Les provinces Maritimes n'évoquent pas ordinairement une région où l'esclavage était toléré, ni une région habitée par un grand nombre de Noirs. Pourtant, la vérité est tout autre: l'esclavage y existait effectivement, tout comme aux États-Unis et dans les autres parties de l'Amérique du Nord britannique. En outre, des Noirs habitent les Maritimes depuis le début de la colonisation européenne. Ils vinrent comme esclaves, Noirs libres, ou domestiques liés par contrat, et ils furent au nombre des premiers colons de la région. Ils ont donc été associés à la colonisation dès ses débuts, mais ils n'ont pas été traités comme des associés égaux, et leur histoire est celle d'une longue lutte, qui se poursuit aujourd'hui, contre les préjugés raciaux et la discrimination raciale.
De nos jours, on trouve des Noirs dans les quatre provinces Maritimes, bien que leur nombre soit très restreint à Terre-Neuve et à l'Île-du-Prince-Édouard. Il est difficile d'obtenir des statistiques précises sur le nombre des Noirs au Canada, ou dans une province donnée. Toutefois, on estime que leur nombre en Nouvelle-Écosse se situe entre 25 000 et 30 000, ce qui représente environ trois pour cent de la population. Près de la moitié d'entre eux vivent dans un rayon de 40 kilomètres de Halifax. Au Nouveau-Brunswick, les Noirs constituent moins d'un pour cent de la population, et la majorité sont dans la ville de Saint John. Dans l'Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve, les Noirs sont peu nombreux et il n'y a aucune communauté noire comme telle.
Les Noirs sous le Régime français
De toute évidence, des Noirs vivent dans les provinces Maritimes depuis aussi longtemps que les Blancs. Le premier établissement permanent dans la région remonte à la tentative du Sieur de Monts et de Samuel de Champlain de fonder une colonie dans l'île de Sainte-Croix en 1604. Cette tentative fut un échec désastreux et l'année suivante ils se transportèrent de l'autre côté de la baie de Fundy ou ils fondèrent Port Royal, qui devint la capitale de l'Acadie. À cette époque, l'esclavage était légal dans les colonies françaises et des esclaves vivaient probablement dans la plupart des lieux de peuplement. Il est fort possible que des Noirs aient été parmi les premiers colons de l'Acadie. Un serviteur noir est mort à Port Royal en 1606, et le gouverneur de la colonie avait un serviteur noir en 1608. Les colons français et anglais parlaient ordinairement de serviteurs pour désigner leurs esclaves, et la plupart des serviteurs noirs étaient en fait des esclaves.
Il n'est fait aucune mention de la présence d'esclaves ou de Noirs dans l'Île-du-Prince-Édouard durant le Régime français, et il est fait état pour la première fois de Noirs à Terre-Neuve dans les années 1670, alors qu'un colon anglais au moins avait un serviteur noir. Au Nouveau-Brunswick, on retrouve pour la première fois la présence d'un Noir dans les années 1690. Il s'agissait d'un esclave qui avait été capturé par les troupes françaises au cours d'une incursion en Nouvelle-Angleterre. Il fut ramené dans la vallée de la rivière Saint-Jean et affranchi en 1696 à la suite de l'attaque des établissements français par une expédition venue de Nouvelle-Angleterre dans le territoire du Nouveau-Brunswick actuel.
Noirs de l'époque préloyaliste et Noirs loyalistes
Après la cession de l'Acadie aux Anglais en 1713, des colons venus d'Angleterre et des colonies américaines ont commencé à s'installer dans les territoires occupés aujourd'hui par la Nouvelle-Écosse. Il ne fait pas de doute que certains de ces colons ont amené des esclaves avec eux. Les esclaves noirs ont aidé à la construction de Halifax après sa fondation en 1749. Il s'agissait d'hommes de métier expérimentés et quand leurs services n'étaient plus nécessaires, ils étaient ramenés dans les colonies américaines et vendus, comme l'indique l'avis qui suit publié dans un journal de Boston en 1751: «Tout juste arrivés de Halifax pour être vendus, 10 hommes noirs forts et robustes, pour la plupart des hommes de métier, comme des calfats, des charpentiers, des voiliers et des cordiers.» Les journaux en Nouvelle-Écosse ont commencé eux aussi à publier des annonces pour la vente d'esclaves à la même époque.
