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Text File  |  1996-08-11  |  13KB  |  36 lines

  1.      Par contre, les maisons des ouvriers ├⌐taient entass├⌐es sur des terrains ├⌐troits de 7,6 m├¿tres (25 pieds) de large mesur├⌐s avec minutie par des promoteurs immobiliers rapaces. Ne pouvant se permettre l'achat d'une voiture, la majorit├⌐ des travailleurs vivaient pr├¿s de leur lieu de travail, dans la partie industrielle de la ville, o├╣ les terrains ├⌐taient moins chers et o├╣ on entendait nuit et jour le sifflement des trains et les manoeuvres d'aiguillage des wagons de marchandises. Dans ces quartiers ouvriers aux rues de gravier et aux trottoirs de bois, on se r├⌐unissait surtout dans les salles de billard, les tavernes des h├┤tels, les ├⌐coles, les ├⌐glises, les magasins et les terrains de jeux.
  2.  
  3.      Sans doute le milieu et le style de vie traduisaient-ils le gouffre socio-├⌐conomique qui s├⌐parait l'employeur de l'employ├⌐, mais la d├⌐marcation se faisait aussi sentir au travail o├╣ l'employeur ├⌐tablissait des contacts paternalistes avec ses subalternes plut├┤t que de leur offrir des augmentations de salaires ou d'autres avantages. Les patrons offraient des pique-niques aux employ├⌐s et ├á leurs familles, finan├ºaient des ├⌐quipes sportives ou de petites f├¬tes pour No├½l et versaient des primes ├á la fin de l'ann├⌐e, mesures courantes visant ├á acheter la loyaut├⌐ des travailleurs envers l'entreprise.
  4.  
  5.      Sans que leur situation ait connu de v├⌐ritables progr├¿s, les travailleurs des Prairies prirent graduellement conscience de leur appartenance ├á une classe distincte, gr├óce notamment ├á certains organismes ├⌐trangers, surtout britanniques, qui se consacraient traditionnellement ├á la classe ouvri├¿re et qui s'├⌐taient implant├⌐s t├┤t dans l'Ouest. Des sports populaires peu co├╗teux, comme le football association (soccer) et plus tard le base-ball, permettaient aux travailleurs d'avoir une activit├⌐ commune. De m├¬me, des associations comme la Loge d'Orange et The Sons of England accueillirent des ouvriers, qui finirent par les d├⌐serter en faveur de soci├⌐t├⌐s comme les Oddfellows, les Moose et les Elks, qui, elles, ├⌐taient d'origine am├⌐ricaine.
  6.  
  7. L'activit├⌐ syndicale 
  8.  
  9.      Une v├⌐ritable solidarit├⌐ naissait parfois chez les travailleurs lorsque des patrons inhumains s'attaquaient ├á leur dignit├⌐. D├⌐sireux de se prot├⌐ger contre les bas salaires, les longues heures et les mauvaises conditions de travail ainsi que d'autres abus, les travailleurs du rail furent l'un des premiers groupes d'employ├⌐s ├á s'organiser. Toutefois, le militantisme des travailleurs engag├⌐s dans les ann├⌐es 1880 pour construire la principale voie ferr├⌐e transcontinentale qui traversait les Prairies fl├⌐chit et disparut souvent lorsqu'on fit appel ├á des briseurs de gr├¿ve et ├á la gendarmerie ├á cheval pour que les travaux se poursuivent.
  10.  
  11.      Les efforts d├⌐ploy├⌐s par les mineurs en vue de s'organiser et de r├⌐clamer de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail furent relativement plus fructueux. Ils avaient l'avantage d'avoir un emploi plus stable et de plus grandes comp├⌐tences techniques, et d'avoir aussi une conscience de classe qui s'├⌐tait d├⌐j├á d├⌐velopp├⌐e en Europe et aux ├ëtats-Unis. La Western Federation of Miners, qui fit ses premi├¿res armes au sud de la fronti├¿re, et plus tard la United Mine Workers of America (UMWA), qui r├⌐ussit ├á s'implanter dans les charbonnages de Lethbridge et du Pas du Nid-de-Corbeau, gagna des points pour ses adh├⌐rents, mais seulement en ayant recours ├á la gr├¿ve et ├á la violence. Par contre, la tr├¿s longue campagne men├⌐e par l'UMWA en vue d'organiser les mineurs des mines de charbon de moindre valeur du sud-est de la Saskatchewan mena ├á une confrontation frustrante avec les employeurs et les hommes politiques; le syndicat fut finalement d├⌐bout├⌐ devant les tribunaux en 1907-1908.
  12.  
  13.      Les syndicats ├⌐taient actifs surtout dans les villes des Prairies, mais l'envergure des conflits qui y eurent lieu fut toujours loin d'atteindre celle des gr├¿ves tr├¿s longues qui se produisirent dans les mines et les camps de travail de la Colombie-Britannique avant la Premi├¿re Guerre mondiale. Les grandes industries vou├⌐es ├á l'exploitation des ressources naturelles jou├¿rent un r├┤le moins important dans l'├⌐conomie des Prairies; les comp├⌐tences particuli├¿res des travailleurs faisaient donc la force des syndicats de cheminots et des sections locales des syndicats d'ouvriers sp├⌐cialis├⌐s regroup├⌐s au sein d'un organisme central, le Congr├¿s des m├⌐tiers et du travail du Canada, qui disposait des ressources humaines et financi├¿res n├⌐cessaires pour faire d├⌐marrer le mouvement syndical.
