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Text File  |  1996-08-11  |  28KB  |  83 lines

  1. D├ëFENSE DE LA NOUVELLE-FRANCE: ┬½LA PETITE GUERRE┬╗ (1660-1760) 
  2.  
  3. Bernard Pothier 
  4.  
  5.      Au milieu de l'hiver de 1690, un d├⌐tachement arm├⌐ de cent quatorze Canadiens (compos├⌐ surtout de Fran├ºais n├⌐s au Canada) et quatre-vingt seize Indiens alli├⌐s sous le commandement de Jacques Le Moyne de Sainte-H├⌐l├¿ne et Nicholas d'Ailleboust de Manthet quitta Montr├⌐al pour la colonie de New York; ils avaient pour objectif le village de Schenectady. Ces hommes se d├⌐pla├ºaient en raquettes et tiraient leurs provisions et leur ├⌐quipement sur des tra├«neaux; c'est ainsi qu'ils arriv├¿rent en vue de leur destination avant minuit le 18 f├⌐vrier. ┬½Gr├óce ├á la neige qui tombait en ├⌐pais flocons┬╗, ils avanc├¿rent sans avoir ├⌐t├⌐ remarqu├⌐s et ne trouv├¿rent pas de sentinelle en place. Les hommes s'engouffr├¿rent par une des portes du village rest├⌐e entreb├óill├⌐e (┬½par n├⌐gligence et indocilit├⌐ des habitants┬╗), s'├⌐tablirent silencieusement ├á des points strat├⌐giques ├á l'int├⌐rieur de la cl├┤ture, cherchant ainsi ├á emp├¬cher la fuite des habitants qui auraient pu aller porter l'alarme ├á Albany, ├á quelque vingt kilom├¿tres vers le sud. Puis, l├óchant des cris de guerre sauvages, les assaillants lanc├¿rent l'assaut contre le village endormi. De fait, le village entier fut pill├⌐ et br├╗l├⌐; quelque soixante habitants furent massacr├⌐s, vingt-cinq hommes et jeunes gens furent faits prisonniers et environ cinquante vies furent ├⌐pargn├⌐es. Au milieu du jour, ayant accomplis leurs m├⌐faits, les envahisseurs quitt├¿rent sans arri├¿re regard cette sc├¿ne de d├⌐vastation et reprirent le chemin de Montr├⌐al, en emmenant cinquante chevaux charg├⌐s de butin.
  6.  
  7.      Telle ├⌐tait la petite guerre, une ┬½v├⌐ritable chasse au gibier humain┬╗. C'├⌐tait une guerre de razzias, de guet-apens, d'attaques surprises, d'escarmouches et de tirs d'embuscades meurtriers provenant du couvert de la for├¬t; une guerre o├╣ la patience et l'endurance allaient de pair avec l'habilet├⌐, le courage et les d├⌐ceptions. D├⌐pass├⌐e en nombre par la population beaucoup plus nombreuse des colonies anglaises depuis le milieu du XVIIe si├¿cle, la Nouvelle-France n'aurait pu survivre autrement pendant aussi longtemps. En effet, pendant trois quarts de si├¿cle, des ann├⌐es 1680 ├á la Conqu├¬te, la d├⌐fense de la Nouvelle-France a repos├⌐ davantage sur de petits d├⌐tachements de soldats suppl├⌐tifs pleins de hardiesse, mieux adapt├⌐s aux particularit├⌐s de la guerre et des randonn├⌐es dans les r├⌐gions inexploit├⌐es de l'Am├⌐rique du Nord, que sur les troupes r├⌐guli├¿res venues de France. Gr├óce aux avantages qu'ils tiraient d'une mobilit├⌐ plus grande, de l'effet de surprise, et du soin religieux qu'ils prenaient ├á ├⌐viter les batailles rang├⌐es, les dirigeants de la colonie de la Nouvelle-France voulaient au moins contenir les ambitions imp├⌐riales des Anglais, sans disposer de la force massive d'arm├⌐es r├⌐guli├¿res.
  8.  
  9.      Le raid de 1690 sur Schenectady symbolise un coup de main militaire caract├⌐ristique d'une longue histoire de guerres coloniales au Canada. Mais Schenectady ne repr├⌐sente pas un ├⌐v├⌐ne- ment isol├⌐; les coloniaux fran├ºais et leurs alli├⌐s sem├¿rent la terreur et la ruine tout le long de l'immense fronti├¿re de la Nouvelle-France, sur terre comme sur mer, des Grands Lacs ├á l'Atlantique, et de la baie d'Hudson au golfe du Mexique.