Après la chute de la Nouvelle-France, de plus en plus de colons se sont installés en Nouvelle-Écosse, amenant avec eux encore plus d'esclaves, et vers les années 1780 il y avait probablement entre 500 et 600 esclaves noirs dans la région, sans compter les esclaves des Bermudes qui travaillaient sur les bateaux de pêche autour de Terre-Neuve. Mais l'afflux le plus important restait à venir.
Quand la guerre d'Indépendance américaine prit fin en 1783, les Britanniques ont eu à décider de ce qu'ils allaient faire avec les loyalistes, colons restés fidèles à la Grande-Bretagne qui devaient maintenant partir pour échapper à la vengeance des rebelles victorieux, ou parce qu'ils préféraient vivre sous le drapeau britannique. Entre 30 000 et 35 000 loyalistes sont venus dans les provinces Maritimes, la majorité en Nouvelle-Écosse. Un grand nombre se sont établis dans la vallée de la rivière Saint-Jean et en 1784 la colonie séparée du Nouveau-Brunswick était créée. Un petit nombre émigrèrent dans l'Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve. Plusieurs milliers de Noirs, suffisamment pour constituer au moins dix pour cent de la population de la Nouvelle-Écosse, vinrent avec les loyalistes blancs. Environ 3 000 d'entre eux étaient des Noirs libres ou des loyalistes noirs; les autres étaient des esclaves ou des serviteurs liés par contrat, anciens esclaves qui avaient accepté de travailler pour des Blancs durant une certaine période en échange de nourriture, de vêtements et parfois de gages. Les domestiques liés par contrat étaient souvent aussi mal traités que des esclaves.
Les Noirs libres, ou loyalistes noirs, étaient d'anciens esclaves qui s'étaient échappés de chez leurs maîtres durant la guerre. Environ un tiers d'entre eux étaient dans les régiments britanniques ou loyalistes, ou dans les Black Pioneers, régiment formé de soldats noirs encadrés par quelques officiers blancs. Ils avaient autant le droit d'être appelés loyalistes que beaucoup de Blancs qui ne se sont joints aux Britanniques lors de leur évacuation par New York que pour obtenir des terres et des provisions gratuitement.
Les loyalistes noirs escomptaient être traités de la même façon que les loyalistes blancs, mais ils furent profondément déçus. Tous les loyalistes étaient censés recevoir des provisions pour trois ans, ainsi qu'une terre gratuitement. Toutefois, peu de Noirs libres reçurent des concessions de terrain, et quand ils en eurent elles étaient ordinairement plus petites que celles données aux Blancs. Les Noirs recevaient 50 acres (20 ha), alors que les Blancs obtenaient de 100 à 1 000 acres (40 à 404 ha). En outre, les Noirs recevaient habituellement une terre pauvre que personne ne voulait, ou une terre si éloignée des points de peuplement qu'il était presque impossible d'y établir des fermes. Dans les quelques cas où ils reçurent une terre que les Blancs voulaient, les Noirs ont été contraints d'aller ailleurs.
Les loyalistes noirs ont également reçu très peu au chapitre des provisions et des fournitures. Au lieu de provisions pour trois ans, la plupart n'en recevaient que pour cinq ou six mois, et malgré cela ils devaient travailler avant de recevoir quelque chose. Les loyalistes blancs se plaignaient également des promesses non tenues; ils n'ont pas tous eu des terres facilement, ni les provisions promises. Néanmoins, les Noirs en général étaient beaucoup plus mal nantis, et leurs besoins n'ont pas retenu autant l'attention que ceux des loyalistes blancs.
