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Text File  |  1996-08-11  |  22KB  |  48 lines

  1. L'├ëCOLE CANADIENNE ET L'ENFANT AU DIX-NEUVI├êME SI├êCLE 
  2.  
  3. Harvey J. Graff et Alison Prentice 
  4.  
  5.  
  6.      Par le pass├⌐, les historiens se sont peu int├⌐ress├⌐s ├á l'enfant et ├á son milieu scolaire. Peut-├¬tre ├⌐taient-ce l├á des sujets trop ├⌐troitement li├⌐s au quotidien. Il est ├⌐galement possible que, comme leurs coll├¿gues des autres pays, les historiens canadiens aient ├⌐t├⌐ beaucoup trop absorb├⌐s par l'histoire ├⌐conomique et politique de leur pays pour s'int├⌐resser ├á l'├⌐volution, apparemment sans lien avec les grands ├⌐v├⌐nements, du monde de l'enfance et de l'├⌐ducation. Quoi qu'il en soit, l'int├⌐r├¬t manifest├⌐ aujourd'hui envers l'histoire sociale et culturelle porte en particulier sur l'├⌐volution de l'enfance et de cette institution qui semble ├¬tre son domaine exclusif, l'├⌐cole. Comment ├⌐taient les enfants autrefois? Qu'attendait-on d'eux et que faisaient-ils? Quels liens les unissaient ├á leurs parents et aux autres adultes? On s'est pos├⌐ des questions semblables ├á propos des ├⌐coles. Comment ├⌐taient-elles? Qui les fr├⌐quentait? Comment en est-on venu ├á d├⌐cider que tous les jeunes doivent passer la plus grande partie de leur enfance et de leur adolescence ├á l'├⌐cole?
  7.  
  8.      Pour r├⌐pondre ├á la derni├¿re question, il faut r├⌐pondre d'abord aux autres; notre propre exp├⌐rience de l'├⌐cole de masse gratuite et presque universelle ne peut se comprendre parfaitement qu'├á la lumi├¿re de ce qui a pr├⌐c├⌐d├⌐ ce ph├⌐nom├¿ne relativement r├⌐cent. On doit retourner plus d'un si├¿cle en arri├¿re, ├á l'exp├⌐rience de l'Am├⌐rique du Nord britannique dans la premi├¿re moiti├⌐ du dix-neuvi├¿me si├¿cle quand les r├⌐seaux scolaires provinciaux n'existaient pas, quand l'├⌐cole, pour la plupart des enfants, ├⌐tait au mieux un bref ├⌐pisode de leur vie, ou m├¬me en ├⌐tait totalement absente.
  9.  
  10.      Pour commencer ├á comprendre cette p├⌐riode de l'histoire de l'├⌐ducation, il faut se rendre compte que les habitants des colonies britanniques d'Am├⌐rique du Nord du d├⌐but du si├¿cle dernier ne voyaient pas n├⌐cessairement en l'├⌐cole le seul moyen d'├⌐ducation. Un grand nombre d'enfants -- probablement la majorit├⌐ -- recevaient leur ├⌐ducation ├á la maison o├╣ ils travaillaient et jouaient aupr├¿s de leurs parents. D'autres, qui devenaient serviteurs ou apprentis, apprenaient d'autres familles que les leurs les techniques agricoles, un m├⌐tier ou la science complexe de la gestion d'un foyer. L'├⌐cole existait cependant pour certains enfants. Il y avait de nombreuses ├⌐coles priv├⌐es que des ┬½dames┬╗ ou des ┬½messieurs┬╗ tenaient dans leurs propres maisons et qui ├⌐taient enti├¿rement financ├⌐es par les parents des ├⌐l├¿ves. Certaines recevaient des pensionnaires. Dans de nombreux endroits, des parents ou leurs fond├⌐s de pouvoir, ou encore des conseils municipaux, fondaient des ├⌐coles municipales ou des ┬½common schools┬╗ dans une salle ou une maison et engageaient un instituteur. Celui-ci recevait un salaire gr├óce ├á une imposition des tuteurs des ├⌐l├¿ves et, parfois, gr├óce ├á une aide suppl├⌐mentaire de la Province. Les comp├⌐tences