LE D╔VELOPPEMENT URBAIN AU CANADA CENTRAL JUSQU'EN 1850
J.M.S. Careless
Introduction: Le thΦme
Alors que les grandes villes et un rΘseau urbain trΦs complexe caractΘrisent le Canada moderne, le dΘveloppement urbain remonte α trΦs loin dans le passΘ. En effet, on peut retracer la naissance des villes jusqu'α l'implantation europΘenne sur les bords du Saint-Laurent, au tout dΘbut de la Nouvelle- France. Que reprΘsentait le poste de Champlain α QuΘbec, en 1608, sinon le dΘbut, I'embryon d'une grande ville moderne? C'Θtait un centre commercial et gouvernemental, c'Θtait une citadelle et, bient⌠t, c'est devenu le noyau des activitΘs religieuses et sociales. En d'autres mots, QuΘbec avait, α l'image des grandes villes en gΘnΘral, des attributions particuliΦres qui le distinguaient du reste de la rΘgion avoisinante. Ce centre reprΘsentait une concentration de population (bien que trΦs faible au dΘbut) qui assumait des activitΘs commerciales, politiques et autres pour les secteurs environnants et, en ce faisant, a Θtabli les premiΦres caractΘristiques d'une citΘ. Il est vrai que l'objectif principal de QuΘbec Θtait le monopole du commerce de la fourrure, entreprise qui vivait et dΘpendait des lieux sauvages; certes, pendant longtemps dans l'histoire canadienne, les endroits sauvages et les forΩts inhabitΘes ont cachΘ les quelques petits centres urbains qui sont sortis des immensitΘs de l'AmΘrique du Nord. NΘanmoins, la colonisation europΘenne en AmΘrique s'est concentrΘe sur ces trΦs petites ½villes╗ qui importaient les approvisionnements et exportaient les produits indigΦnes. De plus, alors que la colonisation prenait de plus en plus d'envergure et que l'activitΘ Θconomique s'amplifiait, ces ½villes╗ ont continuellement grandi pour devenir des communautΘs urbaines relativement Θtendues.
En fait, le phΘnomΦne d'urbanisation a commencΘ α QuΘbec, sur les bords du Saint-Laurent au XVIIe siΦcle, et s'est simplement Θtendu, α la fin du XVIIIe siΦcle, avec la pΘnΘtration des pionniers vers la rΘgion des Grands Lacs, l'Ontario actuel. Au dΘbut du XIXe siΦcle, il a continuΘ avec la colonisation du Canada central, alors que les villes et les citΘs prenaient de plus en plus d'importance. Le mΩme phΘnomΦne s'est dΘroulΘ dans la rΘgion de l'Atlantique; il va aussi apparaεtre dans l'Ouest, en temps opportun, avec le peuplement des Prairies et de la c⌠te du Pacifique. En rΘsumΘ, le dΘveloppement urbain Θtait le thΦme essentiel de toute l'histoire canadienne. En 1850, il Θtait dΘjα bien avancΘ, lorsque l'avΦnement du chemin de fer a fait connaεtre un essor tout nouveau α l'expansion des villes. Bien qu'il puisse sembler que ces progrΦs, ainsi que ceux survenus au XXe siΦcle, aient minimisΘ les rΘalisations de l'Θpoque des constructions de villes au Canada central, alors que le chemin de fer Θtait encore inconnu, il faut reconnaεtre que notre sociΘtΘ urbaine moderne est l'hΘritiΦre de ces temps anciens. En guise d'explication, nous Θtudierons les divers stades de dΘveloppement, en commenτant par l'Φre de la Nouvelle-France.
