En 1857, la suppression du monopole de la G.M.A. allait amorcer une tendance au morcellement de la propriété; un grand nombre de compagnies établirent alors des houillères indépendantes se faisant concurrence pour obtenir une part du marché. Des entrepreneurs du Canada central, surtout après la Confédération, et quelques Américains, investirent particulièrement dans les mines de l'île du Cap-Breton. De plus, l'industrie reçut un certain apport de capitaux commerciaux de la Nouvelle-Écosse. Au cours de cette période, les consommateurs de charbon essayèrent de régulariser leurs sources d'approvisionnement, et les Américains et les Canadiens des provinces centrales s'occupèrent de l'industrie du charbon pour essayer d'en faire garantir les approvisionnements ou d'en faire réglementer le prix. Le charbon étant essentiel pour une grande variété de traitements industriels, il fallait que le prix de vente reste au plus bas niveau possible. Au cours de cette période, la plus grande partie du charbon de la Nouvelle-Écosse fut acheminée hors de la région et, de ce fait, le contrôle de l'industrie échappa alors aux gens du cru.
Après la récession économique de 1870, l'industrie connut une importante tendance au regroupement. On assista dans les années 1880 à la fondation de la Nova Scotia Coal and Steel Corporation (N.S.C.S.C.) et, en 1893, la Dominion Coal Corporation (DOMCO), coalition américaine menée par H.M. Whitney de Boston, vit le jour. Destinée à promouvoir la réintroduction du charbon de la Nouvelle-Écosse sur le marché de la Nouvelle-Angleterre, la DOMCO finit par contrôler la plupart des mines actives dans les gisements charbonniers très productifs du côté sud de l'île du Cap-Breton. Ayant son siège social dans la ville de Glace Bay, la compagnie transforma l'exploitation minière dans la région en unifiant la gestion et en réorganisant les mines. En 1900, la N.S.C.S.C. acheta les biens que la General Mining Association possédait encore dans les mines de Sydney et y établit aussi une aciérie. La Dominion Steel Corporation, qui avait son siège à Sydney et dont les dirigeants étaient, en grande partie, les mêmes personnes qui avaient mis sur pied la DOMCO, fut créée la même année pour exploiter davantage les gisements au sud de Sydney.
Différents intérêts financiers et diverses personnalités essayèrent de dominer la DOMCO et la Dominion Steel, ce qui provoqua des tensions. Les entrepreneurs du Canada central et les banquiers de Montréal et de Toronto prirent rapidement le pas sur les intérêts américains de Whitney et, après une courte lutte pour la suprématie, les deux entreprises furent réunies pour former, en 1909, la Dominion Steel and Coal Corporation. La Cumberland Coal and Railroad Corporation, qui exploitait la mine importante à Springhill, fut aussi incluse dans cette fusion. Une autre fusion, touchant cette fois la N.S.C.S.C. et la Dominion Steel and Coal Corporation, entraîna la création de la British Empire Steel and Coal Corporation (BESCO), qui fut en son temps l'un des plus grands conglomérats industriels du pays. Formée en 1919, cette société contrôla la plupart des réserves importantes de charbon de la Nouvelle-Écosse, ainsi que toutes les aciéries. Après plusieurs dizaines d'années de contrôle morcelé, l'industrie du charbon de la Nouvelle-Écosse se retrouva peu à peu sous une gestion unifiée exerçant un quasi-monopole qui demeura presque intact jusque dans les années 1960, même si les droits de propriété changèrent de mains de temps à autre. Au cours de cette période, la BESCO et ses successeurs acquirent plusieurs filiales dans la région, notamment des chemins de fer régionaux et le chantier naval d'Halifax, qui était devenu au cours de la guerre un poste de radoub important pour l'effort de guerre. La BESCO était à tous les points de vue une entreprise géante, qui avait promis initialement de développer l'industrie du charbon et de l'acier en Nouvelle-Écosse, mais le contrôle exercé à partir du Canada central et le manque d'expérience dans l'industrie du charbon causèrent sa perte. Après la création de la BESCO, l'industrie fut presque continuellement en état de crise, sapée par la compression du marché et une gestion inefficace jusqu'à ne plus être viable.
L'industrie était revenue à son point de départ depuis le monopole exercé par la G.M.A., mais nantie cette fois de beaucoup d'encouragement de la part du gouvernement provincial. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique avait accordé aux provinces la réglementation directe de toutes les ressources naturelles et les redevances provenant de la vente de ces ressources devinrent la première source de revenu des provinces coincées, entre la hausse des dépenses et la stagnation des recettes. Une fois engagée, la Nouvelle-Écosse ne pouvait pas tolérer d'interruptions. Les recettes provenant des redevances augmentèrent régulièrement, jusqu'à former, juste avant la Première Guerre mondiale, plus de la moitié de tous les revenus de la province. Il en résulta une association d'intérêts entre le gouvernement et les sociétés minières, ce qui contrecarra sérieusement les intérêts des mineurs.