de ces enseignants ├⌐taient souvent modestes, du moins si l'on ne s'en tient qu'aux dipl├┤mes. Dans certaines localit├⌐s, des communaut├⌐s religieuses ou des philanthropes fondaient des orphelinats pour permettre aux enfants dont les parents ├⌐taient trop pauvres de recevoir une certaine instruction. Toutes ces ├⌐coles assuraient une ├⌐ducation ├⌐l├⌐mentaire et, dans de nombreuses localit├⌐s, pouvaient ├¬tre fr├⌐quent├⌐es par un bon nombre d'enfants. G├⌐n├⌐ralement, seuls les enfants des classes privil├⌐gi├⌐es ├⌐taient en mesure de suivre les cours des quelques ├⌐coles secondaires, acad├⌐mies, coll├¿ges ou couvents qui existaient pour former les jeunes hommes de bonne famille en vue d'acc├⌐der ├á des carri├¿res professionnelles, d'affaires ou politiques et pr├⌐parer les jeunes femmes ├á accomplir dignement leur r├┤le de dames. Presque toutes les ├⌐coles ├⌐taient financ├⌐es par des fonds publics, des frais de scolarit├⌐ ou une imposition des parents ou des tuteurs des enfants; le concept d'├⌐coles publiques et d'├⌐coles priv├⌐es n'existait pas encore.
  11.  
  12.      Au d├⌐but du dix-neuvi├¿me si├¿cle, l'├⌐cole ├⌐l├⌐mentaire se pr├⌐sentait au Canada sous bien des formes. Pour la plupart des enfants, c'├⌐tait une exp├⌐rience tr├¿s diff├⌐rente de celle d'aujourd'hui. Pr├⌐cisons d'abord que la majorit├⌐ des ├⌐coles ├⌐taient tr├¿s petites. Une ├⌐cole gratuite avec deux ou trois cents ├⌐l├¿ves inscrits ├⌐tait une exception ├á une ├⌐poque o├╣ la plupart des ├⌐tablissements avaient moins de cinquante ├⌐l├¿ves, et un bon nombre d'entre eux moins de vingt. La plupart des ├⌐coles d├⌐pendaient enti├¿rement d'un seul ma├«tre et beaucoup fermaient leurs portes lorsque celui-ci prenait sa retraite ou quittait l'endroit. Les ├⌐l├¿ves ├⌐taient de tous les ├óges, car on rencontrait m├¬me dans les ├⌐coles des gens de plus de trente ans et des couples mari├⌐s, tandis que les instituteurs avaient souvent aussi peu que quinze ans. M├¬me si dans les ├⌐coles de campagne, les jeunes enfants ├⌐taient pr├⌐sents davantage au printemps, l'├⌐t├⌐ et l'automne, et les plus vieux l'hiver, quand il y avait peu de travail ├á la ferme, on rencontrait tout de m├¬me des ├⌐l├¿ves de tous ├óges, guid├⌐s par un seul ma├«tre. Enfin, pour la vaste majorit├⌐, la pr├⌐sence ├á l'├⌐cole ├⌐tait tr├¿s irr├⌐guli├¿re et plut├┤t br├¿ve. L'enfant moyen ne la fr├⌐quentait gu├¿re plus de quelques mois en tout.
  13.  
  14.      Tout cela refl├⌐tait l'attitude de la soci├⌐t├⌐ pr├⌐-industrielle face ├á l'├⌐ducation et ├á l'enfant. Celui-ci avait un r├┤le ├⌐conomique ├á accomplir: il pouvait ├¬tre utile ├á la ferme, ├á l'atelier ou ├á la maison. Dans de nombreuses familles, l'enfant ├⌐tait une main-d'oeuvre essentielle. Beaucoup de parents et d'autres adultes jugeaient avoir la comp├⌐tence d'instruire les jeunes; avec l'aide, peut-├¬tre, du pr├¬tre du lieu et du ma├«tre d'├⌐cole itin├⌐rant, ils croyaient ├¬tre en mesure d'enseigner aux enfants tout ce qu'ils avaient besoin de savoir. Les taux d'alphab├⌐tisation de cette p├⌐riode confirment que cette conception a permis ├á la plupart des gens d'apprendre un peu ├á lire et ├á ├⌐crire. L'enseignement n'├⌐tait le privil├¿ge exclusif ni des enseignants professionnels ni des institutions appel├⌐es ├⌐coles.