Certains Noirs ont eu la possibilité de travailler comme cultivateurs à bail sur des terres occupées par des Blancs. D'autres pouvaient travailler uniquement comme domestiques ou manoeuvres. Cela était particulièrement vrai dans des endroits comme Saint John, qui a été constitué en ville en 1785. La charte de la ville interdisait aux Noirs de devenir des hommes libres de la ville, ce qui signifiait qu'ils ne pouvaient pas exploiter un commerce, exercer un métier, ou pêcher dans les eaux du port de Saint John sans un permis spécial délivré par le maire et le conseil. Par conséquent, ils pouvaient travailler dans la ville uniquement comme domestiques ou manoeuvres, situation qui convenait aux Blancs, car il y avait une pénurie de main-d'oeuvre à l'époque. Ce genre de discrimination s'est poursuivie à Saint John jusqu'en 1849.
Les Noirs libres du Nouveau-Brunswick étaient exposés à d'autres formes de discrimination. Lors des premières élections qui eurent lieu dans la province, tous les citoyens libres et les colons de la province étaient censés être habilités à voter. Toutefois, par ordonnances spéciales du conseil exécutif, les shérifs des divers comtés ont reçu instruction «de ne pas accepter les votes des Noirs». Cette pratique persista pendant de nombreuses années, jusqu'au moment où, quand les Noirs obtinrent finalement le droit de vote, il était devenu obligatoire d'être propriétaire pour pouvoir voter. Cela signifiait que les habitants de la province devaient posséder une propriété d'une certaine valeur pour avoir le droit de voter. Cette disposition a empêché beaucoup de Blancs pauvres, ainsi que la majorité des Noirs de la province, de voter.
En Nouvelle-Écosse, les Noirs étaient non seulement privés du droit de vote, mais aussi du droit d'avoir un jugement par jury. Dans des endroits comme Shelburne, ils n'avaient pas non plus la permission de tenir des séances de «danses noires» ou de «spectacles noirs»; s'ils enfreignaient cette interdiction, ils étaient arrêtés et accusés de «comportement séditieux». Par la suite, quand les Noirs se sont plaints de la façon dont ils étaient traités, le gouverneur Thomas Carleton du Nouveau--Brunswick répondit qu'étant donné que les Noirs libres s'étaient joints aux Britanniques uniquement pour échapper à leurs maîtres, ils n'avaient droit à rien du gouvernement à part la liberté, et que c'était, quant à lui, une justification suffisante pour ne pas leur accorder le droit de vote.
Il existe de nombreuses preuves que beaucoup de Noirs libres ont été maltraités. Près de Shelburne, par exemple, des Noirs s'étaient établis à Birchtown, où des terres avaient été délimitées pour eux. Beaucoup d'entre eux travaillaient pour des Blancs à Shelburne à des salaires inférieurs à ceux des journaliers blancs. Ces derniers ont donc décidé de chasser les Noirs hors de la ville. Benjamin Marston, arpenteur blanc, décrit dans son journal ce qui s'est passé en juillet 1784:
Il y a eu une grande émeute aujourd'hui. Les soldats licenciés se sont soulevés contre les Noirs libres afin de les chasser de la ville, parce qu'ils travaillaient à des salaires inférieurs à ceux des soldats. L'émeute continue. Les militaires ont contraint les Noirs libres à quitter la ville, et ils ont démoli une vingtaine de leurs maisons.
Plusieurs chefs sont apparus parmi les loyalistes noirs, notamment des pasteurs comme David George, Moses Wilkinson et Cato Perkins. Thomas Peters était un autre dirigeant noir éminent, ancien sergent des Black Pioneers. Mécontent de la façon dont les Noirs libres étaient traités en Nouvelle-Écosse, Peters a essayé, sans succès, de leur obtenir des terres au Nouveau-Brunswick. Puis il décida de se rendre en Angleterre pour exposer leurs doléances aux autorités britanniques. Pendant qu'il était en Angleterre, il eut connaissance d'un projet de philanthropes britanniques de former une colonie pour les Noirs libres au Sierra Leone, sur la côte occidentale de l'Afrique. Peters décida d'aller s'installer dans la nouvelle colonie, et il était sûr que des incidents comme l'émeute de Shelburne, ainsi que la difficulté que rencontraient les Noirs pour obtenir des terres, en convaincraient beaucoup d'autres de s'établir eux aussi en Afrique.