  14.  
  15.      Les syndicats des Prairies ├⌐taient, en g├⌐n├⌐ral, plus conservateurs au niveau de leurs revendications que ceux des mineurs plus ├á l'ouest. Les sections locales se pr├⌐occupaient surtout d'am├⌐liorer le bien-├¬tre mat├⌐riel de leurs membres. M├╗s surtout par leur propre int├⌐r├¬t, les syndicats des villes ├⌐taient parfois entra├«n├⌐s dans des conflits d'attribution avec d'autres syndicats sur les lieux de travail. Toutefois, quelle que f├╗t leur affiliation, les sections locales faisaient office de compagnie d'assurance mutuelle et de soci├⌐t├⌐ charg├⌐e de verser les prestations de d├⌐c├¿s, ainsi que d'amicale et de lieu de rencontre d'├ómes soeurs.
  16.  
  17.      D├¿s 1910, la plupart des syndiqu├⌐s canadiens ├⌐taient au courant des activit├⌐s de tout le mouvement syndical nord-am├⌐ricain gr├óce ├á des p├⌐riodiques internationaux ou ├á des publications locales comme The Voice de Winnipeg, le Labor's Realm de Regina et le Bond of Brotherhood de Calgary. Ces publications empruntaient des articles ├á d'autres p├⌐riodiques syndicaux et on y traitait en abondance des questions int├⌐ressant ceux qui croyaient en la lutte des classes et au socialisme. Manifestement, certains syndicalistes consid├⌐raient qu'il fallait aller au del├á des pr├⌐occupations mat├⌐rielles imm├⌐diates si l'on voulait am├⌐liorer le lot des travailleurs. Les syndicats ├⌐tablirent dans les villes des sections du parti socialiste du Canada; de son c├┤t├⌐, le parti social-d├⌐mocrate fut appuy├⌐ par les mineurs du Pas du Nid-de-Corbeau, notamment ceux d'origine ukrainienne.
  18.  
  19.      Afin de tenter de ravir le pouvoir politique aux hommes d'affaires et aux promoteurs, des syndicalistes se pr├⌐sent├¿rent aux ├⌐lections municipales et provinciales. Le monde ouvrier, qui r├⌐pugnait de plus en plus ├á compter uniquement sur les pressions qu'il pouvait exercer pour faire adopter des mesures l├⌐gislatives favorables aux travailleurs, r├⌐ussit ├á faire ├⌐lire des conseillers ou des d├⌐put├⌐s syndicalistes ou socialistes dans les conseils municipaux et aux parlements de l'Alberta et du Manitoba. Toutefois, les r├⌐sultats qui en d├⌐coul├¿rent sur le plan politique ne furent jamais ├á la hauteur des efforts d├⌐ploy├⌐s.
  20.  
  21.      Les chefs syndicaux d├⌐ploy├¿rent tous les efforts possibles pour montrer au reste de la population que les syndicats repr├⌐sentaient une force importante et croissante au sein de la soci├⌐t├⌐ des Prairies. Les festivit├⌐s qui marquaient tous les ans la f├¬te du Travail comportaient un d├⌐fil├⌐, des manifestations sportives et un grand bal et permettaient aux ouvriers syndiqu├⌐s de chaque ville de montrer le c├┤t├⌐ exemplaire de leur organisation.
  22.  
  23.      D├¿s la fin de la premi├¿re d├⌐cennie du vingti├¿me si├¿cle, la croissance des syndicats indiquait que les travailleurs des Prairies avaient d├⌐velopp├⌐ une v├⌐ritable conscience de classe. Lorsqu'on fit appel ├á la milice en 1906 pour r├⌐primer la gr├¿ve des employ├⌐s des tramways de Winnipeg, de nombreux travailleurs prirent conscience du r├┤le de d├⌐fenseur du capital que jouait l'├ëtat. Au cours des ann├⌐es qui s'├⌐coul├¿rent entre la colonisation des Prairies gr├óce au chemin de fer et le d├⌐but de la Premi├¿re Guerre mondiale, les mesures rigoureuses prises par des employeurs anti-syndicalistes firent aussi comprendre aux travailleurs que, par d├⌐finition, ils constituaient une classe distincte et moins privil├⌐gi├⌐e de la soci├⌐t├⌐ des Prairies. La croissance des syndicats au cours de la p├⌐riode de prosp├⌐rit├⌐ ├⌐conomique qui caract├⌐risa le d├⌐but du si├¿cle t├⌐moignait d'une plus grande confiance en eux-m├¬mes chez les travailleurs organis├⌐s.
  24.  