  10.  
  11.      Les circonstances qui amen├¿rent les colons europ├⌐ens et leurs descendants ├á se perfectionner dans l'art de la guerre ├á l'indienne et ├á l'employer avec efficacit├⌐ constituent un ├⌐pisode dramatique de l'histoire de la Nouvelle-France. D├¿s les d├⌐buts, ces colons ├⌐tablirent une tradition militaire qui est devenue une caract├⌐ristique de la soci├⌐t├⌐ canadienne et qui a persist├⌐ longtemps apr├¿s la p├⌐riode coloniale. Les habitants, install├⌐s principalement le long du Saint-Laurent, ├⌐taient habitu├⌐s, d├¿s l'enfance, ├á chasser, ├á p├¬cher et ├á entreprendre de longs voyages en cano├½. Les coureurs de bois, accoutum├⌐s aux for├¬ts et aux cours d'eau d'Am├⌐rique du Nord, avaient une exp├⌐rience encore plus vaste des d├⌐placements en cano├½ d'├⌐corce de bouleau ou des randonn├⌐es en raquettes, sur de longues distances, ├á la poursuite du castor. C'est autant le caract├¿re particulier de la fronti├¿re que les difficult├⌐s ├á obtenir un soutien ad├⌐quat de la m├¿re patrie qui poussa les Canadiens ├á d├⌐fendre leurs familles et leurs foyers de la m├¬me mani├¿re que la plupart d'entre eux gagnaient leur vie, en ├⌐troite harmonie avec le pays m├¬me. Le fait que les troupes r├⌐guli├¿res fran├ºaises ne pouvaient que difficilement ├¬tre retir├⌐es des champs de bataille en Europe ne faisant que rendre plus imp├⌐rative pour la Nouvelle-France la n├⌐cessit├⌐ de compter surtout sur les hommes et les ressources dont elle disposait. Un observateur am├⌐ricain des ann├⌐es 1750 a not├⌐ le contraste entre les coloniaux anglais et fran├ºais:
  12.  
  13.      Nos hommes ne sont qu'un peuple de fermiers et de planteurs, qui ne savent se servir que de la hache et de la houe. Les leurs . . ., depuis l'enfance parmi les Indiens, sont habitu├⌐s ├á se servir des armes; et ils ont la r├⌐putation de valoir dans cette partie du monde les troupes aguerries, s'ils ne leur sont pas sup├⌐rieurs. Ce sont des soldats qui combattent sans recevoir de solde, habitu├⌐s ├á vivre dans les bois sans ├¬tre aux d├⌐pens de qui que ce soit, ├á marcher sans bagages, ├á se maintenir avec un minimum de munitions et de vivres; cela repr├⌐sente pour nous un immense fardeau.
  14.  
  15. La ┬½Terreur┬╗ iroquoise 
  16.  
  17.      La petite guerre avait pris naissance dans la colonie laurentienne au cours de la seconde moiti├⌐ du XVIIe si├¿cle, comme cons├⌐quence directe des raids iroquois des ann├⌐es 1640 et 1650. La population peu nombreuse de la colonie fran├ºaise fut amen├⌐e par cette exp├⌐rience terrifiante ├á adopter les tactiques et les pratiques barbares de son tenace ennemi.
  18.  
  19.      Contrairement ├á ses voisins du sud, la Nouvelle-France ├⌐tait fond├⌐e sur le commerce des fourrures et continuait d'en d├⌐pendre. Le centre de la traite ├⌐tait ├á Qu├⌐bec qui commandait tout l'arri├¿re-pays; les fourrures parvenaient de la r├⌐gion des Grands Lacs, des vall├⌐es du Saint-Laurent et de la rivi├¿re des Outaouais. Depuis l'├⌐poque de Champlain, les Fran├ºais obtenaient des fourrures des Hurons et des Algonquins au nord des Grands Lacs. Au milieu du XVIIe si├¿cle, ils durent p├⌐n├⌐trer davantage vers l'Ouest, et form├¿rent des alliances avec des tribus comme les Illinois et les Miamis. Avec le temps, dans le but de consolider le r├⌐seau de traites et de maintenir avec les Am├⌐rindiens des relations diplomatiques complexes, mais de premi├¿re importance, de nombreuses bases furent ├⌐tablies ├á Montr├⌐al, Fort Frontenac, D├⌐troit, Michillimakinac et plus ├á l'Ouest.
  20.  