Peters fit le tour de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick pour diffuser la nouvelle au sujet de Sierra Leone. Il se heurta alors à l'opposition de certains Blancs qui ne souhaitaient pas perdre leur source de main-d'oeuvre à bon marché, mais en dépit de cette opposition les autorités britanniques décidèrent d'aider à partir les Noirs qui le désiraient. Quinze navires furent envoyés à Halifax pour les transporter en Afrique. Certains Noirs se rendirent à pied de Halifax à Saint John ou ils se joignirent aux autres qui étaient arrivés des divers lieux de peuplement de Nouvelle-Écosse. Quand les bateaux prirent la mer en janvier 1792, 1 196 Noirs libres étaient à bord. Ce groupe comprenait la plupart des chefs des colonies noires, notamment Thomas Peters et le pasteur David George, ainsi que la plupart des artisans noirs. Ce sont donc les plus démunis qui demeurèrent au Nouveau Brunswick et en Nouvelle-Écosse, où ils continuèrent à travailler pour les Blancs comme domestiques et journaliers. Un certain nombre de petites communautés noires continuèrent de subsister en Nouvelle-Écosse, tandis qu'au Nouveau-Brunswick la plupart des Noirs libres abandonnèrent leurs efforts dans le domaine de l'agriculture et allèrent s'installer à Saint John.
L'esclavage dans les colonies de l'Atlantique
Les Noirs libres étaient capables d'échapper à la pauvreté et à la discrimination au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, mais il y avait toujours des esclaves. En regard du droit, l'esclavage continua d'exister dans les colonies de l'Atlantique jusqu'à ce qu'il soit finalement aboli dans l'Empire britannique en 1833. Les Noirs avaient néanmoins été affranchis longtemps avant cette date. L'esclavage ne s'implanta jamais véritablement dans la région, car il n'y avait pas de vastes plantations ou de fermes nécessitant une main-d'oeuvre esclave. Les esclaves coûtaient cher, et la majorité appartenaient à d'anciens officiers loyalistes et à des responsables gouvernementaux importants.
Il s'agissait ordinairement de serviteurs ou de garçons d'écurie, de cochers et de palefreniers. Les annonces pour la vente d'esclaves continuaient de paraître dans les journaux après 1800, mais beaucoup moins fréquemment. Les journaux publiaient aussi à l'occasion des annonces comme la suivante, offrant des récompenses pour retrouver des esclaves:
FUGITIFS
Dans un CANOT DE BOULEAU, du soussigné deux hommes et une jeune fille noirs, qui ont emporté diverses choses avec eux. SAM, entre Noir et Mulâtre âgé de 17 ou 18 ans, de taille moyenne et mince, à la parole vive, essaie de jouer du VIOLON, et vêtu d'un manteau de couleur brune de Londres, de culottes de toile et d'autres vêtements.
BELLER, soeur de SAM, entre Noire et Mulâtresse, 16 ans, de taille moyenne et mince, maigre, porte une cicatrice entre un oeil et la tempe, parle avec lenteur, porte un chapeau recouvert de noir avec doublure blanche, et vivait naguère chez le juge Peters à Saint John. TONY SMITH, certains l'appellent JOE, Noir libre, mais embauché pour un certain temps, il est grand et mince, parle mal, porte un manteau bleu ou brun, des culottes de toile, et transporte d'autres vêtements. Deux des domestiques susmentionnés ont été élevés dans la famille. Toute personne qui les arrête ou donne des renseignements à M. Ezra Scoflield, Kint Street, Saint John, ou au soussigné, recevra une GUINÉE pour chacun d'eux, et s'ils sont pris à l'extérieur de Saint John, des frais raisonnables seront payés. S'ils sont repris hors de la province, il est demandé qu'ils puissent être mis en prison jusqu'à ce qu'on vienne les chercher. Tous les capitaines de navire et toute autre personne sont avertis de ne pas transporter l'un de ces Noirs, ou de leur donner refuge ou de les cacher, au risque d'avoir à en répondre.