  15.  
  16.      Le ferment du changement ├⌐tait cependant d├⌐j├á ├á l'oeuvre. Les agriculteurs et les commer├ºants, trop occup├⌐s, ne trouvaient souvent pas assez de temps pour assurer l'├⌐ducation de leurs enfants, des apprentis et des domestiques. ├Ç mesure que l'├⌐conomie devenait plus complexe sur le plan commercial, il semble qu'en particulier au milieu du si├¿cle, les enfants des villes n'avaient pas assez de possibilit├⌐s de travailler. En m├¬me temps, l'attitude face au travail des enfants commen├ºait ├á changer. Il en r├⌐sulta un malaise croissant ├á propos de l'augmentation apparemment alarmante du nombre d'enfants oisifs. L'immigration de masse du milieu du si├¿cle, accompagn├⌐e par la pauvret├⌐ et le chol├⌐ra, a sembl├⌐ ajouter aux dimensions du probl├¿me.
  17.  
  18.      De plus en plus, les gens qui se pr├⌐occupaient de l'├⌐ducation -- enseignants, ministres du culte, gens du gouvernement et parents -- commenc├¿rent ├á croire que l'enfant devait ├¬tre prot├⌐g├⌐ du vaste monde du travail et de la vie sociale; ils se tourn├¿rent vers l'├⌐cole pour r├⌐soudre non seulement le probl├¿me des enfants oisifs, mais ├⌐galement d'autres probl├¿mes qui semblaient li├⌐s ├á ce ph├⌐nom├¿ne. On croyait que plus d'instruction et une meilleure ├⌐ducation produiraient des masses dot├⌐es d'un meilleur sens moral, de plus d'ordre et d'initiative, plus dures ├á la t├óche. ├Ç mesure que les ├⌐coles inculquaient ├á un plus grand nombre d'enfants les vraies valeurs accept├⌐es au sein de la colonie, on croyait que le crime diminuerait, tout particuli├¿rement chez les jeunes, et que le patriotisme et la conscience sociale augmenteraient. On manifestait ├⌐galement l'espoir qu'une ├⌐ducation commune ├á tous les enfants r├⌐duirait l'hostilit├⌐ latente et ouverte entre les riches et les pauvres, entre les catholiques et les protestants, ainsi qu'entre anglophones et francophones.
  19.  
  20.      Avec cette pouss├⌐e de scolarisation, naquit un mouvement visant ├á am├⌐liorer les ├⌐coles municipales. Vers les ann├⌐es 1840, dans la plupart des r├⌐gions de l'Am├⌐rique du Nord britannique, le caract├¿re volontaire, fortuit et irr├⌐gulier de l'├⌐ducation scolaire a rendu manifeste qu'il fallait d├⌐sesp├⌐r├⌐ment transformer les immeubles, les ma├«tres et les m├⌐thodes. Les objectifs des r├⌐formistes ├⌐taient l'uniformit├⌐, la r├⌐gularit├⌐ et l'efficacit├⌐ -- de meilleurs enseignants, de plus grandes ├⌐coles et des p├⌐riodes de scolarisation plus longues et plus r├⌐guli├¿res. Dans le but de remplacer l'instruction individuelle par la ┬½m├⌐thode simultan├⌐e┬╗ et s'occuper ainsi de plus grands nombres d'├⌐l├¿ves de fa├ºon plus efficace, on pensait que les enfants devaient ├¬tre divis├⌐s en classes, selon leur ├óge et les connaissances acquises. On ajoutait que la consolidation des ├⌐coles et des syst├¿mes scolaires permettrait d'avoir plus de niveaux et, dans les plus grands centres, des classes plus avanc├⌐es ou des ├⌐coles secondaires distinctes pour les ├⌐l├¿ves plus avanc├⌐s. Les ├⌐coles existantes furent transform├⌐es avec l'├⌐volution des r├⌐seaux provinciaux d'├⌐coles ├⌐l├⌐mentaires et secondaires publiques et la notion de gratuit├⌐ scolaire fut graduellement admise partout au pays.