  25. Les ouvriers, force sociale 
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  27.      La soci├⌐t├⌐ des Prairies ├⌐tait un amalgame de l'ancien et du moderne. Les immigrants qui s'y install├¿rent, avides de libert├⌐, amen├¿rent fatalement dans leur nouveau pays bon nombre de leurs vieilles coutumes; toutefois, l'atmosph├¿re grisante d'avant 1913 fit constamment consid├⌐rer les Prairies comme une soci├⌐t├⌐ o├╣ on pouvait s'enrichir tout en essayant de r├⌐soudre les probl├¿mes au moyen de solutions nouvelles et parfois radicales sans se soucier des conventions. ├Ç la longue, il devint manifeste que le destin de la r├⌐gion et de ses travailleurs ├⌐tait intimement li├⌐ aux fluctuations du march├⌐ du bl├⌐. Des forces industrielles, financi├¿res et politiques de l'ext├⌐rieur d├⌐terminaient l'├⌐tat de prosp├⌐rit├⌐ de la r├⌐gion alors que le labeur des agriculteurs et des ouvriers contribuait au bon fonctionnement de l'industrie du Canada central.
  28.  
  29.      Lorsque la crise de 1913 fit perdre aux travailleurs syndiqu├⌐s beaucoup des avantages qu'ils avaient gagn├⌐s auparavant, de nombreuses sections locales disparurent et les syndicats perdirent des membres. Certains travailleurs constat├¿rent que leur situation n'├⌐tait pas meilleure qu'au moment de leur arriv├⌐e dans les Prairies: ils devaient toujours se mettre ├á la recherche d'emplois saisionniers, l├á o├╣ il y en avait, ou rester longtemps sans travailler. Toutefois, la majorit├⌐ des ouvriers avaient vu au moins une certaine am├⌐lioration de la qualit├⌐ de leur vie au cours du quart de si├¿cle pendant lequel la rude existence qui ├⌐tait le lot des pionniers avait peu ├á peu fait place ├á une vie plus civilis├⌐e. Ils avaient un plus grand nombre des commodit├⌐s que poss├⌐daient d├⌐j├á les ouvriers des autres r├⌐gions du pays, mais aussi bon nombre des m├¬mes probl├¿mes.
  30.  
  31.      Sans doute leurs intentions et leurs aspirations se rapprochaient-elles de celles des ouvriers des autres r├⌐gions, mais ils se rendaient aussi bien compte ├á quel point leur milieu influen├ºait leurs vies et leurs attitudes. D├¿s le d├⌐but, la situation ├⌐conomique, sociale et g├⌐ographique ne favorisait pas la formation d'une classe ouvri├¿re forte, ind├⌐pendante et ├⌐troitement unie. En fait, le syndicalisme se renfor├ºa dans quelques secteurs lorsque les circonstances le permirent. C'├⌐tait le cas lorsque les conditions de vie et de travail ├⌐taient particuli├¿rement m├⌐diocres depuis longtemps, que le rassemblement de travailleurs ayant des ant├⌐c├⌐dents et des id├⌐es similaires permettait ├á une base id├⌐ologique de se constituer ou que de nombreux employ├⌐s ├⌐taient menac├⌐s par des changements touchant le contr├┤le qu'ils exer├ºaient sur leurs m├⌐tiers ou sur leurs lieux de travail. Toutefois, les int├⌐r├¬ts particuliers emp├¬chaient la plupart du temps la compr├⌐hension mutuelle et la coop├⌐ration. La classe ouvri├¿re des Prairies qui manquait de coh├⌐sion, de vigueur et m├¬me parfois de d├⌐termination, ├⌐tait rarement en mesure de r├⌐aliser ses ambitions. Elle ne d├⌐ploya que des efforts sporadiques et non soutenus pour am├⌐liorer sa situation g├⌐n├⌐rale et pour r├⌐agir aux nouvelles situations qui la mena├ºait.
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  33.      Seule la Premi├¿re Guerre mondiale avec son r├┤le de catalyseur permit au sentiment de classe des ouvriers, qui ├⌐tait en germe, de s'├⌐panouir compl├¿tement et d'amener les travailleurs ├á prendre des mesures ├⌐nergiques pour favoriser des changements irr├⌐versibles. Les bouleversements et l'inflation qui accompagn├¿rent la guerre permirent ├á tous les ouvriers des Prairies de r├⌐examiner leur situation, ce qui les amena ├á manifester leur m├⌐contentement de fa├ºon radicale apr├¿s la guerre. La cr├⌐ation de la ┬½One Big Union┬╗ (front commun) et le d├⌐clenchement de la longue gr├¿ve g├⌐n├⌐rale de Winnipeg en sont deux exemples parmi tant d'autres. Presque tous ces efforts furent contrecarr├⌐s par l'Etat ou min├⌐s par la situation socio-├⌐conomique qui pr├⌐valait dans les Prairies avant et apr├¿s la guerre. Sans doute la classe ouvri├¿re avait-elle rencontr├⌐ beaucoup d'obstacles importants avant la guerre, mais elle avait r├⌐ussi ├á imposer sa pr├⌐sence; apr├¿s la guerre, il fallait compter avec elle.
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