THOMAS LESTER
Waterborough, le 19 juin 1787
Le dernier avis concernant un esclave fugitif a été publié vers 1818. À cette époque, l'esclavage n'était plus très bien vu dans les colonies de l'Atlantique. Un certain nombre de procès avaient eu lieu à ce sujet et bien que cette pratique fût encore légale, les magistrats avaient tendance à considérer avec sympathie le sort de l'esclave. Dans les cas de différends au sujet de leurs droits de propriété, les propriétaires d'esclaves devaient avoir une preuve irréfutable de propriété pour espérer gagner. Après un procès qui s'est déroulé au Nouveau-Brunswick en 1800, un juge qui possédait lui-même des esclaves fut gagné à la cause de ceux qui s'opposaient à l'esclavage et libéra ses propres esclaves. En 1822, le gouvernement du Nouveau-Brunswick indiquait qu'il n'y avait pas d'esclaves dans la province. Cela était probablement vrai pour les autres colonies de l'Atlantique également. Quand l'esclavage fut aboli dans l'Empire britannique en 1833, les esclaves ont pu demander leur liberté et aucun esclave ne le fit dans les colonies de l'Atlantique, ce qui permet de supposer que tous les esclaves avaient déjà été libérés.
Les Noirs marrons
Après les loyalistes noirs, le groupe suivant de Noirs à venir s'installer dans la région des Maritimes fut celui des Noirs marrons, qui se sont établis en Nouvelle-Écosse en 1796. Les Noirs marrons étaient des esclaves fugitifs qui avaient établi des colonies libres à la Jamaïque. Ils y combattirent les Britanniques, et furent amenés par un subterfuge à se rendre en 1795. Environ 500 d'entre eux furent envoyés en Nouvelle-Écosse, où on les installa dans les faubourgs de Halifax. Fiers et intraitables, ces Noirs refusèrent d'accepter les conditions dégradantes qu'ils trouvèrent en Nouvelle-Écosse. On leur offrit du travail à la construction de la citadelle de Halifax, mais ils étaient toujours mécontents et exigèrent d'être envoyés en Afrique. En 1800, cette demande fut accordée et les Noirs marrons furent envoyés au Sierra Leone afin de se joindre aux Noirs libres qui s'y étaient installés huit ans auparavant.
Les réfugiés noirs
Un afflux important de Noirs dans la région survint ensuite en 1815. Il s'agissait des réfugiés noirs, anciens esclaves du Maryland et de la Virginie, qui s'établirent pour la plupart en Nouvelle-Écosse. Durant la guerre de 1812, les Britanniques avaient fait le blocus de presque toute la côte Atlantique des États-Unis et avaient occupé la baie de Chesapeake pendant un certains temps. Durant cette occupation, les esclaves avaient été encouragés à fausser compagnie à leurs maîtres et ils trouvèrent refuge à bord des navires de guerre britanniques. Quand la guerre se termina, les Britanniques décidèrent de les envoyer en Nouvelle-Écosse, étant donné que beaucoup de Noirs y vivaient déjà. Les responsables gouvernementaux à Halifax avaient des sentiments mêlés au sujet de savoir s'il fallait permettre aux 2 000 réfugiés Noirs de venir s'y installer.
Nombre de Néo-Écossais estimaient qu'il y avait déjà beaucoup trop de Noirs dans la colonie. Le lieutenant-gouverneur demanda donc au gouvernement du Nouveau-Brunswick d'accepter environ 500 réfugiés, ce que fit ce dernier, et environ 380 débarquèrent en fin de compte à Saint John.
