LES RÉGIONS MINIÈRES DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE (1880-1920)
Paul Phillips
Vers le tournant du siècle, le front pionnier de l'exploitation minière en Colombie-Britannique occupe les terres rudes, montagneuses, en grande partie inhabitées du sud-est de la province. La région est située à quelque 200 milles à vol d'oiseau de la côte du Pacifique, et elle forme un triangle souvent morcelé par les montagnes qui l'enserrent à l'est et à l'ouest. Ces cordillères séparent le triangle en une série de petites régions, celle de Boundary, à l'ouest, celles de l'Ouest et de l'Est du Kootenay, à l'est. La frontière américaine occupe la base du triangle, qui s'étend sur environ 150 milles, tandis que le sommet en est situé à 130 milles au nord, près de Revelstoke. Cinquante milles plus loin, vers l'est, la frontière de l'Alberta s'étend sur la crête des Rocheuses, et c'est là que l'on trouve une voie de pénétration naturelle dans la région, le Défilé du Nid-de-Corbeau, qui revêt une importance capitale. La région du Défilé nous intéresse, dans cette histoire, car elle est devenue un important centre de production du charbon, tant pour les fonderies de l'intérieur de la Colombie-Britannique que pour les agriculteurs des Prairies.
Plus de vingt-ans après les débuts de la ruée vers l'or du Fraser, vers la fin des années 1850, des prospecteurs indépendants découvrent les richesses minérales des régions du Kootenay et de Boundary. Entre 1880 et 1900, on se précipite vers ce nouveau front pionnier; l'argent y coule à flots. Isolé, ouvert aux régions minières qui bordent la frontière américaine au sud «l'Empire de l'Intérieur", le front minier risque d'être absorbé par l'économie américaine.
Cependant, les ambitions commerciales du Canadien Pacifique aboutissent à la construction de la ligne ferroviaire du Défilé du Nid-de-Corbeau, qui rattache la région à l'économie canadienne. C'est somme toute par hasard que le CPR s'intéresse dans le même temps à l'exploitation minière et à l'affinage, et qu'il s'inscrit dans le courant de l'émergence de la grande entreprise, phénomène de la fin du XIXe siècle. Les travailleurs réagissent à cette concentration de la propriété en créant des syndicats puissants, ce qui contribue à la lutte de classes caractéristique du monde du travail d'alors et d'aujourd'hui en Colombie-Britannique.
À la fin de la Première Guerre mondiale, le région ressemble bien peu au pays isolé et sauvage qu'elle était avant l'arrivée des mineurs. Les campements rudimentaires des débuts sont remplacés par plusieurs grandes entreprises minières et par des villes bien établies, ainsi que par les fantômes d'anciennes villes champignons. Les pages qui suivent sont l'histoire de la transformation du front pionnier de la Colombie-Britannique et de son intégration à l'économie et à la société canadiennes.
On a dit des débuts de la Colombie-Britannique: «c'est l'or qui l'a créée, c'est l'or qui l'a détruite». Il est certain que la recherche du métal jaune a joué un rôle essentiel dans les premières années de l'histoire de la province, avant que les gisements d'or des rivières aient été épuisés. Ainsi, l'arrivée des mineurs dans la région du Kootenay, où l'on avait découvert le précieux métal dans le ruisseau Wild Horse, s'était signalée par la construction de la piste Dewdney, menant vers l'intérieur des terres du sud; néanmoins, dans les années 1870, la région du Kootenay «dormait paisiblement». On savait bien que ces montagnes et ces vallées recelaient d'autres ressources minières, dont les gisements de galène (minerai d'argent-plomb) que la Compagnie de la Baie d'Hudson exploitait pour faire des balles, mais les frais de transport étaient trop élevés pour favoriser la mise en valeur de la région. Quelques mineurs, surtout des Chinois, subsistaient maigrement en cherchant de l'or dans les alluvions aurifères déjà exploitées, mais le nombre d'électeurs, indice de la population blanche permanente, ne dépasse pas quarante-sept en 1877, année où il atteint son sommet.
