Les fêtes et les événements spéciaux comme les mariages rompaient la routine et étaient célébrés avec beaucoup d'entrain dans le milieu de la traite. Les Nor'Westers étaient célèbres pour leurs bals, car les voyageurs aimaient danser. Le Jour de l'An était la fête la plus importante chez les trappeurs et il était célébré suivant des coutumes bien établies. Le Chief Factor John Stuart a décrit les festivités qui eurent lieu à Fort Carlton en 1825. Le matin, les hommes annoncèrent la nouvelle année par une «salve de mousquets», après quoi les hommes du fort, vêtus de leurs plus beaux habits, vinrent offrir leurs voeux au Chief Factor, qui leur offrit du punch, du rhum et des gâteaux. Après le départ des hommes, les femmes du fort offrirent à leur tour leurs voeux et reçurent le baiser «à la mode du pays», qui était la façon coutumière de saluer les femmes dans les postes de traite. La veille, on avait distribué des rations spéciales à chaque famille pour qu'elles puissent avoir un «gros déjeuner» de viande d'ours et de pommes de terre. Vers la fin de l'après-midi, le Chief Factor donna un banquet. Selon la coutume, les hommes mangèrent en premier, suivis des femmes et des enfants. Stuart écrit qu'il s'agissait d'un merveilleux dîner, comportant deux sortes de ragoûts de viande, des côtes et de la viande de bosses de bison en abondance, des tartes aux groseilles et du plum pudding. Au cours de la soirée, tout le monde participa à une danse. À minuit, le Chief Factor souhaita la bonne nuit à l'assistance, après quoi «tous se retirèrent non sans avoir obtenu pour eux trois ou quatre gallons de rhum pour boire à la prospérité de la Compagnie».
Il n'y a aucun doute que la monotonie et la solitude inhérentes à la vie dans ce milieu auraient été bien pires sans le développement de liens familiaux. Il est important de souligner qu'en dépit du fait que les trappeurs n'amenaient aucune femme blanche avec eux, ils ne donnaient pas du tout l'image de pionniers «sans femmes». C'est parce que les membres du personnel de la Compagnie de la Baie d'Hudson aussi bien que ceux de la Compagnie du Nord-Ouest prenaient femme dans des tribus indiennes, principalement chez les Cris, les Sauteux et les Chipiouyans. Ces unions, contractées selon un rite de mariage indigène connu sous le nom de «mariage à la façon du pays» constituaient le fondement de la société de la traite et produisirent une importante population métissée. Au début, la Compagnie de la Baie d'Hudson tenta d'empêcher ses employés d'épouser des Indiennes; elle n'eut toutefois aucun succès et dut finalement imiter la Compagnie du Nord-Ouest et encourager les alliances qui étaient une bonne façon de cimenter des liens commerciaux avec les Indiens.
La «façon du pays» dérivait des coutumes de mariage indiennes. D'abord, le trappeur devait s'assurer du consentement des parents de la femme et payer ensuite le «prix de la fiancée», généralement de l'alcool et des biens de troc. La future épouse était conduite au fort où elle échangeait ses vêtements indiens contre des vêtements «à la mode canadienne». Les femmes des associés étaient traitées avec tout le respect que leur valait le poste de leur époux et les voyageurs les appelaient respectueusement «madame». Il était courant que les familles soient vêtues et nourries aux frais de la Compagnie. La retraite du trappeur soulevait un problème compliqué. Jusqu'à la fondation de la colonie de la rivière Rouge, il n'y avait pas d'endroit dans l'Ouest où un homme pouvait se retirer avec sa famille, et la femme indigène aurait eu de la difficulté à s'adapter à la vie en Grande-Bretagne ou dans l'Est du Canada. C'est ainsi que bien des trappeurs ont quitté leurs femmes indiennes lorsqu'ils ont pris leur retraite. Certaines ont reçu des rentes de leurs maris, d'autres, en particulier celles des Nor'Westers, étaient soutenues financièrement par la Compagnie; d'autres, enfin, retournaient vivre auprès de leur peuple.
On abusait des Indiennes, particulièrement à l'époque de la concurrence entre les compagnies, mais il faut souligner que le milieu des postes de traite encourageait le développement d'unités familiales distinctes et que beaucoup de pères se préoccupaient considérablement du bien-être de leurs enfants. La Compagnie de la Baie d'Hudson a mis sur pied les premières écoles de l'Ouest canadien qui furent établies en 1806 dans les postes de la baie pour assurer des rudiments d'instruction aux enfants des employés. Les garçons trouvaient un emploi dans les compagnies de fourrures, tandis que les filles étaient élevées pour devenir des femmes de trappeurs. Vers le début du dix-neuvième siècle, les filles issues de mariages entre Blancs et Indiennes remplaçaient les femmes indiennes. En conséquence, on considérait de plus en plus que ces mariages étaient des unions pour la vie, et de nombreux trappeurs et leurs femmes métis étaient remariés par les missionnaires. Un nombre assez important d'associés amenaient leur famille avec eux lorsqu'ils se retiraient dans l'Est du Canada. D'autre part, la rivière Rouge, et plus tard, l'île de Vancouver, devinrent le domicile permanent de nombreux employés de compagnie et de leurs familles.
Conclusion
Avec la colonisation, la traite des fourrures et de mode de vie unique qui avait caractérisé les débuts de l'Ouest canadien sont tombés dans l'oubli. La raison d'être de l'étroit lien économique entre les Indiens et les Blancs est disparue, ce qui entraîna la mise à l'écart des Indiens et des Métis de la société. Les voies d'eau demeurèrent silencieuses, les forts, tombés en ruine, furent démolis, leur histoire n'ayant aucune importance aux yeux des gens qui bâtissaient les nouvelles villes de l'Ouest.
La vie des trappeurs était rude, souvent monotone; et pourtant, pour les gens qui la vivaient, elle représentait la liberté et l'aventure. Terminons sur ces mots d'un vieux voyageur qui déclarait en 1825:
J'ai passé quarante-deux ans dans ce pays. Pendant vingt-quatre ans, j'ai voyagé à bord de canots légers . . .Aucun portage n'était trop long pour moi. Je pouvais porter des charges, pagayer, marcher et chanter avec n'importe quel homme . . . Je ne voulais rien posséder et je dépensais monargent à des plaisirs divers. Par deux fois, cinq cents livres me sont passées entre les mains, mais, maintenant, je n'ai même pas une chemise de rechange, et je n'ai pas un sou pour en acheter. Et pourtant, si c'était à recommencer, je n'hésiterais pas un seul instant. Il n'existe pas de vie plus heureuse que celle du voyageur; aucune existence n'est plus indépendante. On ne jouit nulle part ailleurs d'autant de variété et de liberté qu'au pays des Indiens. Huzza! Huzza! pour le pays sauvage!
Page 2 de 2
(Cliquez "suite" pour aller à la première partie)