Certains proposèrent de faire travailler les réfugiés noirs comme apprentis ou ouvriers de ferme. Toutefois, il fut décidé finalement que des terres seraient mises de côté pour eux afin qu'ils forment des points de peuplement qui leur soient propres. Des petits villages furent aménagés en Nouvelle-Écosse près de Halifax, et au Nouveau-Brunswick à Willow Grove près de Saint John. Les petits terrains étaient d'environ 20 hectares au Nouveau-Brunswick et de 3,2 à 4 hectares dans la plupart des points de peuplement de la Nouvelle-Écosse. La majeure partie de ces terres étaient presque sans valeur pour l'agriculture. Les réfugiés noirs recevaient ordinairement des permis d'occupation, mais aucune aide pour former des peuplements. Cela signifiait qu'ils pouvaient occuper la terre, mais comme ils n'en étaient pas propriétaires, ils ne pouvaient pas la vendre ni la léguer à leurs descendants. Les réfugiés sont donc restés libres, mais misérables. En 1818, le juge Chipman du Nouveau-Brunswick déclara que le gouvernement avait agi cruellement en les envoyant sous ces cieux inhospitaliers, et en ne leur donnant aucune aide pour y fonder un point de peuplement. Pendant des années par la suite, les responsables des indigents et les autres représentants du comté ont dû fournir des vivres aux réfugiés pour les empêcher de mourir de faim ou de maladie. Certains Noirs abandonnèrent leurs terres et vinrent s'installer en ville.
En 1825, après avoir essayé pendant dix ans d'obtenir des titres de propriété, ceux qui restaient obtinrent des baux de 99 ans, mais ils voulaient des titres francs d'hypothèques, les mêmes qu'avaient les Blancs. Au Nouveau-Brunswick, cette lutte pour obtenir des concessions de terrains dura plus de vingt ans. Quand des terres furent concédées, un grand nombre de réfugiés noirs vivaient à Saint John et avaient pratiquement abandonné leurs terres. La colonie de Willow Grove continua d'exister, mais au fil des ans, de plus en plus de jeunes Noirs partirent pour la ville. Au début du XXe siècle, le point de peuplement fut abandonné et la terre passa aux mains des Blancs qui possédaient des terrains dans la même région. Dans certains endroits de la Nouvelle-Écosse, cela prit encore plus de temps avant que les Noirs obtiennent un titre de propriété, et certains ne reçurent jamais de titres francs d'hypothèques.
Les immigrants noirs dans les provinces Maritimes
Il n'y a pas eu d'autres afflux importants de Noirs dans la région des Maritimes après 1815. Quelques esclaves fugitifs réussirent à atteindre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse au cours de la période de 1830 à 1860. Ils furent aidés par les abolitionnistes aux États-Unis, et la plupart ont atteint Saint John ou Halifax par bateau. Leur nombre étaient restreint, mais plusieurs d'entre eux devinrent des dirigeants de la communauté noire à Saint John.
Vers la fin du XIXe siècle, un certain nombre de Noirs antillais furent amenés au Cap-Breton pour travailler dans les mines de charbon à Sydney. Quelques-uns de leurs descendants y habitent toujours. Par la suite, au cours de la Première Guerre mondiale, plusieurs centaines d'autres ont été recrutés pour les mines du Cap-Breton, et quelques-uns allèrent à Saint John et d'autres à Halifax où ils travaillèrent au chantier naval. En 1920, l'immigration des Noirs au Canada avait pratiquement cessé, étant donné que la politique du gouvernement était de n'admettre que des colons blancs. Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que cette politique fut dénoncée par les Noirs du Canada, et ce n'est qu'en 1961 que le gouvernement modifia sa politique pour donner à plus d'Antillais la possibilité de s'établir au Canada.
Ces dernières années, la plupart des Antillais se sont installés en Ontario et au Québec, mais quelques-uns sont allés en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick. Toutefois, la majorité des Noirs des provinces Maritimes continuent d'être des descendants des esclaves, des loyalistes noirs et des réfugiés noirs. Ces premiers Noirs éprouvent en général un certain ressentiment à l'égard des nouveaux venus des Antilles, en partie parce que ces derniers sont plus instruits et moins disposés à accepter les emplois non spécialisés et de service normalement occupés par les Noirs. Un grand nombre de Noirs nouvellement arrivés s'estiment supérieurs aux Noirs nés au Canada. Au fil des années, des efforts ont été faits pour unir les Noirs à travers le Canada, mais ces efforts n'ont pas été fructueux.
