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Text File  |  1996-08-11  |  31KB  |  77 lines

  1. VANCOUVER: PREMI├êRES ├ëTAPES 
  2.  
  3. Norbert MacDonald 
  4.  
  5.      Ceux qui ont v├⌐cu ├á Vancouver vous diront qu'il y pleut beaucoup, surtout en automne et en hiver. Ils vous parleront aussi du superbe site naturel, cach├⌐ au fond d'une anse c├┤ti├¿re avec de hautes montagnes en arri├¿re-plan. Mais, ├á part ces d├⌐nominateurs communs, les habitants de la r├⌐gion, tout comme les visiteurs, ont, du Vancouver r├⌐el, tout un ├⌐ventail d'id├⌐es, d'impressions et d'images: d'aucuns diront que c'est une ville jeune et moderne qui, malgr├⌐ sa courte histoire, a chang├⌐ de fa├ºon radicale; d'autres insisteront sur le fait que, depuis une centaine d'ann├⌐es, elle n'a gu├¿re boug├⌐ et vit encore en fonction de l'industrie foresti├¿re, de la p├¬che, des mines et de l'agriculture. Alors que beaucoup consid├¿rent Vancouver comme une ville stable, s├╗re, conformiste, d'autres insistent sur le fait que le taux de criminalit├⌐, de suicides et de divorces y d├⌐passe largement la moyenne nationale et que le trafic des stup├⌐fiants et l'h├⌐ro├»nomanie y atteignent des sommets inconnus dans les autres villes canadiennes. Certains voient Vancouver comme un endroit calme et agr├⌐able, o├╣ les habitants sont davantage tent├⌐s d'aller ├á la p├¬che, de faire de la voile et du ski que de travailler, tandis que d'autres pensent ├á son caract├¿re impersonnel, ├á l'esprit de comp├⌐tition qui y r├¿gne et la comparent ├á une jungle ├⌐reintante.
  6.  
  7.      Ces diff├⌐rentes impressions et images de la cit├⌐ remontent aux premi├¿res ann├⌐es de Vancouver, qui a acquis, d├¿s le d├⌐but, un grand nombre des caract├⌐ristiques d'une grande ville. Cette double personnalit├⌐ de Vancouver s'explique par son rythme de croissance; en effet, elle n'a pas ├⌐volu├⌐ de fa├ºon uniforme au fil des ans, mais a plut├┤t connu des moments d'intense activit├⌐ entrecoup├⌐s de p├⌐riodes relativement calmes.
  8.  
  9. Rythme de croissance 
  10.  
  11.      La premi├¿re de ces pouss├⌐es, ou cycle de croissance, co├»ncide avec la construction du Canadien Pacifique et l'arriv├⌐e, ├á Vancouver, du premier train, le 23 mai 1887. ├Ç peine trois ans auparavant, l'emplacement actuel de Granville n'├⌐tait gu├¿re qu'un village isol├⌐ de b├╗cherons, sur la rive de Burrard Inlet. Il y avait quelques magasins, quelques maisons clairsem├⌐es, un syst├¿me de voirie rudimentaire et la population totale n'├⌐tait que d'environ trois cents personnes. D├¿s que le bruit se r├⌐pand que la ligne du chemin de fer transcontinental va bient├┤t passer ├á Granville, ces conditions changent de fa├ºon radicale. Le village est rebaptis├⌐ Vancouver et, en un seul mois, entre 1886 et 1888, plus de gens y arrivent que pendant les vingt ans pr├⌐c├⌐dents. En 1892, cette nouvelle ville tr├⌐pidante a pouss├⌐ comme un champignon et sa population est de 14,000 habitants.
  12.  
  13.      Cette premi├¿re vague de prosp├⌐rit├⌐ est coup├⌐e net par la d├⌐pression des ann├⌐es 1890, et ce n'est que vers 1900 que s'amorce le second grand cycle de croissance. C'est la p├⌐riode qui va de 1900 ├á la veille de la Premi├¿re Guerre mondiale qui est la plus critique pour le caract├¿re futur de Vancouver, car non seulement la ville est envahie, en 1912, par des migrants canadiens, britanniques, am├⌐ricains, europ├⌐ens et asiatiques, qui gonflent la population ├á 120,000 habitants, mais elle est aussi le th├⌐├ótre d'un boom de la construction; les quartiers r├⌐sidentiels, industriels et commerciaux se d├⌐veloppent, de nouvelles rues et des voies de transport sont pr├⌐vues et, d├⌐j├á, l'├⌐tendue de la nouvelle cit├⌐ se dessine clairement.
  14.  
