Pendant la période qui va de la Conquête de la Nouvelle-France jusqu'au milieu du XIXe siècle, Montréal est d'abord et avant tout un centre de commerce. Malgré cette permanence de sa fonction économique principale, la ville subit des transformations importantes, conditions préalables à l'industrialisation qui survient à compter de 1850.
Lors de la Conquête, Montréal a déjà plus d'un siècle d'existence. Elle avait été fondée en 1642 par Paul de Chomedey de Maisonneuve pour être un poste d'évangélisation des Amérindiens et un poste de traite. Très rapidement, Montréal devient la métropole du commerce des fourrures en Nouvelle-France. Ce rôle, toutefois, n'entraîne pas une croissance rapide de la ville qui reste de dimensions modestes: un siècle après sa naissance elle ne compte qu'environ 3 500 habitants et peut-être un millier de plus en 1760.
La croissance de la ville
Après la Conquête, malgré les transformations qu'apporte le changement de métropole, la population de Montréal ne s'accroît guère plus rapidement que pendant le demi-siècle précédent. Elle atteint le chiffre approximatif de 5 500 en 1784. Par la suite, le rythme s'accélère légèrement, mais le taux de croissance reste inférieur à celui de la population de l'ensemble du Bas-Canada. Au tournant du XIXe siècle, la situation change radicalement: Montréal entre dans une phase d'augmentation de la population beaucoup plus rapide qui lui permet de dépasser la capitale, Québec, et de devenir la ville la plus peuplée du British North America.
Croissance de la population à Montréal, 1805-1851
Année Population
1805 9 020
1815 15 000
1825 22 540
1831 27 297
1844 44 591
1851 57 715
La croissance se manifeste aussi au plan physique puisque le terrain bâti s'étend sans cesse. En 1760, le gros de la population vit encore dans la vieille ville du régime français, entourée de murailles. La population sans cesse croissante commence à peine à déborder l'enceinte, se déplaçant vers les faubourgs situés près des trois entrées principales de la ville. Mais dans les années suivantes le mouvement s'accélère et dès 1781, les faubourgs ont pris le pas sur la ville elle-même. Le gouvernement de la colonie reconnaît cette réalité nouvelle quand il fixe les limites de la cité de Montréal en 1792: le nouveau territoire, de forme rectangulaire, englobe la vieille ville, tous les faubourgs et une bande rurale autour de ceux-ci. Ces limites resteront inchangées pendant près d'un siècle. En 1825, la vieille ville ne conserve que vingt-quatre pour cent de la population, le reste étant réparti entre sept faubourgs dont les plus importants sont Saint-Laurent, Québec (ou Sainte-Marie) et Saint-Joseph. La division en faubourgs servira de base à la délimitation des quartiers, lorsque la ville se verra octroyer une autonomie administrative.
Au milieu du XIXe siècle, Montréal a donc atteint une nouvelle stature. Elle est treize fois plus peuplée qu'en 1760 et son territoire s'est étendu considérablement. Elle est maintenant la métropole du Canada. Cette croissance s'explique par un ensemble de facteurs qui débordent le cadre étroit de la ville elle-même.
Pendant les premières décennies qui suivent la Conquête l'activité économique principale est encore, comme à l'époque de la Nouvelle-France, le commerce des fourrures. Montréal se trouve à la tête d'un immense empire de traite qui couvre l'Ouest et le Nord-Ouest du continent nord-américain et qui s'étend jusqu'à l'océan Pacifique. Chaque printemps, une flottille de canots aux dimensions considérables, ayant à leur bord quelques centaines de voyageurs et transportant les marchandises de traite, quitte Lachine en direction des Grands Lacs. Ils reviennent en septembre, chargés de fourrures. Les magnats de la fourrure, les Frobisher, McGillivray, McGill, McTavish et autres, dominent la société montréalaise. Ce sont en très grande majorité des Écossais, bien que des Anglais et des Canadiens français réussissent parfois à se tailler une place parmi eux. Ils se regroupent pour festoyer au sein du Beaver Club qui n'admet que des associés ayant séjourné au moins un hiver dans l'Ouest. Ils habitent de belles résidences et le plus important d'entre eux, Simon McTavish, entreprend même la construction d'un vaste manoir, au flanc de la montagne, qui restera inachevé à cause de la mort de son propriétaire en 1804.