C'est à l'esprit d'entreprise des Américains que l'on doit la prospérité de la région du Kootenay. L'appât des métaux précieux est à la base de la pénétration au Montana et au Wyoming, et il amène finalement les prospecteurs à franchir le quarante-neuvième parallèle et à découvrir des gisements d'or, d'argent, de cuivre, de plomb et de zinc dans les années 1880 et au début de la dernière décennie du XIXe siècle. La première exploitation d'un filon commence dans la région d'Ainsworth, au bord du lac Kootenay, ou l'on redécouvre des gisements d'argent-plomb en 1882. Le capitaine Ainsworth, de San Francisco, fait quelques tentatives d'exploitation commerciale dans les concessions de la rive ouest, mais il semble n'avoir pas eu beaucoup de succès. Par ailleurs, la mise en valeur de la rive est du lac est retardée par la querelle de la concession Blue Bell, qui aboutit au meurtre de l'un des concurrents et à la pendaison de l'autre. C'est finalement en 1887 qu'un financier américain, W.A. Hendryx, entreprend l'exploitation de la Blue Bell.
L'année précédente, d'importantes découvertes de minerai d'argent-cuivre au mont Toad, près de Nelson, marquent le début de l'arrivée massive de prospecteurs en Colombie-Britannique. Les gisements les plus riches sont ceux des célèbres concessions de Silver King (Silver King, Kootenay Bonanza, American Flag et Kohinoor). À partir du lac Kootenay, les prospecteurs essaiment dans trois directions. Ils suivent la vieille piste Dewdney vers l'ouest, où l'on découvre en 1887 les fabuleux gisements de cuivre-or du mont Red (Rossland). Les concessions les plus célèbres sont les Lily May, Le Roi, Centre Star, War Eagle, Idaho et Virginia. En 1891, on découvre les gisements de cuivre-or de la région de Boundary, située plus à l'ouest. Au nord-ouest, dans les district de Slocan, on découvre des minerais d'argent-plomb-zinc en 1891 tandis qu'au nord-est, dans l'Est du Kootenay, on jalonne en 1892 des concessions pour des gisements du même genre. On constate également la présence des minerais de la région de Boundary, et, en 1894, on a déja commencé à expédier du minerai des concessions Mother Lode, Old Ironsides et Knob Hill, près de Phoenix.
C'est l'époque du mineur indépendant, à la fois prospecteur et spéculateur, qui découvre le minerai, jalonne sa concession et, peut-être avec l'aide de quelques partenaires, entreprend de creuser un puits ou une fosse, s'il s'agit d'une mine à ciel ouvert. Un homme sans moyens peut s'enrichir rapidement pendant le boom, mais celui-ci ne dure guère. En moins de dix ans, les filons à plus haute teneur de cuivre, d'or et d'argent s'épuisent. Dans l'Ouest et dans l'Est du Kootenay, la valeur de la production atteint un sommet en 1901. Dans celle de Boundary, la fonte du minerai plafonne en 1912. Bien avant cette date, la qualité du minerai a commencé à baisser et le coût d'exploitation à augmenter. Il s'ensuit naturellement une tendance à la concentration de sociétés moins nombreuses, mais plus importantes et plus mécanisées.
Pour la première génération de mineurs, envoyer le minerai aux marchés est un problème énorme. On utilise des convois d'animaux de bât, des chariots et des traîneaux de peaux tirés par des chevaux pour transporter le minerai des concessions aux cours d'eau navigables, où des vapeurs à aubes le transportent jusqu'aux fonderies ou jusqu'aux chemins de fer, à celui de Bonner's Ferry par exemple. L'augmentation de la flotte de vapeurs à aubes durant les années 1880 est le résultat direct du besoin de transporter d'encombrants chargements de minerai à l'extérieur de la région, puis d'y ramener des approvisionnements, généralement en passant par les États-Unis, mais aussi en franchissant les lacs Arrow pour rejoindre la voie du CPR à Revelstoke.