L'Φre de la Nouvelle-France
Les centres urbains ont progressΘ lentement au cours des premiΦres dΘcennies de lutte; la petite colonie franτaise du Saint-Laurent faisait face aux attaques anglaises et α la menace indienne sans recevoir beaucoup d'aide de la France elle-mΩme. Trois-RiviΦres est fondΘe en 1634, MontrΘal en 1642. Mais elles Θtaient des avant-postes frontaliers que pour quelque temps, en particulier MontrΘal, mission ΘloignΘe et trΦs exposΘe. NΘanmoins, de par sa vulnΘrabilitΘ aux incursions indiennes depuis l'intΘrieur du pays, de par sa situation α l'embranchement des grandes voies fluviales conduisant α l'Outaouais, aux Grand Lacs, α la riviΦre Richelieu et au lac Champlain, MontrΘal Θtait Θgalement trΦs bien placΘ pour devenir le lieu de rassemblement du commerce des fourrures de l'intΘrieur, commerce alors en pleine expansion. TrΦs rapidement, en fait, il n'Θtait plus simplement, comme α l'origine, un poste servant α propager le christianisme et α dispenser des soins mΘdicaux aux Indiens sous l'Θgide de ses pieux fondateurs, mais un marchΘ frontalier en plein essor, o∙ des foires tumultueuses avaient lieu chaque annΘe pour l'Θchange des fourrures en provenance de l'ouest. En rΘalitΘ, MontrΘal devenait petit α petit le pivot de l'activitΘ commerciale qui convergait des immenses territoires ΘloignΘs du Saint-Laurent, reflΘtant ainsi l'importance de la situation stratΘgique des villes en matiΦre de dΘveloppement urbain.
Pendant ce temps, le renouveau d'intΘrΩt portΘ par la France α la colonie du Saint-Laurent au cours des annΘes 1660 et 1670 amenait une vague de nouveaux colons et un progrΦs Θconomique plus vaste, en particulier sous l'habile intendance de Jean Talon. Des brasseries, des tanneries, des minoteries et des scieries sont installΘes. Un chantier de construction est ΘdifiΘ α QuΘbec, et des gisements de fer sont exploitΘs prΦs de Trois-RiviΦres. De plus, l'essor des exploitations agricoles, en particulier dans les seigneuries prΦs de QuΘbec, transformait les villes en lieux d'Θchange de produits de la ferme, et en centres d'approvisionnement et de services pour les rΘgions rurales croissantes. DΦs lors, boutiquiers, artisans, travailleurs et dΘbardeurs s'ajoutaient α la population et aux activitΘs urbaines. Vers la fin du siΦcle, malgrΘ le dΘbut de nouveaux conflits franco-britanniques, la vie urbaine Θtait bien implantΘe: en 1700, MontrΘal comptait 1,500 habitants, et QuΘbec 2,000 (comparΘ α environ 500 et 800 respectivement en 1663). MontrΘal n'Θtait plus un village frontalier mais une ville commerciale prospΦre, dont les rues formaient un rΘseau rectiligne et quadrillΘ allant de la riviΦre vers l'intΘrieur des terres. QuΘbec Θtait le principal port de la colonie et le siΦge du gouvernement, avec ses entrep⌠ts, ses fortifications et le palais de l'intendant construits en pierre; sur les hauteurs dominant le rivage, se trouvaient le chΓteau du gouverneur ainsi que la Haute-Ville qui grandissait sans cesse.
Ces deux villes abritaient en outre des institutions religieuses influentes, autre caractΘristique souvent significatif dans le dΘveloppement urbain, en particulier au sein d'une communautΘ franτaise catholique dont l'╔glise a profondΘment pΘnΘtrΘ la vie sociale et culturelle. QuΘbec Θtait le siΦge non seulement du puissant CollΦge des JΘsuites, mais aussi de l'ΘvΩchΘ de la colonie et du sΘminaire qui formait les curΘs des paroisses, et qui, plus tard, est devenu l'UniversitΘ Laval. └ MontrΘal, la CongrΘgation de Saint-Sulpice Θtait trΦs Θminente et possΘdait un titre seigneurial pour toute l'εle de MontrΘal. L'imposant sΘminaire Saint-Sulpice, qui date de 1685 (et qui existe toujours bien qu'ayant subi quelques modifications), dΘmontrait une fois de plus l'influence capitale de la religion sur le dΘveloppement urbain en Nouvelle-France.