La plupart de ces marchands s'associent dans la puissante Compagnie du Nord-Ouest, concurrente acharnée de la Compagnie de la Baie d'Hudson et qui devra céder le pas à cette dernière en 1821. La fourrure n'est cependant pas un facteur important d'expansion pour la ville elle-même: les activités se déroulent surtout dans l'Ouest et le travail de direction et d'entreposage qui se fait à Montréal n'exige pas une main-d'oeuvre considérable. Il n'y a pas dans la ville d'autres activités économiques majeures et l'immigration en provenance des Îles Britanniques reste faible. Cette situation explique la croissance lente que connaît Montréal entre 1760 et 1800.
Les conditions commencent à changer à la fin du XVIIIe siècle. La transformation principale vient de la création et de la mise en valeur d'un arrière-pays, aux dimensions considérables, qui dépend de Montréal. D'une part, grâce au surplus de population rurale canadienne-française, la vaste plaine de Montréal se peuple systématiquement et devient la zone agricole la plus riche du Québec. D'autre part, avec l'immigration des Loyalistes, le Haut-Canada est ouvert à la colonisation. Dans les deux cas, Montréal est le lieu de passage des hommes et des marchandises. C'est une nouvelle fonction commerciale qui assure dès lors la croissance de Montréal. Grâce à sa position stratégique sur le Saint-Laurent, Montréal devient un des points de rassemblement des denrées coloniales exportées vers l'Angleterre et le centre de redistribution des produits, provenant de divers points de l'Empire, expédiés dans la colonie. La relation entre la ville et son arrière-pays devient déterminante: l'expansion de ce dernier assure la croissance de la première.
Le mouvement s'accentue à compter de 1815, alors que l'immigration en provenance des Îles Britanniques, qui avait été jusque-là peu nombreuse, se gonfle d'effectifs considérables. La plupart de ces nouveaux venus s'installent sur des terres, au Québec et surtout en Ontario, mais quelques milliers d'entre eux s'arrêtent à Montréal où ils forment un nouveau prolétariat urbain disponible pour les grands travaux de construction ou le transport des marchandises.
La relation entre la ville et son arrière-pays sera renforcée par l'amélioration des moyens de communication, en particulier par la construction de canaux facilitant la navigation sur le Saint-Laurent. Le canal de Lachine est inauguré en 1825 et sera agrandi dans les années 1840. Les premiers chemins de fer, La Prairie - Saint-Jean (1836) et Montréal - Lachine (1847), n'apparaissent qu'à la fin de la période, précurseurs de l'ère industrielle.
La nouvelle vocation de Montréal comme centre de commerce assure la croissance de la ville et lui permet de subir, sans trop de douleur, la disparition du commerce des fourrures après 1821.
À côté du commerce, l'activité de fabrication prend, dans la première moitié du XIXe siècle, une place qui, sans être aussi importante, n'en est pour autant négligeable. Vers 1825, plusieurs centaines d'artisans et leurs apprentis fabriquent dans leurs boutiques une gamme étendue de produits, des souliers aux chapeaux, des formes d'outils aux cages d'oiseaux. Déjà, à cette époque, la chaussure occupe une grande place avec ses deux cent soixante-dix-neuf cordonniers et ses quarante-neuf apprentis. Cette fabrication ne se fait pas encore sur une base industrielle. Il y a déjà quelques précurseurs qui ont dépassé le stade artisanal, comme les Molson, brasseurs, ou comme Jonathan Alger dont la forge emploie trente hommes durant l'hiver. Cependant, il faut attendre la fin des années 1840 et le début des années 1850 pour voir l'industrie moderne s'implanter. De 1760 à 1850, Montréal est nettement une ville pré-industrielle, un centre de commerce où la production des biens n'est pas encore le facteur de croissance principal.