  21.      Cependant, l'expansion du commerce fran├ºais avait ├⌐cart├⌐ des profits de la traite un groupe am├⌐rindien puissant, les Iroquois, qui ├⌐taient install├⌐s au sud du fleuve Saint-Laurent et du lac Ontario; ils r├⌐agirent en se liguant avec les trafiquants hollandais ├á Fort Orange (Albany). Pour obtenir une plus large part du commerce des fourrures, ils avaient commenc├⌐ dans les ann├⌐es 1630 ├á harceler les alli├⌐s am├⌐rindiens de la France. C'est ainsi que l'alliance commerciale fran├ºaise s'est doubl├⌐e d'une alliance militaire; d├¿s 1609, les Fran├ºais, sous la conduite de Champlain, furent entra├«n├⌐s dans la guerre pour soutenir leurs associ├⌐s commerciaux.
  22.  
  23.      Les Iroquois us├¿rent rapidement de repr├⌐sailles. ├Ç la fin des ann├⌐es 1640, apr├¿s avoir en fait ferm├⌐ ├á toute communication les cours d'eau qui permettaient aux trafiquants fran├ºais de transiger avec leurs alli├⌐s am├⌐rindiens de l'Ouest (pays d'en haut), ils r├⌐ussirent ├á supprimer les Hurons. Puis, dans une v├⌐ritable vague de terreur qui dura jusqu'au milieu des ann├⌐es 1660, les Iroquois dirig├¿rent leur fureur contre les Fran├ºais, pour tenter de les arracher ├á leurs ├⌐tablissements le long du Saint-Laurent.
  24.  
  25.      La colonie fran├ºaise en fut traumatis├⌐e. La mobilit├⌐ des Iroquois, bien sup├⌐rieure ├á celle des habitants, leurs mani├¿res fugitives d'approcher, leur endurance ainsi que leur souci d'├⌐viter le combat ouvert et de pr├⌐f├⌐rer l'embuscade, sans ├⌐gard pour personne, qu'il s'agisse d'hommes, de femmes ou d'enfants, ├⌐taient pour les habitants de grands sujets d'inqui├⌐tude. Au moment le plus critique de la ┬½terreur┬╗, les colons furent tout pr├¿s d'abandonner tous ensemble la Nouvelle-France et nombreux parmi eux furent ceux qui s'y r├⌐sign├¿rent et abandonn├¿rent la colonie.
  26.  
  27.      Cependant, en d├⌐pit des Iroquois, la colonie tenait bon et en m├¬me temps pr├⌐parait une contre-attaque efficace. Un camp volant de soldats fut constitu├⌐ pour surveiller le Saint-Laurent depuis Trois-Rivi├¿res jusqu'├á Montr├⌐al, de m├¬me, des milices furent organis├⌐es et des palissades construites. Mais, surtout, les m├⌐thodes de combat chang├¿rent compl├¿tement lorsqu'on se rendit compte peu ├á peu que si l'on voulait vaincre les Iroquois, il fallait le faire sur leur propre terrain et selon leur propre tactique: ainsi les Canadiens en venaient ├á adopter les m├⌐thodes de guerre indiennes. Confront├⌐s par ce qu'un gouverneur de Nouvelle-France appellerait quelques ann├⌐es plus tard, la guerre la plus cruelle du monde, les Canadiens durent se plier ├á ses r├¿gles. En cons├⌐quence,
  28.  
  29. . . . ils apprirent ├á combattre avec la rage du d├⌐sespoir, sans demander ni accorder de quartier, sans souci de la mort, puisque celle-ci ├⌐tait infiniment pr├⌐f├⌐rable au sort r├⌐serv├⌐ ├á ceux que l'ennemi prenait vivant . . . Les deux premi├¿res g├⌐n├⌐rations de colons devinrent, par n├⌐cessit├⌐, aussi aptes ├á la guerilla que leurs ennemis Iroquois.
  30.  
  31. L'aventure au Long Sault 
  32.  
  33.      Au printemps de 1660, des habitants de Ville-Marie (Montr├⌐al) -- ├á cette ├⌐poque la colonie situ├⌐e le plus ├á l'ouest -- mirent au point une nouvelle strat├⌐gie. Un groupe de dix-sept Canadiens command├⌐s par Adam Dollard des Ormeaux auquel s'├⌐taient joints quatre Algonquins et quarante Hurons d├⌐cid├¿rent d'┬½aller ├á la petite guerre et dresser des embusches aux Iroquois ├á leur retour de la chasse. . .┬╗ La petite troupe devait aller au Long Sault sur la rivi├¿re des Outaouais, ┬½et attendre les Iroquois dans le passage au retour de la chasse avec leurs castors, esp├⌐rant les battre et les an├⌐antir facilement, ├⌐tant d├⌐pourvus alors des choses n├⌐cessaires. . . ┬╗
  34.  