AprΦs 1713, lorsque la paix a ΘtΘ rΘtablie dans la colonie, l'essor dΘmographique et Θconomique a repis de plus belle. Il existait une reprise momentanΘe de l'immigration franτaise, mais l'accroissement de la population Θtait principalement d√ α la reproduction naturelle. Vers 1750, α la veille d'une nouvelle guerre, la population de la Nouvelle-France atteignait 50,000 Γmes, dont prΦs du quart habitaient dans les villes. Ce pourcentage Θtait trΦs ΘlevΘ pour n'importe quelle sociΘtΘ europΘenne de l'Θpoque, et il Θtait d'autant plus remarquable pour une colonie dont on parle trop souvent soit en termes de simples habitant ou de voyageurs. Le fait est que de nombreuses caractΘristiques de la vie en Nouvelle-France se retrouvaient dans les villes et non pas seulement dans les campagnes. Il y avait lα les indispensables marchands et armateurs du Saint-Laurent, les habiles artisans coloniaux (constructeurs et ΘbΘnistes, forgerons et serruriers), sans oublier les dirigeants de l'╔glise et de l'╔tat. Bien que la conquΩte de 1759-1760 ait amenΘ des gouverneurs et des garnisons britanniques dans les villes et renvoyΘ les fonctionnaires et gros commerτants franτais dans leur pays, les traits les plus importants de la communautΘ urbaine francophone sont restΘs: sa structure religieuse, ses institutions sociales et scolaires, ainsi que les modes de vie traditionnels de ses citoyens moyens. Ainsi, dans les annΘes α venir, la population francophone, tant rurale qu'urbaine, allait jouer un r⌠le dans la survivance du fait ½Canadien╗.
QuΘbec sous le rΘgime britannique
Au cours de cette pΘriode, deux facteurs principaux ont influencΘ le dΘveloppement urbain: d'une part, l'afflux, aprΦs la ConquΩte, des commerτants anglophones dans ce qui Θtait maintenant devenu la province de QuΘbec et, d'autre part, le mouvement loyaliste, suite α la RΘvolution amΘricaine, la premiΦre immigration intensive de colons britanniques. Les commerτants qui apportaient des capitaux nouveaux et qui avaient des liens commerciaux avec les marchΘs de Grande-Bretagne se sont principalement installΘs α QuΘbec et α MontrΘal o∙, en 1765, la population atteignait presque 9,000 et 6,000 habitants respectivement. Les Loyalistes se sont Θtablis surtout dans les rΘgions inhabitΘes de l'ouest; ainsi, ils n'ont pas seulement crΘΘ de nouveaux dΘbouchΘs pour le commerce montrΘalais le long du Saint-Laurent, mais ils ont aussi Θtabli de nouveaux centres urbains dans ce qui allait devenir l'Ontario.
Les commerτants anglais, bien que peu nombreux, ont acquis un pouvoir Θconomique important, puisqu'ils reprΘsentaient dans le Saint-Laurent, une nation au premier rang du marchΘ mondial. Dans les annΘes 1760, de plus en plus de navires transatlantiques remontaient le fleuve. Une plus grande variΘtΘ de produits importΘs arrivait et on encourageait l'exportation du blΘ et de la farine, de la potasse et du bois; tout ceci contribuait α dΘvelopper une activitΘ commerciale urbaine beaucoup plus intense. Par dessus tout, le volume du commerce de la fourrure s'accroissait et s'Θtendait davantage vers l'ouest grΓce α la fructueuse collaboration entre Franτais et Britanniques; alors que les Franτais avaient une connaissance de l'intΘrieur du pays, les Britanniques fournissaient les ressources commerciales. Le rΘsultat final a ΘtΘ, en fait, la fondation α MontrΘal, dans les annΘes 1770 α 1780, de la prodigieuse Compagnie du Nord-Ouest, dont l'activitΘ commerciale va s'Θtendre, au cours des vingt annΘes suivantes, jusqu'α l'Arctique et au Pacifique. D'autres preuves spectaculaires de rΘussites sont les magnifiques demeures de pierre et les comptoirs que les ½barons╗ de la fourrure Θrigent α MontrΘal, les entrep⌠ts des compagnies Θtablies en amont du fleuve, α Lachine, d'o∙ d'importantes excursions de canoδs et de voyageurs partaient chaque printemps pour se rendre dans les rΘgions lointaines o∙ la fourrure abondait, et enfin les joyeux festins organisΘs par le Beaver Club qui avaient lieu, α partir de 1785, dans les tavernes de MontrΘal pour cΘlΘbrer la prospΘritΘ du commerce de la pelleterie.