La société montréalaise de 1760 à 1850
La société montréalaise est dominée, durant toute la période étudiée, par une bourgeoisie d'affaires dynamique et entreprenante. Les George Moffat, Horatio Gates, Augustin Cuvillier, John Molson, Joseph Masson et autres, prennent, dans les années 1820 et 1830, la relève des magnats de la fourrure de la période précédente. En comparant les marchands-aventuriers de l'époque de la Conquête aux gros importateurs-distributeurs du XIXe siècle, on constate sans doute un changement d'échelle, changement de méthodes ou de denrées, mais leur but demeure le même: faire de Montréal le centre d'un réseau commercial dont ils formeraient l'âme dirigeante. Dans cette optique, ces marchands dominent tous les aspects importants de la vie montréalaise. Principaux employeurs, ils exercent également un contrôle politique par leur appartenance au groupe des «juges de paix» qui font office de conseil municipal avant l'incorporation de la ville. Même après l'élection du premier conseil de ville en 1833, les marchands ne seront pas pour autant évincés de pouvoir: certains d'entre eux sont élus et en plus, les «juges de paix», reprennent l'exercice du pouvoir municipal entre 1837 et 1840. Certains de ces marchands sont, en outre, présents aux instances supérieures, soit comme députés à l'assemblée ou comme membres du conseil législatif ou du conseil exécutif. Par ailleurs, ces marchands se donnent très tôt des instruments pour exercer leur pouvoir: dès la fin du XVIIIe siècle, le Beaver Club leur fournit une occasion de rencontre; en 1817, la fondation de la Bank of Montreal leur permet d'étendre leur domination sur le secteur économique, et enfin en 1822, ils fondent le Committee of Trade, l'ancêtre direct du Montreal Board of Trade actuel, et qui leur servira plus spécifiquement à exercer des pressions sur le pouvoir politique.
Parallèlement à cette activité des marchands, une autre partie de la bourgeoisie montréalaise, à dominante francophone cette fois, exerce une certaine forme de contrôle sur le développement urbain par le biais de la propriété foncière et immobilière. Les familles Berthelet, Viger et Papineau sont particulièrement actives dans ce secteur. Pierre Berthelet, par exemple, est le plus riche propriétaire foncier de la ville; il possède vingt-trois terrains ou immeubles en 1825.
Outre cette classe de marchands et de propriétaires fonciers, ces derniers exerçant d'ailleurs souvent une autre profession, on note la présence à Montréal d'un certain nombre de membres des professions libérales, avocats, notaires, et médecins, qui pratiquent dans les cours de justice et les hôpitaux montréalais. Comme ailleurs dans le Bas-Canada, bon nombre des avocats et des notaires sont actifs dans le domaine politique.
Du milieu du XVIIIe siècle à 1850 se développe à Montréal le secteur de la fabrication. Bien qu'à l'origine très peu de biens soient produits dans la ville et par conséquent doivent être importés il se crée, à Montréal, une classe d'artisans qui voit à combler peu à peu les besoins. La production locale remplira graduellement les exigences de la population pour des produits manufacturés. À ce stade du développement de la production, nous trouvons surtout de petits ateliers où, en sus de l'artisan, travaillent quelques apprentis. Cependant, certains secteurs préfigurent déjà la ville industrielle avec son prolétariat. À côté de ce monde d'artisans, on trouve celui des commis, des petits marchands et des boutiquiers, au rythme de travail ralenti par l'hiver et l'interruption des arrivages de navires, mais qui s'accélère dès l'ouverture de la saison de navigation.
Enfin, à la base de la pyramide sociale on remarque le grand nombre des journaliers et des domestiques. Au recensement de 1825, (particulièrement bien fait pour la ville), ces deux professions comptent pour quarante pour cent de l'ensemble des professions recensées. C'est là le lot des immigrants, qu'ils viennent des campagnes environnantes, ou qu'ils viennent d'Irlande ou d'Angleterre. Leurs conditions de vie précaires, surtout en hiver au moment où l'emploi se raréfie, sont entretenues indirectement par les marchands, intéressés à conserver une main-d'oeuvre pour l'été; c'est ainsi par exemple que les organisations charitables financées par ce groupe, prennent en charge une bonne proportion de ces journaliers et domestiques.