C'étaient là des méthodes beaucoup trop ardues pour permettre la mise en valeur sur une grande échelle des importantes richesses de la région de l'Ouest et de l'Est du Kootenay. On emploie deux stratégies en vue d'améliorer les communications économiques et, à l'âge du rail au Canada, on ne doit pas s'étonner de voir que l'une d'elle repose sur le cheval de fer. En 1889, vingt-sept sociétés ferroviaires se sont vu accorder une charte pour pénétrer dans la région du Kootenay et, durant la décennie suivante, vingt autres compagnies sont constituées en corporations. Pourtant, malgré l'enthousiasme des promoteurs et l'appât des intéressants subsides gouvernementaux en espèces et en terres, on ne construit que onze voies ferrées. On termine quand même beaucoup d'embranchements et de voies de correspondance dans la première moitié des années 1890, de sorte que les vapeurs se trouvent reliés aux chemins de fer du Canadien Pacifique, au nord, et à ceux de la Northern Pacific et de la Great Northern au sud de la frontière. Toutefois, malgré les vaillants efforts des Canadiens, la concurrence américaine l'emporte clairement sur le trajet en territoire canadien durant cette période.
Le seconde stratégie économique retenue consiste à fondre ou à concentrer le minerai près de la mine elle-même, afin de réduire le poids et l'encombrement des minéraux à transporter. Cette technique avait souvent été utilisée au Montana et dans l'État de Washington, au début de l'exploitation minière, et lorsqu'on construit des fonderies et des concentrateurs en Colombie-Britannique, c'est avec un important apport de capitaux américains.
Le boom des fonderies, intervenu entre 1895 et 1902, accroît encore l'importance de la région de Kootenay et celle de Boundary, en créant beaucoup de nouvelles villes avec les industries de service que cela suppose. La population passe d'environ 2,000 âmes en 1890 à plus de 30,000 habitants en 1901. Des scieries, des hôtels, des maisons de pension, des boutiques, des banques et d'innombrables débits de boissons surgissent pour satisfaire aux besoins des mineurs et des fondeurs. Les principales villes de la région sont Nelson, Kaslo, Nakusp, Slocan City, Rossland et Trail; leur importance dépend inévitablement de leurs installations de transport ou de fonte. Par exemple, Nelson est fondée sur les gisements du mont Toad vers 1880-1890; la fonderie est construite en 1895 pour être agrandie l'année suivante. Durant ces huit ans, la population va de moins de deux cents à mille habitants. Kaslo est la plus importante ville de l'intérieur des terres, avec une population de 6,000 âmes, dit-on. Son importance économique repose sur l'industrie du transport, du fait de sa situation au point de jonction de la ligne de vapeurs de Spokane et de la voie ferrée de la Great Northern, qui pousse jusqu'à Slocan et aux mines des environs de Sandon. La ville rivale de Kaslo, Nakusp, est située au bord du lac Arrow supérieur; c'est de là que la voie du CPR part pour Sandon et la région minière des alentours de New Denver et de Silverton. C'est à Slocan City, à l'extrémité sud du lac Slocan, que s'arrêtent les rails de la voie du CPR construite en 1896 pour rejoindre Trail. Slocan City, reliée par voie fluviale à New Denver et à des localités du nord, s'ennorgueillit de ses 16 hôtels et cabarets ainsi que de ses douzaines de boutiques. L'ascension et la chute de la «ville de l'or», Rossland, commencent en 1891 avec le dernier envoi de minerai aux fonderies d'Helena et de Tacoma à dos de mulet, par bateau et par rail. Durant les dix années qui suivent, environ 1,000 hommes travaillent aux mines du mont Red. La production débute en 1893-1894 dans la région de Boundary, qui voit surgir des fonderies à Grand Forks (Grandby Company, 1900), à Greenwood (British Columbia Copper Company, 1901) et à Boundary Falls (Montreal and Boston Copper Company, 1901).
La croissance de Trail est probablement le fait le plus significatif de la croissance économique de l'intérieur de la province. Au début, c'est dans le dessein de concurrencer une fonderie que l'on projette de construire à Northport, juste au-delà de la frontière, en territoire américain, qu'un jeune entrepreneur de Butte, au Montana, nommé F.A. Heinze, bâtit une fonderie à Trail Landing, sur la vieille piste Dewdney. Heinze, qui a le contrat d'affinage du minerai de la riche mine Le Roi, construit également un chemin de fer à voie étroite pour acheminer le minerai à partir de Rossland. Sa prévoyance devait jeter les bases d'un empire minier canadien à Trail, devenue en 1897 une ville de 2,000 habitants.