└ QuΘbec, qui Θtait toujours la capitale, l'activitΘ commerciale prospΦre qui y rΘgnait a permis la construction de nombreuses bΓtisses de pierre, notamment dans la Basse-Ville prΦs du port. La plupart des bΓtiments, communΘment considΘrΘs aujourd'hui comme appartenant α la pΘriode franτaise, n'ont ΘtΘ construits qu'au moment du renouveau de croissance qui se manifestait sous le rΘgime anglais (Θtant donnΘ, finalement, qu'une grande partie des anciens quartiers de la Basse-Ville ont ΘtΘ dΘtruits par l'artillerie britannique lors du siΦge de QuΘbec par les Anglais, en 1759). A cette Θpoque, la ville abritait le premier journal du Canada central, The Quebec Gazette, journal bilingue fondΘ en 1764, et dans lequel on pouvait lire les nouvelles tant politiques que commerciales. On y demandait l'amΘlioration des chaussΘes encombrΘes; en 1767, on se plaignait que "les habitants empilent du bois et des poutres et abandonnent leurs charrettes et leurs fardiers dans les rues, au dΘtriment et au risque des sujets de Sa MajestΘ, les exposant α des dangers sit⌠t qu'il fait sombre, de plus, un bon nombre de porcs courent en libertΘ...." (H.A. Innis, ed., Select Documents in Canadian History 1497-1783, p. 476). Les problΦmes de la circulation ne datent pas d'aujourd'hui!
La RΘvolution amΘricaine a replongΘ QuΘbec dans en Θtat de guerre, et les envahisseurs amΘricains ont assiΘgΘ la ville au cours de l'hiver 1775-1776. Mais elle a rΘsistΘ et n'a subi aucun dΘgΓt important. En fait, la guerre, qui a durΘ jusqu'en 1783, a contribuΘ au dΘveloppement du commerce des villes du Saint-Laurent, puisque QuΘbec en particulier est devenu l'une des principales bases britanniques, et que la concurrence de la Nouvelle-Angleterre rebelle Θtait effectivement supprimΘe. MontrΘal, de son c⌠tΘ, a vu les marchands de fourrure amΘricains rivaux se faire exclure des rΘgions de l'ouest.
AprΦs la guerre, l'arrivΘe des Loyalistes au Canada a entraεnΘ un accroissement de l'activitΘ commerciale grΓce α l'envoi d'approvisionnements en amont du fleuve, et α l'inclusion de leurs marchandises sur le marchΘ. En 1791, cependant, devant l'ampleur de la colonisation loyaliste dans l'ouest, on a dΘcidΘ de diviser la province de QuΘbec de l'heure en deux parties: l'est, plus ancien et en majoritΘ francophone, est devenu le Bas-Canada, et l'ouest, plus nouveau et surtout anglophone, est devenu le Haut-Canada. Ainsi a commencΘ une nouvelle Φre dans l'expansion des villes.
Les premiΦres annΘes des Canadas
Dans une certaine mesure, les phΘnomΦnes affectant le dΘveloppement urbain sont restΘs inchangΘs. QuΘbec est enrichie; sa mainmise sur la navigation ainsi que son r⌠le de forteresse britannique lui assurait le prestige, la puissance, et l'Θtablissement des salaires ou des dΘpenses militaires officielles. MontrΘal a continuΘ de s'accroεtre grΓce α l'essor du commerce de la fourrure avec le nord-ouest. Mais la fondation de centres urbains dans la jeune province du Haut-Canada Θtait quelque chose de trΦs nouveau. Le premier de ces centres α voir le jour dans cette province α ΘtΘ Kingston, ville colonisΘe par des Loyalistes. SituΘe aux confins du lac Ontario et du cours supΘrieur du Saint-Laurent, la ville Θtait un port de transbordement entre les navires des lacs et les bateaux plus petits qui devaient passer les rapides pour descendre α MontrΘal. ╔tant donnΘ la position-clΘ qu'il occupait sur l'indispensable voie fluviale, Kingston est Θgalement devenue une base militaire et navale britannique, base vitale qui a prΘservΘ le pays de nouvelles menaces des ╔tats-Unis.