  15.      Quand la guerre ├⌐clate en 1914, la grande vague de prosp├⌐rit├⌐ est finie et c'est seulement au cours des ann├⌐es 1920 qu'une nouvelle p├⌐riode d'expansion commence. Les progr├¿s, quoique tr├¿s dynamiques, ne sont toutefois pas aussi marqu├⌐s qu'au d├⌐but du si├¿cle. L'automobile, dont l'usage se r├⌐pand de plus en plus, permet aux gens d'aller habiter plus loin du centre, tout en y ayant facilement acc├¿s. Pendant les ann├⌐es 1920, Vancouver enl├¿ve ├á Winnipeg le titre de troisi├¿me ville du Canada, rang qu'elle occupe d'ailleurs, m├¬me de nos jours. En 1931, elle compte 50,000 habitants en banlieue en plus de la population centrale de 250,000 personnes.
  16.  
  17.      Les ann├⌐es de la d├⌐pression marquent Vancouver et beaucoup d'autres ville canadiennes, et le rythme de croissance est quasi nul. Apr├¿s la Seconde Guerre mondiale, surtout pendant les ann├⌐es 1950 ├á 1960, la quatri├¿me phase de d├⌐veloppement de la ville prend place. Des ├⌐migrants arrivent encore de l'Est du pays, des Prairies, de la Grande-Bretagne et des ├ëtats-Unis, mais l'importante vague d'Allemands, d'Italiens, de Chinois, de Grecs et autres, donne ├á Vancouver ce cachet cosmopolite dont toute la communaut├⌐ b├⌐n├⌐ficie. Les temps sont prosp├¿res et, ├á Vancouver, le centre-ville change de fa├ºon notable sous la pouss├⌐e de centaines de gratte-ciel contenant des appartements, des bureaux et des maisons d'affaires. Les banlieues connaissent une expansion encore plus spectaculaire. En 1971, la population du Vancouver m├⌐tropolitain d├⌐passe un million d'habitants dont 40% seulement habitent la ville m├¬me, le reste en banlieue.
  18.  
  19.      Un examen d├⌐taill├⌐ de chacune de ces phases de croissance donnerait un tableau assez pr├⌐cis des faits saillants de l'expansion de Vancouver jusqu'├á nos jours. Cependant, cette ├⌐tude se limite ├á la p├⌐riode qui se termine en 1920 et nous essaierons de montrer que, d├⌐j├á ├á cette ├⌐poque, l├á, avait pris corps une ville complexe et bien organis├⌐e qui allait d├⌐terminer, dans une large mesure, les limites et la nature du Vancouver tel que nous le connaissons aujourd'hui. Nous examinerons d'abord Granville, le village de b├╗cherons quelque peu isol├⌐, puis nous ├⌐tudierons la ville ├á l'├⌐poque de la prosp├⌐rit├⌐ engendr├⌐e par la venue du CP et, finalement, nous porterons notre attention sur les progr├¿s et les changements qui se sont produits au cours de deux premi├¿res d├⌐cennies de notre si├¿cle.
  20.  
  21. Les premi├¿res ann├⌐es de Granville 
  22.  
  23.      La premi├¿re colonie permanente s'├⌐tablit, en 1862, sur l'emplacement actuel de Vancouver. John Morton, de New Westminster, est venu visiter Burrard Inlet pour s'enqu├⌐rir des ressources en charbon et en argile de la r├⌐gion et de la possibilit├⌐ d'y ouvrir ├⌐ventuellement une poterie. Il n'y trouve ni charbon, ni argile, mais se laisse charmer par la beaut├⌐ du paysage et par le port naturel bien abrit├⌐. De retour ├á New Westminster, Morton d├⌐cide un de ses cousins, Sam Brighouse, et un autre ami, William Hailstone, ├á se joindre ├á lui pour acqu├⌐rir des terres dans ce coin. Tous trois, immigrants de Grande-Bretagne, ont travaill├⌐ dans les champs aurif├¿res des monts Cariboo; ne se laissant pas arr├¬ter par le sobriquet ┬½Les trois blancs becs┬╗ (Three Greenhorn Englishmen) qui leur est donn├⌐ par les cyniques de l'endroit (qui ne voyaient gu├¿re de raison ├á la pr├⌐emption de ces terres), les trois hommes font le n├⌐cessaire et, en 1862, apr├¿s un paiement de $555.73, ils obtiennent de la Couronne une concession de 540 acres de terres, dans la partie actuelle de l'ouest de Vancouver. En principe, ce privil├¿ge de pr├⌐emption ├⌐tait accord├⌐ seulement ├á ceux qui avaient l'intention de s'├⌐tablir comme fermiers. Cependant, puisque cette r├⌐gion ├⌐tait dens├⌐ment bois├⌐e, il ne semble que peu probable que les "trois blancs-becs" aient jamais eu l'intention d'y aller faire de la culture; ils pensaient certes davantage aux profits qu'ils pourraient r├⌐aliser si jamais une ville ├⌐tait construite sur leurs propri├⌐t├⌐s. Pendant quelque temps, afin de respecter la clause de la r├⌐sidence obligatoire du propri├⌐taire, les trois se relaient et habitent, ├á tour de r├┤le, dans la cabane b├ótie sur leur concession. Toutefois, ├á la longue, c'est John Morton qui passe le plus de temps dans la petite clairi├¿re, pr├¿s de l'intersection actuelle des rues Burrard et Hastings.