  35.      L'aventure ne fut pas heureuse. C'├⌐tait la premi├¿re fois qu'une exp├⌐dition con├ºue enti├¿rement ├á la fran├ºaise ├⌐tait projet├⌐e en dehors des r├⌐gions habit├⌐es; les hommes de Dollard, inexp├⌐riment├⌐s (ils ├⌐taient ┬½peu habiles en canotage┬╗ par exemple), commirent un certain nombre d'erreurs tactiques graves. Ces erreurs ajout├⌐es ├á une malchance persistante furent suffisantes pour condamner l'entreprise ├á l'insucc├¿s. Un jour ou deux apr├¿s l'arriv├⌐e du groupe de Dollard au pied des rapides du Long Sault, on vit surgir, descendant la rivi├¿re, non pas les bandes ├⌐parses habituelles de chasseurs revenant dans leurs villages, mais une troupe de 300 guerriers; ces derniers avaient rendez-vous avec 400 autres qui les attendaient ├á la rivi├¿re Richelieu avant de lancer une attaque massive contre les Fran├ºais.
  36.  
  37.      Bien qu'ils aient montr├⌐ un grand courage au combat, aucun des hommes de Dollard ne surv├⌐cut aux attaques meurtri├¿res des Iroquois. Il faut noter cependant qu'ils avaient ├⌐t├⌐ les premiers ├á prendre l'offensive en dehors des endroits habit├⌐s et qu'ils avaient d├⌐montr├⌐ une certaine perspicacit├⌐. Un autre quart de si├¿cle s'├⌐coulerait avant que de telles incursions deviennent partie des tactiques r├⌐guli├¿res de d├⌐fense en Nouvelle-France.
  38.  
  39. Les coureurs de bois 
  40.  
  41.      Les cons├⌐quences de la guerre iroquoise et les plaintes des colons finirent par rejoindre la France, o├╣ le ministre de la Marine, Colbert, d├⌐cida d'an├⌐antir enti├¿rement ┬½ces barbares┬╗. ├Ç cette fin, en 1665, il envoya ├á Qu├⌐bec 1 200 soldats r├⌐guliers, la plupart du r├⌐giment Carignan-Sali├¿res. En janvier et septembre de l'ann├⌐e suivante, deux grandes exp├⌐ditions furent lanc├⌐es dans le pays des Agniers. Cependant, les soldats r├⌐guliers venus de France, furent bien pr├¿s d'├¬tre vaincus, non par les Iroquois, mais par la nature sauvage du pays. Ils n'├⌐taient pas accoutum├⌐s ├á faire campagne dans une telle contr├⌐e et le d├⌐placement et l'approvisionnement de gros d├⌐tachements de troupes dans ces r├⌐gions sauvages causaient des probl├¿mes de logistique.
  42.  
  43.      Les autorit├⌐s fran├ºaises tir├¿rent, cependant, des le├ºons pr├⌐cieuses des campagnes de 1666. Les dures r├⌐alit├⌐s de la guerre dans le style indien devenaient plus ├⌐videntes. Des v├⌐t├⌐rans endurcis du commerce des fourrures avaient fait partie des exp├⌐ditions et l'on tint compte de leur exp├⌐rience et de leurs aptitudes: robustes, ├⌐nergiques et ind├⌐pendants, ils avaient adopt├⌐ un grand nombre des techniques indig├¿nes. Ces hommes portaient le costume des Am├⌐rindiens, avaient adopt├⌐ leur nourriture et parlaient leur langue; en outre, souvent ils prenaient comme ├⌐pouses des femmes am├⌐rindiennes. ├Ç force de poursuivre le castor et de livrer des combats pour d├⌐fendre leurs pelleteries contre les Iroquois ├á l'aff├╗t, ces Fran├ºais ├⌐taient parvenus ├á surmonter les fatigues dues ├á la g├⌐ographie et au climat hostile du pays.
  44.  