  21.  
  22.      Dans cette nouvelle conception de l'├⌐ducation du dix-neuvi├¿me si├¿cle l'├⌐colier canadien mod├¿le ├⌐tait propre et ordonn├⌐. Les ├⌐l├¿ves occupaient des si├¿ges en rang├⌐es fix├⌐s au plancher. Dans les ├⌐coles normales provinciales, on enseignait aux futurs ma├«tres le bon maintien, de m├¬me que les m├⌐thodes d'enseignement prescrites et les mati├¿res scolaires. Les ├⌐coles furent d'abord situ├⌐es dans les maisons, mais on les d├⌐pla├ºa graduellement dans des ├⌐difices dont la conception architecturale refl├⌐tait le caract├¿re et les objectifs de l'institution. Certaines des plus grandes ressemblaient m├¬me aux prisons et aux asiles magnifiques que les r├⌐formateurs du dix-neuvi├¿me si├¿cle concevaient pour gu├⌐rir les adultes exclus de la soci├⌐t├⌐ de fa├ºon temporaire ou permanente.
  23.  
  24.      Pour favoriser et mettre en place les changements dans le monde de l'├⌐ducation, les gouvernements provinciaux ont cr├⌐├⌐ des d├⌐partements de l'├⌐ducation qui furent dirig├⌐s au milieu du si├¿cle par des surintendants, et qui plus tard, dans plusieurs provinces, devinrent des minist├¿res. Les surintendants et inspecteurs locaux, sous la direction des d├⌐partements provinciaux, supervisaient et approuvaient l'enseignement des ma├«tres dans leurs districts et localit├⌐s, faisant observer graduellement les r├¿glements scolaires provinciaux et imposant l'usage de manuels autoris├⌐s. Avec la consolidation des ├⌐coles et des syst├¿mes scolaires, des plans de carri├¿re furent ├⌐tablis pour les hommes, qui pouvaient ainsi envisager d'occuper le poste de principal ou d'autres postes administratifs. Avec l'expansion de l'├⌐ducation, les femmes dont les services co├╗taient beaucoup moins cher que ceux des hommes, recevant souvent ├á peine la moiti├⌐ du salaire de leurs coll├¿gues masculins, furent engag├⌐es dans les ├⌐coles publiques (common schools) et paroissiales. Vers la fin du si├¿cle, l'enseignement ├⌐l├⌐mentaire ├⌐tait consid├⌐r├⌐ comme une pr├⌐rogative f├⌐minine.
  25.  
  26.      ├Ç l'instar de tous les mouvements de r├⌐forme, le mouvement visant ├á accro├«tre tant la dur├⌐e que la qualit├⌐ de la scolarisation connut de multiples origines et eut des r├⌐sultats divers. Il se manifestait une opposition s├⌐rieuse ├á un bon nombre des innovations que les r├⌐formateurs voulaient apporter. D'ailleurs, les r├⌐gions ou les provinces n'├⌐taient pas toutes ├⌐galement pr├¬tes au changement et ne le souhaitaient pas toutes avec la m├¬me intensit├⌐. Dans les provinces o├╣ la majorit├⌐ des ├⌐coles sont graduellement devenues en th├⌐ories non confessionnelles, et plus ou moins protestantes en pratique, de nombreux parents catholiques et quelques parents de foi anglicane appuy├⌐s par leur clerg├⌐ demandaient que l'├ëtat accorde son aide aux ├⌐coles confessionnelles s├⌐par├⌐es. Les solutions ├á ce probl├¿me variaient d'une province ├á l'autre: la colonie de Terre-Neuve avait plusieurs syst├¿mes scolaires confessionnels, l'Ontario et le Qu├⌐bec avaient un syst├¿me double; certaines provinces ne donnaient que peu ou pas d'appui aux ├⌐coles confessionnelles. Dans quelques provinces, des d├⌐bats sur les ├⌐coles s├⌐par├⌐es ont influenc├⌐ le cours de la politique provinciale. ├Ç la fin du si├¿cle, la Question scolaire manitobaine fit son entr├⌐e sur la sc├¿ne politique nationale, produisant une des ├⌐lections les plus chaudement d├⌐battues de l'histoire du Canada. La religion n'├⌐tait pas la seule source du conflit. Beaucoup de gens croyaient que l'├⌐cole gratuite, les enseignants de sexe f├⌐minin dans les ├⌐coles publiques, les tableaux noirs et l'enseignement de la grammaire anglaise ├⌐taient d'excellentes id├⌐es, mais d'autres s'opposaient violemment ├á certaines de ces innovations, sinon ├á toutes, croyant que l'├⌐cole devait demeurer telle qu'elle ├⌐tait ou ├¬tre transform├⌐e d'autres fa├ºons.