Les Noirs et la religion
Les Noirs des provinces Maritimes ont toujours été très religieux. Depuis l'époque où les premiers Noirs libres ont commencé à s'installer en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, ils ont formé leurs propres congrégations religieuses et ont eu leurs propres pasteurs.
La majorité adhéra finalement à l'Église baptiste; d'autres qui essayèrent de fréquenter les églises blanches établies y ont souvent trouvé un accueil peu enthousiaste. Beaucoup d'églises au début du XIXe siècle louaient des bancs à leurs paroissiens, et les pauvres, Blancs ou Noirs, étaient obligés de s'asseoir à l'arrière de l'église. À l'occasion, des églises allaient encore plus loin dans la discrimination et réservaient des bancs pour les Noirs à l'arrière de l'église ou au balcon, les isolant ainsi même des Blancs pauvres.
Les Noirs se sentaient rarement les bienvenus même dans les églises où il leur était permis de s'asseoir avec les Blancs et ils préféraient donc leurs propres églises. En Nouvelle-Écosse, un ministre baptiste noir, Richard Preston, groupa les églises baptistes noires en une association baptiste, l'African Baptist Association of Nova Scotia, formée en 1854. On dénombrait plus de vingt églises baptistes noires en 1897 en Nouvelle-Écosse, et la plupart sont encore ouvertes. Des églises noires séparées existaient également au Nouveau-Brunswick à Elm Hill et à Saint John jusqu'au début du siècle. Ces églises étaient très importantes pour les Noirs, du fait qu'elles servaient à la fois une fonction sociale et religieuse, et plusieurs ministres du culte sont devenus des dirigeants des diverses communautés noires.
Les Noirs et l'éducation
Dans le domaine de l'éducation, les Noirs ont été également l'objet de discrimination. Ils furent contraints parfois d'établir leurs propres écoles pour que leurs enfants puissent apprendre à lire et à écrire. Dans certains cas, lorsqu'il y avait peu de Noirs, ils pouvaient envoyer leurs enfants dans les écoles des Blancs, mais en de nombreux endroits les Blancs refusaient d'envoyer leurs enfants à l'école si les enfants noirs y étaient admis. Les Noirs ont donc présenté au gouvernement, parfois avec l'aide de l'Église anglicane, une demande d'aide pour établir leurs propres écoles. C'est ainsi qu'au début du XIXe siècle, il y avait des écoles noires séparées en plusieurs endroits, notamment à Fredericton, Halifax, Preston, Saint John et Hammond Plains. Ces écoles dites africaines ont reçu par la suite l'aide financière du gouvernement et ce n'est que ces dernières années que ces écoles séparées ont disparu dans la plupart des localités.
Au début, les Noirs n'avaient aucune possibilité de faire des études collégiales ou universitaires. Encore en 1949, seulement trois Noirs étaient titulaires d'un diplôme universitaire en Nouvelle-Écosse. Plus récemment, les choses se sont améliorées, et aujourd'hui des Noirs nés au Canada étudient dans la plupart des universités des Maritimes.
Les Noirs au XXe siècle
Jusqu'à tout récemment, la principale préoccupation des Noirs dans les provinces Maritimes a été simplement de survivre. Ils ne pouvaient qu'espérer ne pas mourir de faim en acceptant n'importe quel emploi que les Blancs voulaient bien leur laisser. La discrimination dans l'emploi était pratiquée presque partout. De ce fait, les Noirs sont demeurés pauvres et toute mobilité vers le haut leur était pratiquement impossible. Les immigrants noirs plus récents, qui étaient plus instruits ou avaient la formation nécessaire pour occuper des postes plus prestigieux, ont été en mesure d'atteindre un niveau de vie plus élevé que celui de la plupart des Noirs nés au Canada.