  45.      Au fur et ├á mesure que le temps passait, les autorit├⌐s en vinrent ├á compter ├⌐norm├⌐ment (sinon exclusivement) sur les Canadiens pour pousser des pointes, ├á la mani├¿re indienne, et porter la guerre profond├⌐ment en territoire ennemi. Lorsque les Compagnies Franches de la Marine devinrent force permanente de la colonie dans les ann├⌐es 1680, elles se born├¿rent le plus souvent ├á assurer le service de garnison dans les forts, ├á entretenir les fortifications, et ├á travailler pour le compte des habitants ├á la campagne ou des artisans des villes. Par cons├⌐quent, c'├⌐tait de petits d├⌐tachements sp├⌐cialis├⌐s de la Milice, form├⌐s de Canadiens et g├⌐n├⌐ralement dirig├⌐s par des Canadiens, endurcis par suite d'excursions en for├¬t, qui assuraient la premi├¿re ligne de d├⌐fense, tant sur terre que sur mer, dans les r├⌐gions ├⌐loign├⌐es de Nouvelle-France.
  46.  
  47.     La population acceptait le service militaire, sinon toujours joyeusement, du moins avec bonne volont├⌐ et par sens d'obligation. Cependant, les coureurs de bois ├⌐taient, de notori├⌐t├⌐ publique, indisciplin├⌐s et irrespectueux de l'autorit├⌐. Des officiers fran├ºais comme Pierre de Troyes, bien qu'il n'e├╗t pu que difficilement r├⌐ussir sans eux, notait tristement que ┬½la discipline que demande la r├⌐gularit├⌐ du service . . . manque ├á la valeur naturelle des Canadiens┬╗ et que ┬½le caract├¿re des Canadiens . . . ne s'accorde gu├¿re avec la subordination.┬╗ Cependant, des gouverneurs avis├⌐s, comme Denonville, avaient vite fait de noter le profond respect que les Canadiens portaient ├á leurs chefs qui seuls, semble-t-il, pouvaient avoir raison de leur insouciance. Sous le commandement d'hommes tels que les Le Moyne, les Hertel, les Robinau et les Coulon, les Canadiens ├⌐taient de loin meilleurs soldats que les troupes r├⌐guli├¿res envoy├⌐es de France, dans les conditions que l'on rencontrait en Am├⌐rique du Nord.
  48.  
  49. La d├⌐fense de la Nouvelle-France jusqu'en 1713 
  50.  
  51.      Lorsqu'il arriva ├á Qu├⌐bec en 1685, le gouverneur Denonville trouva la Nouvelle-France serr├⌐e entre deux tenailles g├⌐antes. Au sud et au sud-ouest, les Iroquois, activement soutenus par les Anglais ├á New York (la colonie hollandaise ├⌐tait pass├⌐e ├á l'Angleterre en 1664) avaient recommenc├⌐ leurs incursions, cette fois elles furent port├⌐es contre les alli├⌐s de la France ├á l'ouest; tandis qu'au nord et au nord-ouest, la Compagnie de la Baie d'Hudson, nouvellement ├⌐tablie, s'accaparait graduellement du commerce de fourrures. Denonville d├⌐cida d'abord de neutraliser la menace du nord en autorisant un d├⌐tachement de cent hommes (soixante-dix Canadiens et trente soldats r├⌐guliers des troupes de la Marine) sous le commandement de Pierre de Troyes, le capitaine le plus comp├⌐tent de la colonie, ├á se diriger vers la baie de James, ├á se saisir des commer├ºants anglais et ├á ├⌐tablir des postes fran├ºais rivaux dans la r├⌐gion.
  52.  
  53.      L'exp├⌐dition quitta Montr├⌐al ├á la fin de mars 1686, par voie d'eau, empruntant le cours tumultueux de la rivi├¿re des Outaouais jusqu'au lac T├⌐miscamingue et de l├á, en passant par une s├⌐rie de lacs et de cours d'eau coup├⌐s de portages ext├⌐nuants jusqu'├á la rivi├¿re Moose, qui se jette dans la baie de James. On n'avait jamais jusqu'├á pr├⌐sent tent├⌐ une exp├⌐dition aussi lointaine. Apr├¿s quatre-vingt-cinq jours d'├⌐preuves incroyables et de p├⌐rils constants, au cours desquels les hommes sombraient parfois dans un d├⌐sespoir qui les portaient au bord de la mutinerie, l'exp├⌐dition arriva finalement ├á la baie de James le 21 juin. Le succ├¿s de cette exp├⌐dition vint principalement de l'exp├⌐rience que les Canadiens avaient des pays du nord et de leur loyaut├⌐ envers leurs propres chefs, en particulier envers les fr├¿res Le Moyne, Sainte-H├⌐l├¿ne et Iberville. Sans l'endurance de ces hommes et leur vaste exp├⌐rience des voyages en pays inexploit├⌐, l'exp├⌐dition n'aurait probablement jamais atteint ses objectifs.