  27.  
  28.      Des probl├¿mes surgirent au sein des ├⌐coles et des syst├¿mes scolaires nouvellement cr├⌐├⌐s. Des critiques affirmaient que les longues heures d'├⌐tude, le silence forc├⌐ et l'inactivit├⌐ dans des ├⌐coles surpeupl├⌐es, mal a├⌐r├⌐es ou mal chauff├⌐es ├⌐taient extr├¬mement n├⌐fastes ├á l'enfant. Vers la fin du dix-neuvi├¿me si├¿cle, des ├⌐ducateurs s'inqui├⌐t├¿rent de fa├ºon croissante des effets de la scolarisation sur les adolescentes -- les futures m├¿res de ┬½la race┬╗. Les jardins d'enfants, ou maternelles, qui favorisaient en th├⌐orie, sinon en pratique, une plus grande activit├⌐, ├⌐taient consid├⌐r├⌐s comme la solution ├á certains de ces probl├¿mes pour les enfants les plus jeunes. Quant ├á leurs a├«n├⌐s, la gymnastique, les exercices militaires, le chant et l'art furent introduits dans leurs programmes scolaires pour leur permettre de faire de l'exercice physique et de varier leurs journ├⌐es. Dans les r├⌐gions o├╣ les commissions scolaires pouvaient se permettre ces am├⌐liorations ou encore o├╣ les d├⌐partements de l'├⌐ducation insistaient sur leur introduction, les ├⌐coles mal a├⌐r├⌐es, mal chauff├⌐es et bond├⌐es d'├⌐l├¿ves furent graduellement remplac├⌐es par des ├⌐difices plus vastes, mieux a├⌐r├⌐s, ├⌐clair├⌐s et chauff├⌐s.
  29.  
  30.      Une autre cat├⌐gorie de probl├¿mes concernait la client├¿le des ├⌐coles. Les premi├¿res ├⌐coles gratuites avaient de la difficult├⌐ ├á attirer les ├⌐l├¿ves de deux classes de la soci├⌐t├⌐, les riches et les tr├¿s pauvres. Certains des premiers ne voulaient absolument pas des ├⌐coles publiques, consid├⌐rant qu'elles ├⌐taient socialement dangereuses ou inad├⌐quates sur le plan acad├⌐mique. Ils finan├ºaient plut├┤t les ├⌐coles priv├⌐es. Beaucoup de celles-ci, cependant, ne purent survivre ├á la concurrence des ├⌐coles publiques et firent faillite. N├⌐anmoins, certaines ├⌐coles priv├⌐es, dont un bon nombre ├⌐taient li├⌐es ├á une ├ëglise, surv├⌐curent et permirent aux enfants de ceux qui avaient les moyens financiers n├⌐cessaires pour payer les frais de scolarit├⌐ d'├⌐tudier ├á l'abri des masses.
  31.  