La majorité des Noirs continuèrent de vivre dans des régions rurales isolées à la périphérie des villes blanches, ordinairement sans logement ou services publics convenables. Le seul espoir d'améliorer leur sort était d'émigrer dans des villes telles que Saint John ou Halifax où les possibilités de travail, bien que limitées à certains types d'emplois, étaient beaucoup plus nombreuses. La plus importante colonie noire au Nouveau-Brunswick, Willow Grove, a disparu au début du XXe siècle, les jeunes Noirs allant s'installer à Saint John ou hors de la province. La majorité des Noirs de l'Île-du-Prince-Édouard étaient à Charlottetown, où la plupart travaillaient comme journaliers et jardiniers.
Dans les villes, les Noirs vivaient dans certains quartiers ou dans les faubourgs, comme Africville à Halifax. Dans les localités comme Africville, les Noirs étaient autorisés à construire des maisons, mais les autorités locales se montraient peu disposées à fournir des services même essentiels. Les efforts déployés par les Noirs d'Africville pour obtenir des services d'aqueduc, d'éclairage et d'égout, et des bonnes routes furent sans succès. Beaucoup de Blancs de Halifax considéraient qu'Africville offrait un spectacle honteux pour les yeux, et entachait le caractère distinctif de la ville.
Finalement, les autorités décidèrent de déménager les Noirs qui y habitaient. Africville fut détruite afin que d'autres aménagements urbains puissent être effectués dans cette zone et les Noirs furent replacés dans des quartiers de la ville où ils avaient tous les services municipaux essentiels, des logements plus salubres et un meilleur accès aux services gouvernementaux et aux écoles.
Les tentatives précédentes pour persuader les Noirs d'aller s'établir dans d'autres parties de la Nouvelle-Écosse avaient échoué.
Dans le cas d'Africville, les résidants n'avaient pas grand choix. La localité fut détruite et les personnes qui y habitaient, déplacées. Cependant, les résultats ne furent pas conformes à ce qu'avaient escomptés les planificateurs. Beaucoup de Noirs n'étaient pas heureux dans leurs nouveaux logements. L'esprit communautaire et le sentiment d'unité qu'ils ressentaient à Africville avaient été détruits en même temps que la localité elle-même. Vu les sentiments négatifs éprouvés par ceux qui furent contraints de déménager, il est très peu probable qu'un gouvernement essaie de nouveau une expérience de ce genre.
Au Nouveau-Brunswick, Elm Hill, près de Gagetown, est la seule petite localité noire encore en existence. La majorité des Noirs de la province se sont établis à Saint John ou à Fredericton. En Nouvelle-Écosse, un certain nombre de petites communautés existent toujours, mais la majorité des Noirs habitent Halifax même ou à proximité.
Au cours des années 1960, un nouvel esprit était apparu parmi les Noirs de la région. En partie en raison du mouvement en faveur de l'égalité des droits aux États-Unis, les Noirs ne voulaient plus accepter, sans se plaindre, la façon dont la société blanche les traitait. En même temps, les attitudes du gouvernement à l'égard des droits de la personne et des droits des minorités étaient en train de changer. Les gouvernements se montraient plus disposés à essayer d'éliminer certains des obstacles auxquels les Noirs faisaient face dans leur lutte pour l'égalité. Les coiffeurs blancs n'avaient plus le droit de refuser de couper les cheveux d'un noir; la direction d'un théâtre ne pouvait plus obliger les Noirs à s'asseoir aux balcons; les restaurateurs ne pouvaient plus refuser de les servir; les propriétaires n'avaient plus le droit de refuser de louer à des Noirs. Par le biais d'organisations comme la Commission des droits de la personne au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, et le Black United Front, les Noirs ont commencé à contester plusieurs types de discrimination qu'ils avaient acceptés pendant des années sans rien dire.
Page 1 de 2
(Cliquez "suite" pour aller à la deuxième partie)