Les tensions sociales que connaît Montréal durant la période 1760-1850 sont avivées par les modifications du caractère ethnique de la ville. Avant 1815, le nombre des nouveaux venus est restreint: il y a un certain mouvement de migration des campagnes vers la ville, auquel correspond une faible immigration en provenance de Grande-Bretagne. Toutefois, après 1815 commence une crue d'immigration en provenance de Grande-Bretagne, irlandaise en majorité, et qui, en quelques années, change le visage de Montréal. Entre 1832 et 1861, la population de la ville est à majorité anglophone. Les effets de ce changement sont perceptibles à plusieurs niveaux. D'abord matériellement, les édifices construits durant cette période sont d'inspiration architecturale britannique, témoin de cette mode des Terrace houses qui s'empare de Montréal vers 1840-1850. Au plan religieux, l'arrivée de nouveaux immigrants de sectes différentes crée un besoin pressant d'édifices religieux; beaucoup d'Églises protestantes, de même que l'Église catholique irlandaise érigent des églises, de 1820 à 1850. Enfin au plan socio-économique, le caractère de la ville est transformé avec l'arrivée des immigrants irlandais qui font aux Canadiens français une concurrence très vive dans le domaine de l'emploi, ce qui se traduira par une certaine forme d'animosité entre les groupes, animosité qui s'exprime brutalement lors des cabales électorales.
La différentiation spatiale de l'espace urbain montréalais s'effectue d'ailleurs selon une double ligne de clivage: sociale et ethnique. C'est durant ces années que se précise la traditionnelle distinction montréalaise entre l'ouest anglophone et l'est francophone. Alors qu'au recensement de 1825, les francophones sont représentés à peu près également dans tous les faubourgs -- sauf celui de Sainte-Anne -- la répartition s'est nettement polarisée au recensement de 1851. Notons qu'en 1825 ils forment plus de cinquante-quatre pour cent de la population, tandis qu'en 1851 leur proportion tombe à quarante-cinq pour cent. Les Canadiens français se retrouvent maintenant concentrés dans les quartiers situés à l'est de la rue Saint-Laurent, et de plus, ils ne forment qu'à peine plus du tiers de la population de la vieille ville. Les principaux groupes chez les anglophones sont les natifs du Bas-Canada et les Irlandais; à eux deux, ils forment plus de quarante pour cent de la population de la ville. Les Irlandais maintiennent leur présence dans le quartier de Sainte-Anne, mais sont également répartis un peu partout. Les divisions se font aussi selon l'appartenance sociale; c'est ainsi qu'en 1825 on retrouve la bourgeoisie surtout à l'intérieur de la vieille ville et dans le faubourg de Saint-Antoine, tandis que les autres faubourgs présentent une image sociale plus composite. La différentiation spatiale s'effectue à cette époque beaucoup plus au niveau de la rue qu'à celui du quartier. Toutefois, certains faubourgs présentent des caractéristiques assez notables; par exemple le faubourg de Sainte-Anne, point d'arrivée des immigrants irlandais, a une très forte proportion de journaliers et de domestiques. Ces caractéristiques persistent toujours, avec des variations mineures, en 1850.
Les conditions matérielles de la vie urbaine
L'élément le plus remarquable de la vie des villes pré-industrielles est sans contredit la récurrence des grands fléaux. Qu'il s'agisse des éléments naturels ou de la maladie, les villes ne semblent pas savoir les contrôler. À Montréal, ces fléaux s'appellent l'incendie, les épidémies et, dans une moindre mesure, l'inondation.