  24.  
  25.      Au fur et ├á mesure que d'autres personnes comprennent les possibilit├⌐s de sp├⌐culation dans la r├⌐gion, toute une s├⌐rie de pr├⌐emptions suivent. Cependant, m├¬me si, ├á l'occasion, un investisseur arrive ├á faire un profit appr├⌐ciable gr├óce ├á la vente d'un terrain, le rythme de croissance de la population reste tr├¿s lent et le v├⌐ritable centre d'activit├⌐ de Burrard Inlet gravite encore au tour des op├⌐rations foresti├¿res entreprises l├á au milieu des ann├⌐es 1860. En 1865, Sewell Moody construit une scierie sur la rive nord de l'anse, l├á o├╣ se trouve aujourd'hui North Vancouver; ├á peu pr├¿s ├á la m├¬me ├⌐poque, le capitaine Edward Stamp ├⌐rige lui aussi une scierie, (la Hastings Sawmill), mais sur la rive sud de l'anse. Ces deux initiatives am├¿nent d'autres exploitations foresti├¿res appartenant ├á Jeremiah Rogers, ├á Jerry's Cove (maintenant Jericho Beach).
  26.  
  27.      L'essor de ces activit├⌐s, bien plus que le droit de pr├⌐emption sur les lots individuels de terre, marque le v├⌐ritable d├⌐but de la colonie ├⌐tablie ├á Burrard Inlet et au cours des vingt ann├⌐es suivantes, l'expansion des villages qui ├⌐mergent d├⌐pend presque exclusivement de l'├⌐volution des scieries. La production et l'exportation du bois augmentent rapidement; en 1865, seulement six bateaux partent en mer avec leur chargement, mais en 1869, il y en a quarante-cinq qui am├¿nent du bois de construction ou autre, en Am├⌐rique latine, en Grande-Bretagne, en Europe et en Orient.
  28.  
  29.      Jusqu'en 1867, la plupart des travailleurs de la scierie de Hastings sont log├⌐s dans les camps avoisinants ou encore dans des barraques qu'ils ont mont├⌐es de fa├ºon tr├¿s rudimentaire. Plus tard, ┬½Gassy Jack┬╗ Deighton ouvre un petit h├┤tel avec un bar, ├á un demi-mille environ ├á l'ouest de la scierie; de plus en plus d'hommes vont habiter les h├┤tels, les maisons de pension et les foyers dont le nombre augmente de plus en plus qu'importe le nom donn├⌐ ├á ce village, Coal Harbour, Granville, ou Gastown, c'est lui qui forme le noyau du Vancouver actuel.
  30.  
  31.      Les progr├¿s sont d'ailleurs tr├¿s lents. En 1884, Granville n'est gu├¿re plus qu'un terrain mesurant 400 verges le long de la c├┤te et 250 verges ├á l'int├⌐rieur des terres. Avec ses quelque 300 habitants, cette colonie ne peut certes pas se comparer avec New Westminster et Victoria qui en comptent respectivement 4,000 et 12,000. De fait, elle est ├á peu pr├¿s de la taille de Moodyville ou des municipalit├⌐s rurales de Delta, de Richmond, de Surrey et de Langley qui comptent de 250 ├á 300 habitants chacune. La plupart des ├⌐l├⌐ments importants concernant Granville se r├⌐sument ├á quelques phrases ├á peine dans le British Columbia Directory 1884-1885.
  32.  
  33.      Granville est situ├⌐e ├á Coal Harbour, sur la c├┤te sud de Burrard Inlet. C'est une petite ville active, avec quelques grands magasins, trois confortables h├┤tels, des ├⌐glises, un bureau de t├⌐l├⌐graphe, etc. Deux grandes routes, bien entretenues, relient la ville ├á Hastings et ├á New Westminster, et un traversier ├á vapeur permet d'aller ├á Moodyville et aux autres endroits sur la c├┤te. Granville est le centre d'une importante r├⌐gion foresti├¿re qui fournit le bois aux scieries de Hastings et absorbe presque tout le commerce des nombreux camps install├⌐s ├á la baie English et sur la rive nord de la rivi├¿re Fraser. Un service quotidien de bateaux ├á vapeur assure la liaison avec Hastings et New Westminster, ├á douze milles de l├á.