  54.  
  55.      Une fois l├á, et en d├⌐pit de la paix qui r├⌐gnait alors officiellement entre l'Angleterre et la France, les hommes du chevalier de Troyes prirent d'assaut en peu de temps trois postes anglais, s'appropriant au cours des op├⌐rations de grandes quantit├⌐s de fourrures. Au premier poste, le Fort Moose, de Troyes admit qu'il ├⌐prouva ┬½beaucoup de peine ├á arr├¬ter la fougue de nos Canadiens qui, faisant de grands cris ├á la fa├ºon des sauvages, ne demandaient qu'├á jouer des couteaux┬╗ d├¿s que des br├¿ches eurent ├⌐t├⌐ pratiqu├⌐es dans la palissade. En 1686, l'adaptation ├á la guerre de style indien ├⌐tait compl├¿te et, avec l'exp├⌐dition de la baie de James, commen├ºait une nouvelle ├¿re dans les relations anglo-fran├ºaises.
  56.  
  57.      La colonie ne tarda pas ├á se rallier aux nouvelles tactiques qui, ├á partir des ann├⌐es 1680 caract├⌐ris├¿rent la plupart des op├⌐rations militaires contre les colonies anglaises, jusqu'├á ce que les exigences de la Guerre de Sept ans imposent une forme de guerre plus conventionnelle. Au cours de cette p├⌐riode, le peuplement plus important des colonies anglaises et les int├⌐r├¬ts commerciaux puissants que l'Angleterre avait en Am├⌐rique firent irr├⌐vocablement pencher l'├⌐quilibre en sa faveur. Cependant, la cr├⌐ation de petits d├⌐tachements, dans le style des exp├⌐ditions de la baie de James, qui lan├ºaient des raids ├⌐clairs contre les positions anglaises, contribua de fa├ºon importante au maintien de la Nouvelle-France pendant trois autres quarts de si├¿cle.
  58.  
  59.      Lorsque des nouvelles annon├ºant une guerre imminente atteignirent les colonies anglaises en 1689, les Iroquois en furent imm├⌐diatement inform├⌐s et ils lanc├¿rent une attaque surprise meurtri├¿re sur Lachine. Le gouverneur Frontenac d├⌐cida d'user de repr├⌐sailles et d├⌐clencha une s├⌐rie de raids ├⌐clairs contre trois ├⌐tablissements le long de la fronti├¿re anglaise. C'est dans ce contexte qu'eut lieu en f├⌐vrier 1690 le raid sur Schenectady. On lan├ºa des raids similaires sur Salmon Falls et Fort Loyal en Nouvelle-Angleterre qui ne furent pas moins d├⌐vastateurs.
  60.  
  61.      Les offensives de 1690 r├⌐v├⌐l├¿rent un nouvel aspect de la petite guerre: la cruaut├⌐. Les Canadiens se montr├¿rent aussi impitoyables que les Iroquois eux-m├¬mes, sinon plus. ├Ç Schenectady et Salmon Falls, les portes des maisons avaient ├⌐t├⌐ enfonc├⌐es et hommes, femmes et enfants avaient ├⌐t├⌐ scalp├⌐s alors que, fous de terreur, ils se d├⌐battaient pour sortir de leurs lits. D'autres avaient ├⌐t├⌐ massacr├⌐s alors qu'ils s'├⌐lan├ºaient hors de leurs maisons incendi├⌐es et pleines de fum├⌐e. Le combat pour la vie que menait la Nouvelle-France exigeait des mesures d├⌐sesp├⌐r├⌐es. ├Ç la baie de James, alors que planait la menace du scorbut, Iberville n'avait permis au chirurgien anglais de chasser afin de se procurer du gibier frais, que pour le faire prisonnier, et acc├⌐l├⌐rer ainsi l'extension de la terrible maladie chez l'ennemi. Lorsque finalement ils capitul├¿rent, les Anglais n'avaient perdu que trois hommes au combat, mais vingt-cinq ├⌐taient morts du scorbut et du froid.
  62.  
  63.      Lorsque la Grande-Bretagne ├⌐tablit sa pr├⌐dominance en Am├⌐rique deux g├⌐n├⌐rations plus tard, le souvenir amer de la sauvagerie des exp├⌐ditions guerri├¿res des Canadiens et des Indiens durait encore. En 1758, James Wolfe, nouveau venu en Am├⌐rique, ├⌐crivait, ┬½Bien que je ne sois ni inhumain ni rapace, j'aurais cependant plaisir ├á voir la vermine canadienne ├⌐cras├⌐e et pill├⌐e et payer ainsi un juste prix pour une cruaut├⌐ comme on n'en avait encore jamais rencontr├⌐e┬╗.