C'est finalement du contrôle des transports que dépend le contrôle du commerce dans le nouvel «empire de l'intérieur» canadien. Le combat oppose les capitaux commerciaux canadiens, représentés par le Canadien Pacifique, et ceux des Américains, dont le chef de file est la Great Northern Railway. En 1891, le CPR achète la fonderie de Heinze, à Trail; la compagnie tente également d'amener le commerce de la région à sa voie reliant l'est et l'ouest, et sa filiale ferroviaire, la Columbia and Western, se porte acquéreur en 1896 de la Columbia and Kootenay Steam Navigation Company, et construit ou achète un certain nombre d'autres voies ferrées. En 1898, elle achète la charte qui autorisait la British Columbia Southern Railway Company à ouvrir une voie reliant le lac Kootenay au Défilé du Nid-de-Corbeau. Dans cette charte, la province cède à la compagnie 3,750,000 acres de terres et presque 4,000 acres de gisements de charbon de la région du Défilé. La Great Northern lutte contre le CPR en élargissant son réseau de tronçons secondaires partant de sa voie principale, dont le centre est à Spokane, avec des lignes qui atteignent Nelson (1895), Grand Forks (1903-1904), Midway (1906), et la région houillère du Défilé (1903-1905). La compagnie américaine contrôle également une ligne de vapeurs axée sur le lac Kootenay. La lutte pour la prédominance commerciale est intense en ce milieu des années 1890.
Le coup de maître stratégique qui aboutit à la victoire finale est préparé dans les bureaux du Canadien Pacifique. Strathcona, Van Horne et compagnie construisent l'embranchement clé qu'est le chemin de fer du Défilé du Nid-de-Corbeau, menant de la voie principale du CPR, dans le sud de l'Alberta, jusqu'à Kootenay Landing, dans l'intérieur de la Colombie-Britannique, en passant par les gisements de houille de la région du Nid-de-Corbeau. Le gouvernement canadien encourage la construction de la voie en accordant d'importantes subventions, de l'ordre de $11,000 le mille. Les historiens s'interrogent encore sur les raisons de la grande générosité du gouvernement. Poursuivait-on simplement la politique nationale de John A. Macdonald, qui aurait encouragé l'intégration d'un front pionnier riche en ressources au coeur de l'économie canadienne? C'est certainement l'effet qu'a eu la subvention. D'autre part, les dossiers du CPR sont clairs: la société ferroviaire aurait construit la voie du Défilé du Nid-de-Corbeau avec ou sans l'aumône du gouvernement. Il est donc plus probable que le CPR s'est vu accorder cette subvention pour accepter la réglementation gouvernementale des tarifs du transport ferroviaire, réglementation qui se traduit encore de nos jours par les célèbres tarifs modérés de transport des céréales via le Défilé du Nid-de-Corbeau.
Cependant, quoi qu'il en soit, le tronçon de voie est parachevé en 1898, donnant ainsi le premier rang au CPR dans la frontière minière de l'intérieur de la Colombie-Britannique. Fowke et Britnell ont démontré que c'est cela qui a permis l'intégration de la région à l'économie commerciale canadienne (Voir: An Historical Analysis of the Crow s Nest Pass Agreement and Grain Rates (Regina, Queen's Printer, 1961) p. 33.). C'est désormais sur des rails canadiens et non pas américains qu'on achemine vers l'Ouest la machinerie minière et les autres produits manufacturés protégés par les tarifs de la politique nationale. On envoie vers l'Ouest des produits manufacturés, certes, mais aussi des produits agricoles, du bétail, des céréales et des produits laitiers de l'Alberta et du Manitoba, et des volailles de l'Ontario. En retour, l'Ouest expédie principalement des minéraux affinés dans l'usine de Trail, controlée par le CPR, ce qui a pour effet de donner un nouvel essor à la région minière de l'Est du Kootenay.