  34.  
  35. L'arriv├⌐e du Canadien Pacifique 
  36.  
  37.      ├Ç l'├⌐poque, tous les habitants de la Colombie-Britannique savent que la ligne de chemin de fer du Canadien Pacifique va bient├┤t ├¬tre termin├⌐e et ils se r├⌐jouissent ├á Granville. Toutefois, apr├¿s des entretiens secrets avec le gouvernement provincial, les dirigeants du Canadien Pacifique d├⌐cident de prolonger la ligne principale jusqu'├á Coal Harbour et Granville. Apr├¿s tout, Granville, avantageusement situ├⌐e, poss├¿de un port assez ├⌐tendu et profond et, en outre, le gouvernement provincial a promis, au Canadien Pacifique, de grands espaces dans la r├⌐gion, si la ligne se continue jusque-l├á.
  38.  
  39.      D├¿s que ces renseignements sont connus de tous, Granville change radicalement de visage. Le mince filet d'immigrants qui, jusque-l├á, arrivait dans la r├⌐gion se transforme en un flot constant de colons et de sp├⌐culateurs enthousiastes. En 1885 et en 1886, les gros arbres des environs de Granville sont coup├⌐s syst├⌐matiquement, d'innombrables souches sont dynamit├⌐es et les d├⌐chets br├╗lent jour et nuit. Ce d├⌐frichage intensif provoque un incendie d├⌐vastateur le 13 juin 1886; vingt personnes y ont perdu la vie et le village a ├⌐t├⌐ presque compl├¿tement ras├⌐. Cependant la reconstruction se fait rapidement gr├óce ├á l'afflux de nouveaux immigrants et, quand le premier train du Canadien Pacifique arrive le 23 mai 1887, la nouvelle ville de Vancouver, ├⌐tablie en municipalit├⌐ en 1886, compte 5,000 habitants.
  40.  
  41.      L'ach├¿vement de la ligne du Canadien Pacifique marque profond├⌐ment cette jeune ville; en fait, on pourrait dire que c'est le Canadien Pacifique qui a vraiment cr├⌐├⌐ Vancouver. Alors qu'il avait fallu quelque vingt ans pour compter en 1884, une population de 300 ├ómes, la venue du Canadien Pacifique en 1887 la fait monter ├á 5,000 personnes; en 1892, l'afflux d'immigrants commence ├á baisser, et pourtant il y a alors 14,000 habitants ├á Vancouver. De toute ├⌐vidence, les attraits de Vancouver sont beaucoup plus nombreux maintenant que la ville est rattach├⌐e au reste du Canada.
  42.  
  43.      Les r├⌐percussions de la venue du chemin de fer ne se limitent pas ├á un accroissement rapide de la population. L'accord conclu avec le gouvernement provincial met ├á la disposition du Canadien Pacifique 6,000 acres de terrain dans la r├⌐gion. Des particuliers donnent aussi des terres, car ils savent que le passage du chemin de fer augmentera la valeur du reste de leur propri├⌐t├⌐. En tout, le Canadien Pacifique acquiert ├á peu pr├¿s dix milles carr├⌐s de terre, ├á l'endroit o├╣ se trouve maintenant le centre de la ville. Les arpenteurs et les planificateurs de la compagnie d├⌐cident non seulement du passage de la ligne principale, mais aussi de la r├⌐partition et du trac├⌐ g├⌐n├⌐ral des rues de la ville. En raison de l'emplacement du quai, de la gare et de l'h├┤tel de la compagnie, le long de la rue Granville, celle-ci devient une des art├¿res principales de la ville et d├⌐place le centre-ville ├á environ un mille ├á l'ouest du noyau original de Gastown. Petit ├á petit, les principales banques, les bureaux, les h├┤tels, les th├⌐├ótres et les grands magasins se rassemblent dans ce nouveau district. Les quartiers r├⌐sidentiels, plus cossus, dans l'ouest au cours des ann├⌐es 1880 et 1890 ou ├á Shaughnessy au d├⌐but du si├¿cle, couvrent, en partie ou enti├¿rement, les terres de la compagnie. Celle-ci, plus gros propri├⌐taire de terrains ├á Vancouver, est aussi la plus grande et la plus puissante soci├⌐t├⌐ de la ville et a donc une nette influence sur les investissements en immobilier, sur l'├⌐conomie, sur la vie sociale et sur la politique de la ville.
  44.  