  64.  
  65.      Les rivalit├⌐s s'intensifiant, les Canadiens se mirent ├á pratiquer en m├¬me temps la guerre de course contre les ├⌐tablissements anglais le long de la c├┤te Atlantique et dans la baie d'Hudson. En 1694, les Fran├ºais all├¿rent op├⌐rer jusqu'├á moins de soixante-cinq kilom├¿tres de Boston, tandis qu'un petit escadron de flibustiers canadiens command├⌐ par Iberville prenait Fort York sur la baie d'Hudson. Deux ann├⌐es plus tard, Iberville d├⌐truisit Fort William Henry sur la fronti├¿re de la Nouvelle-Angleterre et de l'Acadie, qui faisait l'objet d'un litige, et fit voile jusqu'├á Placentia pour participer ├á la destruction des p├¬cheries anglaises de Terre-Neuve. Cette derni├¿re campagne se r├⌐v├⌐la la plus destructrice du conflit anglo-fran├ºais tout entier en Am├⌐rique.
  66.  
  67.      Les autorit├⌐s coloniales anglaises du nord ne prirent pas de temps ├á s'exasp├⌐rer de la strat├⌐gie fran├ºaise et unirent leurs forces contre la Nouvelle-France. Alors que leurs assauts contre Qu├⌐bec en 1690 et 1711 ├⌐chouaient, les dirigeants coloniaux se livr├¿rent avec plus de succ├¿s ├á une s├⌐rie de repr├⌐sailles contre les villages ab├⌐naquis et acadiens, dont la prise de Port Royal par un corps de troupe important sous les ordres de Francis Nicholson en 1710 fut le point culminant. Cette victoire fut bient├┤t consolid├⌐e par le Trait├⌐ d'Utrecht qui, en 1713, fit tomber l'Acadie, Terre-Neuve et la baie d'Hudson aux mains de la Grande-Bretagne. Malgr├⌐ ces s├⌐v├¿res pertes territoriales, le coeur de la Nouvelle-France, la colonie du Saint-Laurent, restait intact et la France entreprit de consolider sa position en Am├⌐rique du Nord.
  68.  
  69. La phase finale 
  70.  
  71.      Avec la signature du Trait├⌐ d'Utrecht commen├ºait une p├⌐riode de paix sans pr├⌐c├⌐dent qui devait durer jusqu'en 1744, ann├⌐e o├╣ la guerre ├⌐clata de nouveau. Les hostilit├⌐s se termin├¿rent quatre ann├⌐es plus tard sans pertes territoriales ni d'un c├┤t├⌐ ni de l'autre. Puis, en 1754, les int├⌐r├¬ts commerciaux britanniques et fran├ºais se heurt├¿rent dans la vall├⌐e de l'Ohio et la France et l'Angleterre se trouv├¿rent de nouveau en guerre en 1756. Les ├⌐v├⌐nements des ann├⌐es suivantes (la Guerre de Sept ans) scell├¿rent le destin de la Nouvelle-France. ├Ç ce moment-l├á, les ressources canadiennes ├á la fois en hommes et en moyens ├⌐taient exploit├⌐es au-del├á de ce qui leur ├⌐tait possible. L'Angleterre, d├⌐termin├⌐e ├á mettre la main sur ce qui restait de la Nouvelle-France, jouissait de la ma├«trise incontest├⌐e des voies maritimes vitales de l'Atlantique. Les coloniaux anglais eux-m├¬mes ├⌐taient devenus habiles ├á la guerre de for├¬ts; les exploits des hommes des bois de Virginie et du Kentucky, tireurs d'├⌐lite, et des combattants des unit├⌐s irr├⌐guli├¿res comme les Rogers' Rangers l'avaient prouv├⌐.
  72.  
  73.      Malgr├⌐ leur situation de plus en plus pr├⌐caire, les Canadiens n'avaient rien perdu de leur enthousiasme pour la strat├⌐gie de l'├⌐poque de Frontenac et des Le Moyne. On en re├ºut la preuve de fa├ºon ├⌐clatante en juin 1755, lorsque 250 Canadiens et 600 Indiens mirent en d├⌐route, ├á la Monongah├⌐la, l'arm├⌐e du major-g├⌐n├⌐ral Braddock compos├⌐e de 2 200 soldats r├⌐guliers et de soldats des provinces am├⌐ricaines -- sans aucun doute la victoire la plus impressionnante jamais remport├⌐e par ces irr├⌐guliers.