Les importants gisements de houille de la région du Défilé constituent une heureuse ressource de plus et la nouvelle voie ferrée en rend l'exploitation économiquement rentable. En effet, les locomotives à vapeur consomment du charbon, mais les fonderies dévorent du coke, qu'elles faisaient auparavant venir de l'île de Vancouver, voire de beaucoup plus loin. Quand on le relie finalement à l'est et à l'ouest du Kootenay par rail, le district du Défilé prend la relève et devient le fournisseur le plus important, car sa houille et son coke coûtent aux fonderies 60% de ce qu'ils leur coûteraient sur la côte. La Crow's Nest Pass Coal Company est constituée en corporation en 1897; six ans plus tard, en 1903, elle expédie, avec ses concurrents, près d'un demi-million de tonnes de houille et de coke. Le Défilé compte environ mille fours à coke et la compagnie emploie presque 1,500 hommes. La fortune des gisements du Défilé du Nidde-Corbeau est donc inextricablement liée à celle des mines de métaux et des fonderies de l'Est et de l'Ouest du Kootenay et de la région de Boundary.
Par ailleurs, les événements de la fin des années 1890 ne marquent pas seulement la victoire des capitaux canadiens, mais aussi l'implantation de la grande entreprise riche dans l'industrie minière. On a formé pas moins de 1,316 sociétés minières entre 1885 et 1900, mais il n'en reste plus que 200 en 1901 et ce chiffre est tombé à 35 en 1914. Dans la région de Boundary, la Grandby Company est une entreprise dominante, comme la B.C. Copper Company. Cependant, la plus grande de toutes ces corporations est un lointain descendant de la petite fonderie que Heinze avait fondée à Trail. C'est la Consolidated Mining and Smelting Company (COMINCO), société formée en 1906 sous le contrôle du CPR. Ces entreprises géantes doivent leur succès à l'intégration verticale (absorption des mines, des installations de fonte, des services énergétiques et même des systèmes de transport au sein d'une même compagnie), à l'intégration horizontale (concentration d'un nombre sans cesse croissant de mines en une même entreprise), et au fusionnement. En achetant le contrôle d'un certain nombre de mines et en intégrant l'extraction et, la fonte du minerai à la production d'énergie aux transports, ces entreprises sont à même de réaliser des économies du seul fait de l'ampleur de leurs opérations.
Naturellement, la croissance rapide de la population donne naissance à une foule affairée de mineurs et de commerçants dont une importante proportion, qu'on peut évaluer au tiers de la population, est composée d'Américains, venus pour la plupart de la région minière de la frontière. Les nouveaux arrivants amènent avec eux leur syndicat, la Western Federation of Miners (WFM). La WFM, organisme à caractère militant et radical, a été formée à Butte, au Montana, en 1893, à la suite d'un affrontement sanglant avec les propriétaires miniers de l'Idaho. L'industrie minière a traditionnellement été en proie à de sérieux conflits entre les travailleurs et les financiers, car le travail y est souvent très dur et dangereux, les conditions de vie souvent primitives et l'exploitation des travailleurs par les magasins de la compagnie, chose courante. En outre, la situation s'aggrave par l'instabilité des hommes, qui sont sans attaches et sans femmes. Les luttes sont particulièrement violentes dans les États américains en raison des attitudes anti-syndicales et de la rapacité des propriétaires miniers, ces tristement célèbres requins de l'ouest de l'Amérique. Il s'ensuit naturellement une guerre de classes déclarée qui pousse la WFM à adopter un programme socialiste solide et finalement à prendre part, en 1905, à la fondation du mouvement anarcho-syndicaliste qu'est l'Industrial Workers of the World.
Toutefois, sans avoir jamais été cordiales. les relations entre les syndicats et les patrons dans l'intérieur de la Colombie-Britannique n'ont jamais abouti aux violences qu'ont connues les États américains. La première section de la WFM est fondée à Rossland en 1895, mais le syndicat gagne très peu de terrain jusqu'à ce que le processus du fusionnement des compagnies soit entamé et que le nombre de petits mineurs indépendants diminue. Ce sont des conflits entre les syndicats et les propriétaires miniers au sujet de la loi de la journée de huit heures, approuvée par l'Assemblée législative provinciale en 1898, qui déclenche l'organisation syndicale sur une grande échelle. Au début de 1899, les travailleurs appuient la loi par une grève importante, qui touche presque quatre mille travailleurs de l'Ouest du Kootenay. Plus tard, durant la même année, treize sections de la Western Federation of Miners s'unissent pour former le District 6, c'est-à-dire leur propre filiale du syndicat international. Les efforts du syndicat et la grève semblent couronnés de succès, car la loi reste en vigueur.