  45.      Pendant qu'elle am├⌐liore ses propres installations, d'autres groupes aussi s'activent un peu partout. Les fonctionnaires municipaux voient au d├⌐frichement des terrains, au nivellement des rues, ├á la construction de trottoirs, d'├⌐coles, de postes de pompiers et ├á la pose d'un syst├¿me d'aqueduc et d'├⌐gouts. Des particuliers et des entrepreneurs construisent des centaines de maisons et des boutiques, des magasins et des h├┤tels par douzaines. Un des plus int├⌐ressants projets est r├⌐alis├⌐ entre 1889 et 1891; une compagnie priv├⌐e, la Vancouver Electric Railway and Light Company, met sur pied un r├⌐seau de tramways ├⌐lectriques qui, sur une distance de treize milles, suit le quadrilat├¿re form├⌐ par les rues Granville, Hastings, Main et Broadway. Vancouver n'est pas la seule ville ├á ├¬tre dot├⌐e d'un tel syst├¿me; en effet, gr├óce aux progr├¿s techniques faits par des inventeurs am├⌐ricains en 1888, beaucoup de villes am├⌐ricaines s'├⌐quipent de tramways et, dans les ann├⌐es 1890, les v├⌐hicules hippomobiles sont remplac├⌐s par ces nouveaux moyens de transport dans des villes comme Ottawa, Hamilton, Montr├⌐al, Winnipeg, Saint-Jean, Halifax et Qu├⌐bec. Vancouver est consid├⌐r├⌐e par ses habitants comme une ville progressiste puisqu'elle poss├¿de un syst├¿me de transport moderne alors qu'elle n'├⌐tait encore vieille que de cinq ans.
  46.  
  47.      La plupart des gens qui viennent s'installer ├á Vancouver durant ces ann├⌐es de prosp├⌐rit├⌐, sont n├⌐s au Canada, surtout en Colombie-Britannique et en Ontario. Beaucoup d'immigrants arrivent aussi de Grande-Bretagne et des ├ëtats-Unis. Dans l'ensemble, ce groupe anglophone, ├á pr├⌐dominance protestante, repr├⌐sente 85% de la population. Aucune distinction n'est faite entre les Canadiens, les Britanniques et les Am├⌐ricains et tous s'int├¿grent rapidement dans la vie sociale et ├⌐conomique de la ville. Les Chinois, qui repr├⌐sentent environ 10% de la population de Vancouver, forment le groupe minoritaire le plus important et spectaculaire. La majorit├⌐ anglophone peut ignorer ou accepter passivement la population chinoise, voire m├¬me subir les remous d'un courant anti-oriental; cependant il est bien clair pour le grand public que Vancouver est une ville de blancs et qu'elle doit le rester. Ici comme dans d'autres villes nord-am├⌐ricaines, les Chinois sont isol├⌐s dans leur quartier, ┬½Chinatown┬╗, soit quelques p├ót├⌐s de maisons sales et surpeupl├⌐es situ├⌐es ├á l'extr├⌐mit├⌐ est de False Creek. La plupart d'entre eux sont des employ├⌐s saisonniers et des domestiques ou travaillent dans des buanderies, des boutiques et des restaurants de peu d'importance. Vancouver abrite aussi une poign├⌐e de Scandinaves, d'Allemands, d'Italiens et de Russes qui, avec d'autres Europ├⌐ens, totalisent environ 5% de la population. Beaucoup d'entre eux sont c├⌐libataires et travaillent dans les camps de b├╗cherons et les scieries; ils ne logent dans les maisons de chambre et les h├┤tels de Vancouver que pendant la saison des pluies, c'est-├á-dire en hiver. C'est un groupe effac├⌐ qui n'attire gu├¿re l'attention du grand public.
  48.  
  49. La d├⌐pression des ann├⌐es 1890 
  50.  
  51.      En 1893, la f├⌐brilit├⌐ qui a suivi l'ach├¿vement de la ligne du CP n'est plus qu'un souvenir. Certes, vers 1895, Vancouver continue de grandir, mais c'est une p├⌐riode difficile et souvent frustrante; les immigrants sont de plus en plus rares, la production de bois de charpente diminue, la construction est en baisse et, en 1895, la compagnie de tramways fait faillite. Les promoteurs immobiliers, qui avaient investi all├⌐grement avec optimisme au cours des ann├⌐es 1880, ├⌐prouvent, ├á leur grand d├⌐sarroi, de s├⌐rieuses difficult├⌐s non seulement ├á payer les imp├┤ts fonciers pour leurs terrains vacants, mais aussi ├á trouver des acheteurs. La d├⌐pression est quelque peu dissip├⌐e par le nouvel essor du commerce et la fi├¿vre de la ru├⌐e vers l'or du Klondyke, en 1897-1898; cependant, ce n'est pas avant les ann├⌐es 1900 qu'une nouvelle phase de d├⌐veloppement s'amorce pour Vancouver.
  52.  