  32.      ├Ç l'autre extr├⌐mit├⌐ de l'├⌐chelle sociale, les ├⌐coles eurent ├⌐galement de la difficult├⌐ ├á attirer les enfants des pauvres et ├á les faire assister r├⌐guli├¿rement aux cours. Les mauvaises routes et les conditions du temps, le manque d'argent pour se procurer de bons v├¬tements, des souliers et des livres, la maladie, le besoin de s'occuper de leurs cadets et de travailler pour soutenir la famille tenaient un grand nombre d'enfants ├⌐loign├⌐s de l'├⌐cole. Le probl├¿me ├⌐tait particuli├¿rement aigu en p├⌐riode de difficult├⌐s ├⌐conomiques. Vers les derni├¿res ann├⌐es du si├¿cle, des porte-parole de la classe ouvri├¿re commenc├¿rent ├á critiquer l'├⌐cole pour son incapacit├⌐ ├á r├⌐pondre aux besoins des enfants des travailleurs, certains affirmant qu'elle mettait l'accent sur l'individualisme, le mat├⌐rialisme et la comp├⌐tition plut├┤t que sur une formation professionnelle ad├⌐quate et sur l'acquisition d'une pens├⌐e critique. De plus en plus, des ├⌐ducateurs se sont ├⌐galement mis ├á croire que l'├⌐cole s'occupait trop des mati├¿res acad├⌐miques aux d├⌐pens d'une bonne formation pour les enfants qui auraient ├á accomplir des t├óches manuelles ou domestiques. Ainsi, au tournant du si├¿cle, la formation manuelle et la formation professionnelle (y compris l'├⌐conomie domestique pour les filles) devinrent les deux chevaux de bataille des r├⌐formateurs du monde de l'├⌐ducation. Ceux-ci esp├⌐raient que l'introduction de ces mati├¿res augmenterait le respect envers les travaux manuels et domestiques dans la soci├⌐t├⌐ en g├⌐n├⌐ral, de m├¬me que chez les ├⌐l├¿ves, et assurerait en m├¬me temps une certaine formation pratique aux ├⌐l├¿ves qui ne se destinaient pas aux fonctions professionnelles ou cl├⌐ricales.
  33.  
  34.      En d├⌐pit de ces innovations, l'├⌐ducation scolaire ├⌐tait toujours inaccessible ├á certains enfants pour diverses raisons. De plus en plus, l'uniformisation de l'├⌐cole donnait ├á la majorit├⌐ des jeunes une m├¬me exp├⌐rience des ann├⌐es d'enfance et d'adolescence. Mais beaucoup d'enfants ne finissaient pas leurs ├⌐tudes et la plupart des jeunes Indiens et Noirs, un bon nombre des jeunes aveugles ou des sourds et muets, de m├¬me que les enfants dits ┬½d├⌐linquants┬╗ ou pouvant le devenir, se retrouvaient habituellement dans des ├⌐coles distinctes, si toutefois ils y allaient, ou dans des ├⌐coles industrielles sp├⌐ciales, ou m├¬me dans des ├⌐coles de r├⌐forme. Dans ces institutions, on s'effor├ºait de les pr├⌐parer ├á vivre et ├á travailler selon la propre perception des ├⌐ducateurs de leurs handicaps et de leurs besoins.
  35.  
  36.      Le r├¬ve du milieu du dix-neuvi├¿me si├¿cle d'assurer une scolarisation v├⌐ritablement commune ├á tous les enfants ne s'est donc pas enti├¿rement r├⌐alis├⌐. L'├⌐ducation au Canada comme ailleurs, ├⌐tait en fait fragment├⌐e, les enfants ├⌐tant divis├⌐s selon l'├óge, et parfois d'apr├¿s le sexe, la race, la religion et la classe sociale. Cependant, vers la fin du si├¿cle, la scolarisation sous une forme ou l'autre ├⌐tait devenue une exp├⌐rience fondamentale dans la vie de la plupart des enfants, et dans presque toutes les provinces, l'opinion de la majorit├⌐ ├⌐tait si fortement en faveur de l'id├⌐e que, pour les enfants de sept ├á douze ou quatorze ans, un minimum de quatre mois d'├⌐cole par ann├⌐e fut impos├⌐ par la loi. Alors que, presque partout, la pr├⌐sence ├á l'├⌐cole est demeur├⌐e irr├⌐guli├¿re, le nombre des ├⌐l├¿ves pr├⌐sents une journ├⌐e donn├⌐e ├⌐tant toujours fort loin du nombre d'inscriptions, presque universel, l'absent├⌐isme, qui ├⌐tait probablement la norme au d├⌐but du si├¿cle, ├⌐tait consid├⌐r├⌐ vers 1900 comme un comportement d├⌐linquant ou anormal.