Le monde du travail dans les mines
Les mineurs britanniques qui vinrent en Nouvelle-Écosse dans les années 1830 et 1840 apportèrent avec eux une longue tradition de main d'oeuvre organisée et très qualifiée, tradition qui comprenait un bon contrôle du lieu de travail et des modèles bien établis de réglementation des relations entre travailleurs et patrons. Dans les mines, l'organisation du travail était strictement hiérarchique et les mineurs expérimentés eux-mêmes occupaient le poste de prédilection au front de taille. Les mineurs qualifiés étaient fiers du caractère exclusif de leur profession et protestaient vivement chaque fois qu'ils s'estimaient lésés dans leurs droits ou leurs privilèges. L'association de ces hommes avec la G.M.A. et ses directeurs donne à l'industrie une allure distinctement britannique, qui persista bien après que les mineurs britanniques eurent perdu leur supériorité numérique. Dans les premiers temps, peu de gens natifs de la Nouvelle-Écosse travaillaient comme mineurs, mais la situation changea sérieusement par la suite.
La G.M.A. instaura le système du travail à forfait dans ses houillères de la Nouvelle-Écosse. Il s'agissait essentiellement de travail à la pièce, car les mineurs étaient payés selon la quantité de charbon extrait plutôt qu'en fonction du nombre d'heures passées dans la mine. Cette formule préservait en apparence l'indépendance du mineur, mais l'amenait aussi à établir, avec les patrons de la mine, des liens réciproques de loyauté qui profitaient aux deux parties, mais se révélèrent finalement très restrictifs de part et d'autre. Les contrats passés entre les mineurs immigrants parrainés et la G.M.A. stipulaient d'habitude le remboursement du prix de la traversée et la promesse de travailler pour la compagnie pendant un certain nombre d'années au taux en vigueur. Au lieu de travail, on accordait la préférence aux hommes endettés envers la compagnie. La G.M.A. fournissait les outils et l'équipement nécessaires, ce qui était normal, mais elle allait beaucoup plus loin en fournissant le logement et le crédit dans ses magasins, conçus pour assurer la stabilité au sein des agglomérations de mineurs. Le travail à la G.M.A. était relativement régulier, mais il y avait encore des époques de l'année où le travail était rare, et pendant lesquelles les mineurs devaient vivre à crédit. Il en résultait un cycle d'endettement auquel peu de mineurs échappèrent vraiment.
Au cours des premières années du monopole, les protestations soutenues furent rares, mais, à l'occasion de conflits individuels, les mineurs se montrèrent déterminés à préserver leur droit de regard sur le lieu de travail. La plupart des premiers conflits portèrent sur des essais d'introduction de mineurs non expérimentés, généralement des habitants de la Nouvelle-Écosse, dans la mine au cours des périodes d'expansion du marché. Les mineurs britanniques s'opposèrent farouchement à ces efforts. Malgré leurs protestations, ces hommes étaient tellement liés à la compagnie, qu'il s'avérait difficile de défendre leurs droits. Le paternalisme de la G.M.A. ne permettait guère l'action indépendante et découragea effectivement la formation de syndicats ouvriers.
Le morcellement de la propriété qui suivit la suppression du monopole de la G.M.A. en 1858 produisit presque immédiatement un affrontement. Les mineurs devaient dorénavant traiter avec un grand nombre de patrons, dont peu étaient aussi imbus des traditions minières britanniques que la G.M.A., et il y eut inévitablement confusion quant aux conditions de travail. Ce qui est plus important, c'est qu'il y avait maintenant concurrence pour les services du nombre limité de mineurs expérimentés. L'immigration de mineurs britanniques, faible mais régulière, continua à servir l'expansion de l'industrie, mais la proportion des mineurs nés en Nouvelle-Écosse par rapport aux travailleurs nés en Grande-Bretagne, augmenta de manière continue. Au moment de la Confédération, ceux nés en Nouvelle-Écosse étaient en majorité, ce qui ne veut pas dire qu'ils dominaient le mouvement ouvrier. Les chefs de file des mineurs étaient toujours britanniques. Jusqu'en 1858, la G.M.A. n'avait été assujettie pratiquement à aucun règlement de sécurité. Lorsque la province entreprit de réglementer l'industrie, la responsabilité de la sécurité incomba au nouveau ministère des Mines, qui manqua de pouvoir à ses débuts, c'est-à-dire à l'époque où l'on vit intervenir le plus grand nombre de compagnies indépendantes dans cette industrie. En 1862, une loi sur les mines réglementa quelque peu l'industrie, mais elle n'apporta qu'une protection sommaire aux mineurs. À la suite d'une grève en 1864, on établit une loi interdisant la formation d'associations de travailleurs, c'est-à-dire de syndicats.