  53.      Bien ├⌐tablie comme la m├⌐tropole de la Colombie-Britannique en 1897-1898, Vancouver n'a toutefois pas encore les dimensions, l'├⌐tendue, la diversit├⌐ et la complexit├⌐ qui sont les caract├⌐ristiques d'une grande ville; sa population est alors de 22,000 habitants, mais elle n'occupe relativement que peu de territoire et environ 80% de ses r├⌐sidents logent ├á moins d'un mille des entrep├┤ts, des quais et des installations du Canadien Pacifique au bas de la rue Granville. Au centre-ville, il y a toutes sortes de magasins, de banques et d'h├┤tels; les secteurs industriels sont situ├⌐s au bord de l'eau et sur la rive nord de False Creek. La diff├⌐rence entre les maisons ├á huit chambres du West End et les modestes bungalows de Mount Pleasant est bien nette; alors qu'├á l'int├⌐rieur m├¬me de la ville, la d├⌐marcation n'est pas aussi ├⌐vidente. Il y a encore des maisons priv├⌐es ou d'affaires et des lots vacants un peu partout dans la ville, quelques minutes en tramway ou ├á pied suffisent pour aller ├á son travail et le patron typique conna├«t encore la plupart de ses employ├⌐s par leur nom.
  54.  
  55. Du tournant du si├¿cle jusqu'├á la Grande Guerre 
  56.  
  57.      Cette situation a connu un net revirement apr├¿s 1900; en effet, c'est entre le d├⌐but du si├¿cle et la veille de la Premi├¿re Guerre mondiale que Vancouver subit plus de changements que pendant toute autre p├⌐riode semblable de son histoire. ├Ç la base de tous ces changements est certes l'├⌐nergique pouss├⌐e d├⌐mographique qui surpasse toute autre auparavant. Environ 30,000 ├⌐migrants arrivent de Grande-Bretagne entre 1900 et 1912; de plus, 25,000 Canadiens, 8,000 Am├⌐ricains, 7,000 Europ├⌐ens et 3,000 Asiatiques choisissent Vancouver comme leur nouvelle patrie. Cette arriv├⌐e massive d'immigrants fait grimper la population de la ville ├á 120,000 habitants en 1912, c'est-├á-dire ├á peu pr├¿s cinq fois ce qu'elle ├⌐tait ├á l'├⌐poque de la ru├⌐e vers l'or du Klondyke. Chacun de ces groupes donne son propre cachet ├á l'essor de Vancouver; il est cependant tr├¿s clair que ce sont les Britanniques, plus nombreux, dont l'influence se fait le plus sentir. En 1912, ils repr├⌐sentent un tiers de la population et par le genre de syndicats et de partis politiques qu'ils ont am├⌐nag├⌐s, par les ├⌐coles et les universit├⌐s qu'ils ont fond├⌐es et, en g├⌐n├⌐ral, par le type de maisons et de jardins qu'ils ont r├⌐alis├⌐s, par la qualit├⌐ et le ton que des milliers de commis, hommes de loi, marchands et artisans ont donn├⌐ ├á la ville, il est facile de s'apercevoir que, d├¿s la premi├¿re d├⌐cennie du XXe si├¿cle, l'influence britannique a d├⌐j├á fermement pris racine.
  58.  
  59.      L'agrandissement du r├⌐seau de transport urbain est la deuxi├¿me indication des progr├¿s de Vancouver: de nouvelles lignes de tramways au centre-ville et des voies ferr├⌐es qui partent vers l'est, le sud et l'ouest pour relier la ville ├á Hastings, ├á Collingwood, ├á South Vancouver, ├á Marpole, ├á Kerrisdale, ├á Kitsilano et ├á West Point Grey. En 1914, la compagnie B.C. Electric Railway, avec un r├⌐seau ferroviaire de 103 milles, dessert pratiquement toute la ville. Pendant que ces travaux s'effectuent dans Vancouver m├¬me, un r├⌐seau interurbain long de 125 milles reliant Vancouver ├á New Westminster, aux villages de p├¬cheurs de la r├⌐gion de Steveston ainsi qu'aux centres agricoles d'Abbotsford et de Chilliwack est en construction. Gr├óce ├á cette impulsion, Vancouver devient le pivot d'un r├⌐seau de transport r├⌐gional diversifi├⌐; ainsi, il ne faut gu├¿re plus de trente-cinq minutes ├á toute personne qui habite ├á 8 milles de Vancouver, pour arriver au centre de la ville et, en quelques heures seulement, une commande urgente, envoy├⌐e de Chilliwack, ├á 40 milles de l├á, peut ├¬tre livr├⌐e ├á Vancouver. Ce r├⌐seau d├⌐passe les besoins imm├⌐diats de Vancouver mais il permet ├á beaucoup de gens de s'├⌐tablir dans la banlieue o├╣ les terrains sont moins chers et il r├⌐duit ainsi la concentration de la population au coeur de la ville; Vancouver s'├⌐tend et les maisons unifamiliales sont de plus en plus nombreuses.