Dans une ville qui, en 1825 comme en 1851, est construite en bois dans une proportion de plus des trois-cinquièmes, les incendies forment la menace la plus directe. Déjà, par suite de conflagrations au XVIIIe siècle, les constructions de pierre ont remplacé, dans la vieille ville, les constructions de bois, mais dans les faubourgs, il n'y a pas le cinquième des maisons qui soit en pierre. Par exemple, en 1765, 108 maisons disparaissent dans un incendie; trois ans plus tard, une égale quantité de maisons brûle; nouvelle conflagration en 1803. Enfin, le dernier des grands incendies de Montréal imprime, par son ampleur même, un souvenir indélébile dans la mémoire des Montréalais: au début de juillet 1852, le faubourg de Saint-Laurent s'enflamme; quand tout sera terminé, la ville comptera 1 200 maisons de moins et des milliers de sans-abri qui camperont sur l'emplacement de l'actuel parc Lafontaine. Moins spectaculaires mais plus mortelles sont les épidémies. La première à frapper la ville, le choléra de 1832, fait des ravages dans les rangs de la population; de juin à septembre, il y a au moins 1 904 décès attribuables au choléra et le taux de mortalité double, donnant à Montréal et à Québec le titre peu enviable d'avoir été parmi les villes du monde occidental les plus touchées lors de cette épidémie. Le choléra revient périodiquement par la suite, mais ses attaques sont moins virulentes. En 1847, le typhus décime les immigrants irlandais à Montréal. Le troisième des fléaux, l'inondation, est plus localisé. Chaque printemps, les parties basses de la ville, particulièrement le populeux quartier de Sainte-Anne, sont menacées par les eaux du Saint-Laurent en crue.
La lutte contre ces fléaux ne sera entreprise par l'ensemble de la société urbaine que dans la mesure où les membres des classes dirigeantes et leurs biens seront aussi menacés. Alors seulement, on travaillera à doter la ville d'un réseau d'aqueduc et d'égout adéquat, et l'on s'occupera des problèmes des inondations. Pour le moment rien n'est organisé de façon efficace. Il existe bien les sociétés pour la lutte contre les incendies, composées de volontaires et tenant beaucoup à la fois du club sportif et social; leur efficacité s'en trouve ainsi réduite. D'autre part le système d'aqueduc est vraiment rudimentaire: depuis 1800, deux entreprises ont successivement fourni de l'eau à leurs abonnés grâce à un réseau élémentaire de tuyaux. Peu de maisons sont desservies et l'approvisionnement en eau potable repose encore sur le vendeur d'eau. Celui ci dispose d'une voiture à cheval munie d'un baril; il puise son eau dans le fleuve et la distribue ensuite dans les résidences. Il va sans dire que l'eau ne reçoit aucun traitement.
Le système d'égout ne s'élabore vraiment qu'à partir des années 1840; jusqu'à cette date, c'est le laisser faire qui règne. Des rapports médicaux et des récits de voyageurs dénoncent l'habitude de jeter des immondices l'hiver sur la neige, ce qui entraîne au printemps, la transformation de beaucoup de cours de maisons en cloaques aussi nauséabonds que malsains. L'administration municipale ne se préoccupe pas beaucoup, à l'époque, de ces problèmes. Il existe un certain nombre de règlements interdisant telle ou telle pratique jugée dangereuse pour la santé publique ou pour les incendies, mais rien de plus. De la même façon qu'elle compte sur l'initiative privée pour la lutte contre les incendies, la municipalité se décharge de ses responsabilités concernant la santé publique. En temps d'épidémie, on met rapidement sur pied un service de santé qui est démantelé sitôt l'alerte passée; s'avise-t-il de faire des recommandations, elles ne seront jamais retenues.
Dans cet environnement général, qu'en est-il du logement montréalais? Il est le plus souvent en bois, à un ou deux étages avec toit en pente et lucarnes. Malheureusement, très peu de logis de ce type ont survécu aux incendies et aux démolitions, de sorte que l'on se base souvent sur le type de maison qui a survécu, en pierre, pour évaluer les conditions de logement au XIXe siècle. Or, ces dernières ont surtout été construites dans la vieille ville; elles reprennent une forme traditionnelle, pas très éloignée d'ailleurs du modèle de bois, à un ou deux étages avec toit en pente et lucarnes. Dans le cours du XIXe siècle, les deux types de construction, de bois ou de pierre, ont reculé devant les maisons de modèle britannique ou américain, plus élevées et à toit moins incliné. Ce dernier mouvement s'amorce vers 1840-1850.
La quantité de logements semble suivre, avec un certain décalage, la croissance de la population: alors qu'en 1825, on note une proportion de 7,5 habitants par maison, en 1851 le rapport s'établit à 8 personnes; ce qui dénote tout de même une tendance au resserrement du nombre disponible de logements.