La mise en minorité graduelle de la main-d'oeuvre britannique, «diluée» par de nombreux travailleurs originaires de la Nouvelle-Écosse, et la perte de contrôle sur les conditions de travail, incitèrent éventuellement les derniers ouvriers spécialisés à se regrouper pour la défense de leurs droits. La négligence dont faisaient preuve certaines nouvelles compagnies de charbon dans l'observance des règlements de sécurité par le gouvernement amena les travailleurs à exiger l'application stricte de ces règlements, surtout après les grandes tragédies minières des années 1870. Ce mouvement aboutit en 1879 à la création du premier syndicat industriel canadien, la Provincial Workmen's Association (P.W.A.). Cette organisation, qui connut un succès immédiat dans toutes les mines, était surtout l'oeuvre d'un groupe de mineurs britanniques dirigés par Robert Drummond, grand voyageur, mineur né en Écosse et établi alors à Springhill dans le comté de Cumberland. Presque complètement britannique dans son orientation, la P.W.A. s'attachait surtout à défendre les intérêts des mineurs spécialisés en faisant des démarches discrètes auprès du gouvernement. Au cours de sa première décennie d'existence, la P.W.A. obtint l'amélioration des règlements relatifs à la sécurité dans les mines et aux conditions de travail, mais la négociation collective des augmentations de salaire demeura un phénomène rare. La P.W.A. défendait avant tout le principe selon lequel les mineurs étaient ouvriers spécialisés et exigeait que le gouvernement intervienne pour réglementer leurs relations avec les industriels du charbon dans l'intérêt général de l'industrie. Elle cherchait toutefois, en même temps, à maintenir dans l'organisation du milieu de travail les structures traditionnelles des mines britanniques. Les chefs de la P.W.A. manifestaient peu d'opposition à la structure de l'industrie et semblaient préoccupés d'assurer leur propre place de choix dans la hiérarchie. Avec le temps, ce conservatisme provoqua une lutte pour l'adhésion des mineurs. La majorité de la main-d'oeuvre, spécialement après l'expansion dramatique de la fin du siècle, n'était pas spécialisée selon la tradition britannique.
Un autre facteur qui compliqua les relations entre patrons et ouvriers dans les villes minières fut le mode de formation des agglomérations. Presque toutes les agglomérations minières étaient des villes à industrie unique et, généralement, des villes patronales. La création d'une agglomération reposait entièrement sur les décisions des propriétaires de mines: là où ils décidaient de creuser un puits de mine, une ville surgissait. De fait, les propriétaires s'assuraient habituellement le contrôle de l'aménagement urbain en faisant l'acquisition de nombreuses terres attenantes au chantier de la mine et en y construisant des habitations pour les travailleurs. La domination des compagnies sur les agglomérations minières était semblable, par son caractère envahissant, à celle de la G.M.A. à ses débuts, mais s'exerçait sur une bien plus grande échelle. Ayant la haute main sur l'immobilier, les magasins, l'accès aux soins médicaux et à une foule d'autres services sociaux, les patrons pouvaient dicter les conditions de travail et de vie d'à peu près tous les membres de la collectivité. Ce fut un facteur important dans l'évolution des syndicats. Les logements et les magasins de la compagnie étaient organisés de façon à tenir les ouvriers en bride. Les militants syndicaux pouvaient par exemple se voir refuser l'accès aux maisons de la compagnie ou le crédit à ses magasins que les mineurs appelaient par dérision «magasins écorcheurs» (Pluck Me Stores). Cet état de choses pouvait peut-être se défendre à l'époque paternaliste des premiers temps de la G.M.A., mais devint de plus en plus intolérable pour les milliers de mineurs et de manoeuvres qui affluèrent vers les mines après 1880. La haine quasi universelle des mineurs pour ce système oppressif, et particulièrement pour la version pratiquée par la DOMCO et, plus tard la BESCO, fut un facteur clé de la solidarité qui caractérisa fortement les mineurs après 1900 et en particulier au cours des conflits sociaux prolongés des années 20.