  60.  
  61.      La mise sur pied de ces r├⌐seaux ferroviaires s'accompagne d'une fi├¿vre de construction qui s'empare de toute la ville allant de petits bungalows sur des lots de 33 pieds ├á d'immenses magasins ├á rayons dans le quartier des affaires. Des immeubles valant 5 millions de dollars sont construits en 1905; le prix monte ├á 8 et ├á 20 millions de dollars en 1910 et en 1912 respectivement. Au cours des trente ann├⌐es suivantes, ce montant ne sera d├⌐pass├⌐ qu'une seule fois. Alors qu'au d├⌐but du si├¿cle, le quartier des affaires n'est occup├⌐ que par des immeubles de trois ou quatre ├⌐tages, en bois et en pierre, en 1914, Vancouver pr├⌐sente d├⌐j├á un horizon nouveau; les structures d'acier permettent d├⌐sormais d'├⌐riger des immeubles de quatorze ├⌐tages. Il faut d'├⌐normes quantit├⌐s de mat├⌐riaux de construction, bois, briques, verre, acier et b├⌐ton et des milliers d'habitants de Vancouver y travaillent comme menuisiers, plombiers, ├⌐lectriciens et manoeuvres. De fait, le volume de travail que la construction de ces maisons et immeubles repr├⌐sente constitue l'un des principaux facteurs de la vague de prosp├⌐rit├⌐ au d├⌐but du si├¿cle.
  62.  
  63.      Un quatri├¿me ├⌐v├⌐nement au cours de ces ann├⌐es est la d├⌐signation de certaines parties de la ville comme zones r├⌐sidentielles, commerciales et industrielles. Les 120,000 habitants de la ville sont maintenant r├⌐partis sur la quasi-totalit├⌐ de la p├⌐ninsule qui va de Burrard Inlet ├á la rivi├¿re Fraser, soit une superficie d'environ trente milles carr├⌐s. Le quartier ouest, consid├⌐r├⌐ d├¿s le d├⌐but comme un secteur r├⌐sidentiel par excellence est d├⌐j├á tr├¿s habit├⌐; des gens se sont aussi ├⌐tablis le long des lignes de la compagnie B.C. Electric, dans Fairview, Kitsilano et Point Grey. Plus au sud, Kerrisdale est en voie de d├⌐veloppement et Shaughnessy Heights, au coeur des terres du Canadien Pacifique, devient le quartier ultra-chic de Vancouver. Il est bien ├⌐vident, au fil de ces ann├⌐es, que les personnes prosp├¿res, influentes et bien en vue pr├⌐f├¿rent s'├⌐tablir dans l'ouest de la ville, tandis que les travailleurs sp├⌐cialis├⌐s et les ouvriers sont plut├┤t attir├⌐s par l'est, th├⌐├ótre d'une expansion remarquable, du fait que les lots sont plus petits et moins chers et que le nombre de parcs, de terrains de jeux et d'├⌐coles est plus restreint. Les quartiers de Grandview et de Collingwood ont grandi rapidement. Le gros de l'activit├⌐ commerciale se trouve encore au centre de la ville, bien qu'elle s'├⌐tende aussi de plus en plus vers les banlieues. Les installations portuaires et industrielles ont pris de l'ampleur, mais d├⌐sormais c'est dans le bassin de False Creek que l'industrie se concentre; en plus de trois gares de marchandises, il y a, dans ce secteur, de nombreuses scieries pour le bois de charpente et les bardeaux, des entrep├┤ts, des chantiers navals, des carri├¿res et des cimenteries.
  64.  
  65.      La ville se transforme et perd le ton, l'intimit├⌐, la chaleur qu'elle avait ├á ses d├⌐buts; les colonnes de potins de quartier, qui repr├⌐sentaient le train-train quotidien des journaux locaux, de 8 pages, au cours des ann├⌐es 1890, sont rel├⌐gu├⌐es au second plan alors que le XXe si├¿cle voit le jour. En 1912, les journaux de fins de semaine comptent d├⌐j├á de quarante ├á soixante pages et les ├⌐v├⌐nements nationaux autant qu'internationaux sont en primeur. Des pages sp├⌐ciales sont consacr├⌐es aux affaires, aux sports, aux ├⌐chos mondains et aux loisirs; la publicit├⌐ foisonne. Il est encore possible de reconna├«tre un renomm├⌐ marchand de bois ou courtier en immeubles quand il se prom├¿ne dans les rues Granville et Hastings, mais, avec le temps, cela devient de plus en plus rare, tout simplement parce qu'on voit, sans cesse, de plus en plus de nouvelles compagnies, de nouveaux ├⌐tablissements, de visages inconnus et des millionnaires de fra├«che date. Vancouver demeure une ville commerciale et un centre administratif o├╣ la plupart des gens travaillent encore comme menuisiers, commis, instituteurs et agents immobiliers, mais elle a maintenant une sph├¿re d'activit├⌐ plus vaste. Que ses hommes d'affaires appuient des compagnies mini├¿res dans les Kootenays, chantent les m├⌐rites des investissements dans la vall├⌐e de l'Okanagan, vendent du bois de charpente et des bardeaux dans les Prairies, ou encore, viennent manifester ├á Ottawa pour obtenir des ├⌐l├⌐vateurs ├á grain destin├⌐s au bl├⌐ de la Saskatchewan, la diversit├⌐ des activit├⌐s et l'├⌐tendue de Vancouver en font une grande ville.