  37.  
  38.      On ne fait que commencer ├á comprendre les liens entre l'├⌐volution aux niveaux politique, ├⌐conomique, social et religieux et les modes d'├⌐ducation sans cesse changeants au dix-neuvi├¿me si├¿cle. De toute ├⌐vidence, la fr├⌐quentation irr├⌐guli├¿re des ├⌐coles et la participation libre ├á l'instruction, dans la premi├¿re moiti├⌐ du si├¿cle, se pr├¬taient bien au caract├¿re d'une soci├⌐t├⌐ pr├⌐-industrielle au sein de laquelle la majorit├⌐ des gens vivaient dans des collectivit├⌐s agricoles plut├┤t petites et travaillaient de leurs mains.
  39.  
  40.      La plupart des gar├ºons et filles pouvaient acqu├⌐rir avec peu d'instruction formelle les trois principes fondamentaux, les aptitudes pour le travail manuel, ainsi que les connaissances sociales et religieuses n├⌐cessaires. Il est certain, aussi, que la dur├⌐e prolong├⌐e de la fr├⌐quentation scolaire ├á la fin du dix-neuvi├¿me et au d├⌐but du vingti├¿me si├¿cle, et l'importance grandissante attach├⌐e ├á l'horaire, ├á l'organisation et aux structures formelles dans les ├⌐coles ├⌐taient en relation directe avec l'absence croissante du p├¿re du foyer et la baisse dans la production domestique. Ces changements sont n├⌐s sans doute du soucis de pr├⌐parer l'enfant ├á sa vie de travailleur adulte dans les plus grands milieux de travail structur├⌐s qui s'├⌐tablissaient dans les agglom├⌐rations urbaines.
  41.  
  42.      Toutefois, l'introduction du programme d'├⌐tudes en ├⌐conomie domestique au d├⌐but du si├¿cle r├⌐v├¿le l'h├⌐sitation des ├⌐ducateurs devant le fait que la participation des jeunes filles dans le domaine ne durait qu'au mariage, alors que leur milieu de travail devint le foyer. Lorsque la p├⌐riode de formation se prolongeait sur une p├⌐riode de six ou sept ans, plut├┤t que de deux ou trois ans, l'importance accord├⌐e ├á l'acquisition de connaissances acad├⌐miques ne convenait pas aux gar├ºons de milieux ouvriers, qui l'on croyait, b├⌐n├⌐ficieraient davantage d'une pr├⌐paration aux m├⌐tiers.
  43.  
  44.      Comme les ├⌐coles devenaient de plus en plus le reflet des r├⌐alit├⌐s changeantes du r├┤le de sexe et de classe et de la nature variante de l'├⌐conomie (ou ce qu'elles devaient ├¬tre selon l'opinion des autorit├⌐s scolaires), de m├¬me, les ├⌐coles avaient tendance de refl├⌐ter les transformations dans la vie politique et religieuse du Canada. S'il ├⌐tait admis au d├⌐but du dix-neuvi├¿me si├¿cle qu'un enfant recevrait son ├⌐ducation dans sa langue maternelle d'un enseignant de m├¬me religion, il devenait de plus en plus ├⌐vident qu'├á la fin du si├¿cle ces deux assertions ├⌐taient s├⌐rieusement remises en question.
  45.  
  46.      Comment le climat social, ├⌐conomique, politique et religieux dans l'Am├⌐rique du Nord britannique et au Canada a influenc├⌐ les ├⌐coles et les enfants de ces r├⌐gions qui les fr├⌐quentaient demeure un probl├¿me complexe pour les historiens. ├ëgalement complexe est la question de savoir quel impact les enfants et les ├⌐coles ont eu sur l'un l'autre et sur leurs collectivit├⌐s, les provinces et la nation. Il est certain que les enfants et les ├⌐coles ont jou├⌐ des r├┤les importants dans l'histoire, r├┤les que les historiens ne peuvent plus ignor├⌐s.  
  47.  
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