Comme les nouveaux conglomérats en vinrent à dominer l'industrie au XXe siècle, ce fut de plus en plus évident que les ouvriers devaient se donner les moyens d'intervenir avec plus de force dans la détermination des conditions de travail et des salaires. Au cours des 10 années qui précédèrent la Première Guerre mondiale, il y eut une sérieuse concurrence interne pour le soutien des mineurs, mise en évidence en 1909 par une longue grève d'affiliation. Finalement, le syndicat américain United Mine Workers of America, choix des nouveaux mineurs, fut complètement réorganisé en 1919. L'U.M.W. se fit beaucoup plus militant que son prédécesseur, la P.W.A. Les conflits de la période d'avant-guerre -- sauf pour la grève de 1909 -- n'étaient rien en comparaison des conflits presque continuels du début des années 20. La détermination de la BESCO de ramener les salaires au niveau d'avant-guerre provoqua une série de grèves qui força les employeurs à capituler en 1922. Finalement, en 1925, après une autre longue grève, les mineurs forcèrent le gouvernement à former une commission royale d'enquête pour étudier toute la question des relations entre les mineurs, la compagnie et le gouvernement.
Comme les grands progrès techniques de la fin du XIXe siècle et du début du XXe ne visaient pas tant l'abattage proprement dit du charbon que sa sortie des mines, l'augmentation de la production ne pouvait être obtenue que par l'ouverture de nouvelles mines plus grandes et par l'embauche de travailleurs supplémentaires. De fait, c'est dans l'industrie de la houille que le nombre des nouveaux emplois augmenta le plus rapidement dans la province entre 1890 et 1920. Au moment de la Confédération, l'industrie charbonnière de la Nouvelle-Écosse employait environ 3 000 hommes. Au début de la Première Guerre mondiale, ce nombre dépassait 12 000; l'industrie charbonnière et sa parente, la sidérurgie, occupaient alors plus d'un cinquième de la population active de la Nouvelle-Écosse. Cette réalité, jointe à l'importance des redevances pour le Trésor provincial, faisait de l'industrie charbonnière la plus importante de la province, et les relations entre mineurs et compagnies houillères devinrent une préoccupation primordiale pour le gouvernement. Dans la perspective d'un conflit de travail ou au premier signe d'une interruption de la production normale, le gouvernement provincial épousait les intérêts des compagnies et intervenait en leur faveur. Pour leur part, les mineurs prenaient de plus en plus à leur compte les objectifs des éléments les plus militants du mouvement ouvrier: reconnaissance pleine et entière des droits de négociation de leurs représentants élus, diminution des heures de travail, augmentation de salaire, amélioration des conditions de travail dans les mines et limitation du pouvoir discrétionnaire des compagnies.
Les mineurs survécurent aux troubles des années 20 sans rien perdre de leur esprit collectif, qui avait pourtant souffert quelques meurtrissures. À certains moments, leurs collectivités semblaient assiégées. L'intransigeance de la BESCO, appuyée activement par les gouvernements provincial et fédéral, amena les mineurs à défendre leurs intérêts par tous les moyens à leur disposition. Les villes minières devinrent presque une seconde place de résidence pour les militaires envoyés pour contribuer au maintien de l'ordre et protéger la propriété des magnats du charbon. Au cours des années 20, à maintes reprises, les différents paliers de gouvernement appuyèrent la détermination de la compagnie à s'opposer par la force aux demandes des mineurs. Par ailleurs, les administrations municipales des villes houillères étaient passées de plus en plus sous l'influence des mineurs, et leurs dirigeants acceptaient de moins en moins de céder aux pressions de la compagnie. Cette situation accentua la dépendance de la compagnie sur les autorités fédérales et provinciales en période de crise. Les grèves donnaient inévitablement lieu à la confrontation et occasionnellement à la violence, et les mineurs étaient déterminés à obtenir des concessions en faisant fermer les mines, alors que la compagnie et le gouvernement semblaient également déterminés à contrecarrer leurs desseins.
Face à cette immense opposition, les mineurs persévérèrent, formulant et promulguant leur propre conception unanime du système capitaliste et adoptant des positions de plus en plus radicales face à l'industrie du charbon.
En établissant leur droit de faire la grève pour obtenir les augmentations de salaires et l'amélioration de leurs conditions de travail, les mineurs firent progresser la position des travailleurs dans tout le pays. Leur attitude fut une réaction universelle à la perte de leur autorité sur le lieu de travail au cours d'une période de transformation rapide. Le fait qu'ils n'aient pas atteint leurs objectifs immédiats et les longs troubles économiques que connut l'industrie au cours des années suivant la Première Guerre mondiale ne témoignent pas de leur faiblesse, mais plutôt de la vénalité d'une compagnie géante et des défauts inhérents à une stratégie industrielle, prenant place au centre du Canada, qui accordait peu de place à l'aménagement de centres industriels régionaux, fondement du problème. Quand la production se révélait supérieure à la demande nationale, non seulement dans les charbonnages mais aussi dans les aciéries et dans une foule d'industries secondaires, on laissait l'économie générale dépérir et dépendre de plus en plus des largesses du gouvernement fédéral. La situation ne pouvait qu'amener une réévaluation continuelle des conséquences des politiques nationales sur la région.
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