  66.  
  67.      Cependant, cette vague de prosp├⌐rit├⌐ des ann├⌐es 1900 a connu le m├¬me sort que le boom qui a fait suite ├á la mise en place de la ligne du Canadien Pacifique. En 1913, la construction tombe rapidement, le prix des propri├⌐t├⌐s baisse et, contrairement aux cols blancs, les ouvriers et les artisans ont de plus en plus de difficult├⌐s ├á trouver du travail. Quand la guerre ├⌐clate en 1914, la ville se d├⌐sint├¿gre encore plus. Pour la premi├¿re fois, la population de Vancouver diminue consid├⌐rablement, des milliers d'habitants de la ville s'enr├┤lent dans l'arm├⌐e et d'autres retournent en Angleterre soit pour y faire leur service militaire soit pour travailler dans les usines. ├Ç Vancouver, la guerre est la principale pr├⌐occupation pendant les quatre prochaines ann├⌐es; que les gens se soient inqui├⌐t├⌐s de leurs parents ou amis qui sont au front, qu'ils aient continu├⌐ ├á vivre selon le train-train quotidien ou qu'ils travaillent aux chantiers navals ou dans les usines de munitions, la guerre leur ├⌐tait toujours pr├⌐sente ├á l'esprit.
  68.  
  69. Le renouveau d'apr├¿s-guerre 
  70.  
  71.      Apr├¿s un bref ralentissement des affaires apr├¿s la guerre, le renouveau ne tarde pas et, en 1919, Vancouver retrouve sa population d'avant-guerre et l'expansion reprend de plus belle. Au d├⌐but des ann├⌐es 1920, ce qui frappe le plus est l'apparition d'un nombre de plus en plus grand d'automobiles; des milliers de gens prennent encore le tramway, mais il est ind├⌐niable que les voitures priv├⌐es gagnent continuellement en popularit├⌐. Les municipalit├⌐s de South Vancouver et de West Point Grey connaissent un essor rapide et les gens commencent ├á parler d'une fusion avec Vancouver ou, tout au moins, d'une forme de gouvernement central qui r├⌐pondrait aux besoins des diverses communaut├⌐s en cause. Les architectes et les entrepreneurs se servent maintenant de b├⌐ton arm├⌐ pour construire des immeubles ├á bureaux et des entrep├┤ts et les hommes d'affaires embauchent de plus en plus de dactylos, de commis et de t├⌐l├⌐phonistes pour servir leurs clients.
  72.  
  73.      ├Ç part la grande vogue de l'automobile, les traits saillants des premi├¿res ann├⌐es de 1920 se limitent ├á l'expansion des m├⌐thodes utilis├⌐es jusque-l├á sans la moindre innovation. Beaucoup de gens travaillent encore dans les scieries de bardeaux et de bois de charpente, m├¬me si ce sont maintenant des cargos de cinq mille tonnes, ├á coque d'acier, qui transportent les marchandises vers l'├⌐tranger, et non plus les go├⌐lettes en bois de deux cents tonnes. Les fabricants inondent le march├⌐ de treuils, de chaudi├¿res, de moteurs de marine et de scies circulaires de plus en plus compliqu├⌐s, mais il est facile de constater que les industries du bois et de la p├¬che sont encore le pivot de toute l'activit├⌐ commerciale. ├Ç Vancouver, chaque employ├⌐, qu'il travaille dans une banque, une compagnie d'assurance, un entrep├┤t, une p├ótisserie ou un grand magasin, passe le plus clair de son temps ├á r├⌐pondre aux besoins de la client├¿le locale.
  74.  
  75.      L'habitant de Vancouver, en 1922, trouvait sans doute sa ville bien diff├⌐rente de ce qu'elle ├⌐tait en 1912 et m├¬me encore beaucoup plus par rapport ├á 1892; mais s'il examinait la situation d'un peu plus pr├¿s, il se rendait aussi compte que, somme toute, beaucoup de choses ├⌐taient rest├⌐es les m├¬mes.  
  76.  
  77.