  74.  
  75.      Mais bient├┤t les r├⌐guliers britanniques adapt├¿rent leurs tactiques aux r├⌐alit├⌐s de l'Am├⌐rique du Nord. L'Angleterre s'├⌐tait d├⌐cid├⌐e ├á faire la guerre en grand, avec des milliers de soldats r├⌐guliers, de solides fortifications et un recours plus important ├á l'artillerie. Les Fran├ºais, afin d'├⌐viter d'├¬tre submerg├⌐s, n'avaient pas d'autres choix que de suivre cet exemple; de l├á, l'arriv├⌐e, en 1755, de troupes r├⌐guli├¿res dites de terre, venues de France, et command├⌐es par le g├⌐n├⌐ral fran├ºais Montcalm. Ainsi, pour la premi├¿re fois, la longue rivalit├⌐ anglo-fran├ºaise aboutissait surtout ├á un combat entre troupes r├⌐guli├¿res engag├⌐es dans des op├⌐rations conformes aux usages ├⌐tablis, qui mettaient le si├¿ge devant les villes selon toutes les r├¿gles; la force traditionnelle de soutien de la Nouvelle-France, la Milice, ├⌐tait r├⌐duite au statut de force auxiliaire.
  76.  
  77.      Comme les op├⌐rations qui se sont d├⌐roul├⌐es ├á Louisbourg, Carillon (Ticonderoga) et Qu├⌐bec devaient le prouver, les troupes d'irr├⌐guliers canadiens et leurs alli├⌐s am├⌐rindiens ne pouvaient pas ├¬tre d'un grand secours dans des op├⌐rations de style europ├⌐en. Pour la premi├¿re fois en face d'un ennemi qui d├⌐clenchaient des feux de salves en tirant ├á d├⌐couvert, ils s'abritaient ou fuyaient. Cependant, en d├⌐pit de ces importantes limites apport├⌐es ├á leurs activit├⌐s, ces combattants continuaient les tactiques de la petite guerre et harcelaient les forces britanniques: les exp├⌐ditions de guerre continuaient leurs raids sur les ├⌐tablissements am├⌐ricains, immobilisaient des forces ennemies sup├⌐rieures en nombre en mena├ºant leur ravitaillement, en tendant des embuscades hardies ├á leurs colonnes ou en repoussant leur avance par la destruction de leurs bases. Mais, ├á la fin, la sup├⌐riorit├⌐ militaire britannique associ├⌐e ├á l'application des r├¿gles les plus strictes de l'art de la guerre aboutirent aux victoires d├⌐cisives de Louisbourg (1758), de Qu├⌐bec (1759) et finalement ├á la capitulation de Montr├⌐al (1760).
  78.  
  79.      La strat├⌐gie, indig├¿ne ├á la Nouvelle-France, faite de raids et d'incursions sur les fronti├¿res, et inaugur├⌐e dans le dernier quart du XVIIe si├¿cle, avait du moins atteint l'objectif ├á court terme: d├⌐fendre la colonie contre les ennemis du sud, sup├⌐rieurs en nombre. Elle avait soutenu le moral des Canadiens en m├¬me temps qu'elle maintenait le prestige de la France aux yeux de ses alli├⌐s am├⌐rindiens et avait r├⌐ussi pour un temps ├á saper s├⌐rieusement le moral de la Nouvelle-Angleterre.
  80.  
  81.      ├Ç la longue cependant, la tactique des Canadiens avait soulev├⌐ l'indignation g├⌐n├⌐rale des Anglo-Am├⌐ricains et avait conduit ├á des exp├⌐ditions d├⌐vastatrices, en particulier contre la colonie de l'Acadie, moins bien d├⌐fendue. En fin de compte, ce qui a pes├⌐ le plus sur les ├⌐v├⌐nements fut la d├⌐termination de la Grande-Bretagne de mettre fin une fois pour toute ├á la mainmise des Fran├ºais sur l'Am├⌐rique du Nord par des moyens militaires puissants et traditionnels, bien soutenus par la sup├⌐riorit├⌐ de sa puissance navale. Cependant, dans la seconde moiti├⌐ du XVIIe si├¿cle, la Nouvelle-France avait fait preuve d'une f├⌐roce d├⌐termination de survivre. De cette d├⌐termination, elle tirait sa plus grande force au temps m├¬me o├╣ ses esp├⌐rances de survie ├⌐taient les plus faibles.  
  82.  
  83.