
Au bout de la rue Franklin, c⌠tΘ Sa⌠ne, la lueur bleutΘe d'un gyrophare tente de rassurer les derniers noctambules : Allez en paix, braves gens. Votre police veille sur vous.
Moiteur et attente !
R.A.S.
Journal de l'εlot 41.
17 juin 2032 - RΘdacteur du jour : Francesca Martinez, techno∩ chargΘ de la surveillance Θcran.
Bernard dormait sur la couchette tandis que je surveillais les quatre Θcrans de contr⌠le. A intervalles rΘguliers le code biologique de chacun des 5 patrouilleurs s'affichait sur le moniteur n░3.
Parfois un signal lumineux signalait l'approche d'un Θtranger α l'εle. Mais chaque fois il s'agissait d'une fausse alerte. L'Θcran n░2 indiquait 3h47. L'heure du tigre. Il n'allait pas tarder α se manifester. Je me suis dirigΘe vers le distributeur de cafΘ. C'est alors que le signale sonore a retenti. Mon coΘquipier s'est levΘ d'un bond. L'Θcran n░1 signalait un intrus rue CondΘ. On s'est regardΘ. On n'y croyait pas. Jusqu'ici notre tigre n'avait jamais ΘtΘ dΘtectΘ par les senseurs Θlectroniques. J'ai pris le micro.
"Contr⌠le α Patrouille. Alerte du c⌠tΘ de la rue CondΘ. PrΘsence sur Θcran de contr⌠le. Ce n'est peut-Ωtre qu'un greffier mais vaut mieux s'en assurer."
"Bien reτu".
J'ai reconnu la voix d'Hesnard. J'ai coupΘ le micro. Restait plus qu'α attendre le rapport des vomacs.
Journal numΘrique de Serge Mailler.
"J'ai entendu quelqu'un gueuler : "Ca y est. On le tient." Je n'ai pas reconnu la voix.
Avec mes trois carres de MΘtox j'Θtais hyper speed. Je suis sorti de l'allΘe et j'ai couru jusqu'α l'angle de la rue. Les vomacs de la patrouille tabassaient mΘchamment une cloche. J'ai criΘ :
"ArrΩtez. Vous ne voyez pas que ce n'est qu'un pauvre rateau. Vous Ωtes en train de refaire le coup de l'autre soir, avec le pochΘ."
Le type pissait du sang de partout. Il Θtait plut⌠t mal en point.
Hesnard m'a regardΘ puis il est devenu comme fΘlant.
"Putan de tigre!", il a gueulΘ. "Pendant qu'on s'occupe de τui-la l'autre peut tartiner ce qu'il veut. Tous α vos postes. Patrouille au pas de jog".
╟a a ΘtΘ la dΘbandade gΘnΘrale. Je suis retournΘ dans mon allΘe.
Aucune trace de tigs sur les murs du couloir. ╟a m'a soulagΘ.
Je ne tenais surtout pas α recevoir un ticket de la part de Dieu-le-PΦre.
Moins de dix minutes plus tard une ambulance a embarquΘ la cloche, direction l'hosto ou la morgue, j'en sais trop rien."
Hesnard s'arrΩte devant la porte d'une allΘe, l'Italien sur ses talons. Il s'essuie le front puis jette un coup d'oeil autour de lui. Il est 5h35. La rue commence α s'animer.
"Je crois qu'on lui a fait peur. Il ne viendra plus."
Le rital hoche la tΩte.
La nuit est finie.
Journal de l'εlot 41
20 juin 2032 - RΘdacteur du jour : Jeff Hesnard. (Extrait)
Ca fait 4 nuits que Fant⌠me Rouge ne se manifeste plus. Je pense qu'on lui a foutu la trouille une fois pour toute. On ne le reverra plus... Pour moi, Fant⌠me Rouge est mort et bien mort et je suis prΩt α parier qu'on entendra plus jamais parler de lui.
Enfin, voilα un problΦme rΘglΘ une fois pour toute. On va enfin pouvoir bosser en paix...
Un squat ! Quelque part, perdu dans la nuit, peut-Ωtre dans l'εlot 182, sur les pentes de la Croix-Rousse.
Un homme α genoux, le corps penchΘ sur une caisse, examine les microcircuits d'un minuscule appareil. La lampe torche accrochΘe au dessus de sa tΩte projette d'irrΘelles ombres transformant son visage en un masque terrifiant.
"Shot, c'est bien ma veine. D'aprΦs l'IngΘnieux les circuits sont morts et il faudra plusieurs semaines pour rΘparer ce brouilleur. Vraiment tout est pourri. On ne peut mΩme plus faire tranquillement la nique aux bourges. Merde! Merde ! Merde !
Les vomacs du 41 vont pouvoir mettre du miel sur leurs nuits.
Mais j'ai pas dit mon dernier mot... Fant⌠me Rouge reviendra, les vomecs, et il vous en fera encore baver."
La silhouette se redresse, ramasse un fly de peinture rouge qui traεne α c⌠tΘ de la caisse et balaye du pied les pochoirs qui jonchent le parquet pourri. D'un mouvement rapide du poignet il se met α dessiner sur le sol toute une succession de fant⌠mes stylisΘs, faisant suivre chaque dessin de trois chiffres : 1 8 2.
Puis l'homme laisse Θchapper un long rire avant de hurler :
- Je suis Fant⌠me Rouge, les voms. Je suis Fant⌠me Rouge et la ville est α moi... La ville m'appartient... Eh, les gonzos, bougez vous un peu le cul!... La ville vous appartient α vous aussi... La ville nous appartient... RΘveillez-vous les gonzos ! Rebellez-vous ! Demain il sera trop tard. La ville est α nous...
La voix se rΘpercute en longs Θchos morts dans les couloirs et appartements voisins, tous dΘserts.
Et Fant⌠me Rouge n'en finit plus de revendiquer α la nuit sa libertΘ...