└ l'autre extrΘmitΘ du lac Ontario, Niagara s'Θtablissait Θgalement comme base militaire et port de transbordement, car tout prΦs, on devait emprunter un chemin de portage pour contourner les chutes Niagara et atteindre le lac ╔riΘ et les autres lacs supΘrieurs. Cependant, John Graves Simcoe, premier gouverneur du Haut-Canada, a choisi un autre endroit sur les rives du lac Ontario pour Θriger la capitale de la nouvelle province, un endroit dont le port Θtait bien abritΘ et beaucoup plus ΘloignΘ des attaques amΘricaines: c'Θtait York, le futur Toronto, α peine un hameau o∙ se trouvaient des fonctionnaires et une petite garnison. Mais grΓce α ces derniers, il y avait dΘjα un marchΘ d'alimentation et d'approvisionnements qui attirait les colons et amenait la construction d'un rΘseau routier dans un arriΦre-pays en voie de rapide expansion, simplement parce qui ce village Θtait la capitale.
└ la suite de la premiΦre vague de Loyalistes, de nombreux AmΘricains non-loyalistes se sont installΘs dans le Haut-Canada et ont pris possession des terres fertiles dΘcouvertes par leurs prΘdΘcesseurs; aussi la province a t-elle continuΘ α se dΘvelopper. Il en Θtait ainsi pour Kingston, York et Niagara; mais lorsque la guerre a ΘclatΘ en 1812, ces colons amΘricains reprΘsentaient une menace Θventuelle assez sΘrieuse. Ils avaient cependant ΘtΘ bien traitΘs et les invasions amΘricaines les ont surtout poussΘs α rΘsister ceux qui menaτaient leurs nouvelles possessions. York a ΘtΘ attaquΘ deux fois et occupΘ momentanΘment, laissant un sentiment anti-amΘricain trΦs profond. Mais cette guerre avec les ╔tats-Unis, qui s'est terminΘe en maintenant les AmΘricains hors des frontiΦres, a Θgalement favorisΘ l'essor urbain. Les espΦces sonnantes britanniques affluaient dans les villes, pour l'achat de matΘriel de guerre; les premiΦres banques ont fait leur apparition α Kingston, puis α York. QuΘbec et MontrΘal, des villes beaucoup plus dΘveloppΘes, en bΘnΘficient Θgalement: la premiΦre Θtant toujours la principale base britannique abritant les quartiers gΘnΘraux des armΘes en guerre dans les Canadas, la deuxiΦme en tant que principal centre commercial d'o∙ provenait l'approvisionnement et le financement du Haut-Canada. Le fait que la premiΦre grande banque canadienne, la Banque de MontrΘal, y ait ΘtΘ instituΘe peu aprΦs, en 1817, prouve bien la puissance Θconomique croissante de cette ville.
L'expansion du commerce du bois avec la Grande-Bretagne Θtait tout aussi importante, tout d'abord pour satisfaire la demande en construction navale au cours des guerres napolΘoniennes et, par la suite, pour rΘpondre aux besoins de son industrie en plein essor. L'exploitation forestiΦre s'est Θtendue rapidement le long du cours supΘrieur du Saint-Laurent et surtout dans la vallΘe de l'Outaouais. C'est alors que PhilΘmon Wright a fondΘ Hull, en face du futur emplacement d'Ottawa et, en 1807, il a commencΘ α faire flotter les troncs Θquarris sur le fleuve, en direction de MontrΘal et de QuΘbec. Bient⌠t, d'Θnormes radeaux descendaient la riviΦre jusqu'aux navires en attente de chargements assemblΘs dans le port de QuΘbec. La ville est devenue un port important pour le commerce du bois et un grand centre de construction navale; des chantiers navals bruyants, avec leurs Θnormes poutres entassΘes dans les parcs α bois, s'Θtendaient le long des berges du fleuve.