Mais à côté de ces logements, la ville se dote d'un grand nombre d'édifices publics. De nombreuses églises sont construites pour répondre aux besoins grandissants de la population. La plus imposante est certainement la nouvelle église paroissiale catholique de Montréal construite entre 1824 et 1829, selon le style néo-gothique. On ouvre des hôtels de premier ordre pour desservir une clientèle formée en grande partie, semble-t-il, d'Américains. En 1842 la municipalité met en chantier le vaste marché Bonsecours avec son architecture imposante. Vers 1833, John Ostell termine, pour le compte de l'administration, l'édifice de la douane situé sur la Place Royale actuelle. Un peu plus tard, dans les années 1840, on transforme le marché Sainte-Anne pour y loger la Chambre d'Assemblée et ses services connexes. La période 1820-1850 témoigne donc d'une activité assez soutenue en fait d'édifices publics, ceci reflétant le nouveau statut de la ville.
Les institutions sont très lentes à s'ajuster aux conditions nouvelles et aux problèmes que pose la croissance urbaine. L'absence d'un conseil municipal électif se fait sentir. Les lois provinciales ayant une portée locale sont appliquées par des juges de paix qui exercent ainsi une tutelle sur l'administration de la ville. Ils adoptent des règlements qui permettent d'éviter une croissance tout à fait anarchique, mais cela est insuffisant pour la bourgeoisie locale. Les marchands réclament, en effet, la création d'une administration municipale qui pourra faire davantage pour le développement de la ville en assurant une meilleure coordination et en réalisant des travaux publics jugés indispensables. Cette demande se réalise en 1833; Montréal élit ses premiers conseillers municipaux et Jacques Viger est le premier maire de la ville. Les troubles de 1837-1838 viennent interrompre cette expérience et l'administration municipale ne sera établie sur une base permanente qu'à compter de 1840.
Montréal a donc connu, pendant la période, des transformations importantes. Vers 1760, elle n'était qu'une petite ville, massivement francophone et dominée par une bourgeoisie anglophone intéressée au commerce des fourrures. Au milieu du XIXe siècle, la traite des fourrures, qui avait été l'image de marque de la ville pendant près de deux siècles, est disparue comme activité significative. La ville est devenue une capitale économique coloniale et son rythme de croissance s'est accéléré. Les Britanniques sont devenus majoritaires et les clivages sociaux plus nets.
Montréal demeure cependant une ville pré-industrielle, tant par son activité économique principale, que par la structure sociale et l'organisation du travail qui la caractérisent, ou par les conditions matérielles dans lesquelles vivent ses habitants. Une ville pré-industrielle qui présente toutefois, à compter de 1820, des signes avant-coureurs de l'industrialisation.
LES SOURCES ICONOGRAPHIQUES
Les sources iconographiques que nous utilisons dans cet ensemble de la série Histoire du Canada en Images posent certains problèmes de critique historique. Les cartes et plans, comme les peintures et les gravures, ne sont pas uniquement des illustrations du réel passé, mais bien des interprétations de ce même réel. De ce fait, il découle qu'on doit les utiliser avec les plus grandes précautions, en recoupant autant qu'il est possible, leur témoignage. Par exemple, la carte de John Adams de 1825 (voir la diapositive numéro 4), comporte un grand degré de fiabilité parce que d'une part, la compétence de son auteur est reconnue et aussi parce que d'autre part, un recensement détaillé nous permet de contrôler les faits. Mais même en cela, nous ne pouvons faire entièrement confiance à notre auteur: lorsqu'il figure la place d'Armes sur son plan, il la figure telle qu'elle devait être, telle qu'elle sera, non pas en 1825, mais en 1830 et en 1840, lorsque l'ancienne église paroissiale et sa tour seront enfin démolies.
La même critique vaut pour les peintures et gravures: R.A. Sproule n'hésite pas à nous montrer en 1830, une église Notre-Dame arborant fièrement ses deux tours, alors que nous savons qu'il faudra une dizaine d'années avant qu'on les termine. Il faut donc sans cesse remettre en question les représentations iconographiques, si nous voulons les utiliser non plus exclusivement comme des illustrations, mais comme une source d'histoire sociale.