La lutte entre les travailleurs et leurs patrons n'en continue pas moins à agiter les nouvelles villes minières. La plus fameuse dispute reste la grève de Rossland, en 1901, qui soulevait plusieurs questions, dont la plus importante était l'accusation de discrimination anti-syndicale de la part des compagnies. Par la suite, le gouvernement provincial promulgue une nouvelle loi du travail, en 1902. Cette nouvelle loi était en partie due aux efforts du député provincial de la région, Smith Curtis, qui avait l'appui des syndicats et qui voulait que la Loi protège mieux les syndicats des poursuites en dommages intentées à la suite de grèves, comme cela s'était produit dans le cas du conflit de Rossland. En 1903, quinze sections desservent presque tous les grands centres d'exploitation de mines de métaux, et il existe trois sections dans les grandes villes houillères. Le syndicat du district compte presque 2,000 membres. C'est alors qu'une grève importante de la United Brotherhood of Railway Employees frappe l'Ouest du Canada, avec l'appui des mineurs de charbon de la WFM. L'intervention du gouvernement fédéral contribue à briser la grève. Peu après, les sections houillères se séparent pour s'unir au district 18 des Mineurs unis d'Amérique, tandis que les mineurs en roche dure restent membres de la WFM, qui devient en 1917 le Syndicat international des travailleurs des mines, des concasseurs et des fonderies. Les deux syndicats continuent à représenter les travailleurs pendant le reste de la période à l'étude.
La grande époque de la prospérité est révolue avant la Première Guerre mondiale, sous l'effet conjugué des bas prix des métaux, d'une conjoncture économique défavorable et d'une baisse du rendement de l'exploitation minière. Bien des mines et des fonderies ont fermé leurs portes quand le début des hostilités en Europe provoque une montée des prix et une nouvelle prospérité, qui respecte cette fois le cadre établi de la grande entreprise. La valeur de la production accuse une hausse spectaculaire, du moins jusqu'en 1916. Cependant, les mines de Rossland sont épuisées et celles de la région de Boundary le deviennent bientôt. La guerre marque la fin de l'ère de l'or, de l'argent et du cuivre, et l'ascension du plomb et du zinc. Il reste que l'exploitation de ces métaux communs souffre de la complexité et de la pauvreté des minerais de l'Est du Kootenay, particulièrement de ceux de la mine Sullivan, près de Kimberly. L'augmentation de plus de 150% du prix du zinc en temps de guerre encourage les essais de flottation (procédé utilisé sans succès pour la première fois au Canada à la mine Le Roi, en 1902; il s'agit de concentrer le minerai métallique en faisant «flotter» les particules métallifères à la surface de la roche mère sur des bulles huileuses spécialement moussées à cette fin) et d'électrolyse, procédé par lequel on affine le métal impur en faisant passer un courant électrique à traver une solution, pour que le métal pur se dépose sur une grille électrifiée suspendue dans la solution. On réussit ainsi après 1918 à résoudre finalement le problème des minerais de la mine Sullivan, de sorte que l'on peut poursuivre l'exploitation des métaux communs de la région sur une base rentable et systématique. En fait, les profits réalisés dans les mines se révèlent si importants que la Cominco, filiale du CPR, menace de prendre les proportions d'un géant vis-à-vis de la société ferroviaire mère.
Dès les premières années du XXe siècle, la partie sud-est de la Colombie-Britannique a en grande partie perdu son caractère de front pionnier. L'achèvement du chemin de fer du Défilé du Nid-de-Corbeau et la fondation de la Cominco, en 1906, intègrent définitivement la région à l'économie canadienne, avec la stabilité que lui confère le contrôle de la grande entreprise.