La voie d'eau achalandΘe du Saint-Laurent a connu un nouvel essor lorsque, en 1809, John Molson, important brasseur de MontrΘal, a introduit les bateaux α vapeur sur le fleuve. Pendant la guerre de 1812, ses vapeurs-transportaient des renforts britanniques de QuΘbec α MontrΘal et, α la fin des hostilitΘs, l'utilisation de ce genre d'embarcation s'est Θtendue aux riviΦres et aux lacs, constituant un moyen de transport fluvial beaucoup plus rapide et s√r vers l'intΘrieur du pays. En 1819, des commerτants de Kingston ont lancΘ le premier bateau α vapeur sur le lac Ontario, et les ports intΘrieurs comme York et Niagara ont tous bΘnΘficiΘ de l'amΘlioration des relations commerciales qui en ont dΘcoulΘ. En fait, le rythme mΩme de la vie urbaine a ΘtΘ changΘ, et une autre Θtape de l'expansion des villes Θtait sur le point de commencer.
L'immigration et l'expansion commerciale
Dans les annΘes 1820, une nouvelle vague d'immigrants est arrivΘe, en provenance de Grande-Bretagne cette fois. Au fur et α mesure que les colons arrivaient le long du Saint-Laurent, les villes bΘnΘficiaient soit du surcroεt d'activitΘ commerciale qu'entraεnaient l'approvisionnement et le transport vers l'intΘrieur, ou encore de l'accroissement de la population, Θtant donnΘ qu'une partie des arrivants s'Θtablissaient dans les centres urbains. Mais le plus grand avantage provenait, une fois encore, d'une activitΘ commerciale plus importante rΘsultant de la mise en valeur des rΘgions rurales qui avaient besoin de plus de marchandises et de services, et qui produisaient plus de biens destinΘs α la vente et α l'exportation dans les villes. D'un autre cotΘ, certains immigrants dΘbarquaient appauvris, malades et sans ressources. Les difficultΘs naissaient lorsqu'on devait leur prΩter assistance et leur donner asile, lorsqu'on devait prΘserver l'hygiΦne et l'ordre public; pendant les annΘes 1830, les villes Θtaient quelquefois durement acculΘes par la misΦre et la maladie qui les envahissaient littΘralement. Le cholΘra et d'autres ΘpidΘmies dΘcimaient frΘquemment les nouvelles communautΘs urbaines surpeuplΘes qui, jusqu'ici, n'avaient pris que peu de dispositions pour assurer des conditions d'hygiΦne efficaces ou pour dispenser des soins mΘdicaux sur une grande Θchelle. Les principaux ports d'arrivΘe, QuΘbec et MontrΘal, Θtaient gΘnΘralement les plus durement touchΘs. MalgrΘ tout, les avantages durables du dΘveloppement urbain surpassaient largement ce malaise passager: grΓce aux capitaux et aux compΘtences des nouveaux arrivΘs et α l'augmentation subsΘquente de la population active, les marchΘs s'Θlargissaient et l'essor dΘmographique gagnait en importance.
Les progrΦs rΘalisΘs sont mis en Θvidence par l'important accroissement de la population urbaine. En chiffres ronds, MontrΘal est passΘ de 18,000 habitants en 1821 α 31,000 en 1833, QuΘbec de 16,000 α environ 27,000. York, qui comptait 1,200 Γmes en 1820, en est arrivΘ α 9,000 et 1834, l'annΘe de son incorporation comme municipalitΘ de Toronto. MontrΘal avait ΘtΘ incorporΘe l'annΘe prΘcΘdente, et QuΘbec en 1832. Les constitutions de municipalitΘs se faisaient Θgalement, mais α un degrΘ moindre, dans des centres plus petits, ce qui indique que les besoins particuliers et les difficultΘs crΘΘes par la vie urbaine (services de police et d'incendie, rΘglementation des marchΘs et de la circulation) exigaient que les villes soient dotΘes de pouvoirs administratifs qui leur fussent propres. Cependant, cette premiΦre administration urbaine Θtait trΦs rudimentaire. Quelques agents de police, une prison et un asile pour les pauvres, quelques efforts minimes d'adduction de l'eau, d'Θgouts et de trottoirs (mΩme s'il n'y a que peu de chaussΘes pavΘes) reprΘsentaient les principaux services fournis; cependant, l'administration municipale de Toronto a eu l'intention de supprimer les ½dΘbits de boissons╗ (tippling houses) et les salles de billard.
NΘanmoins, des commissions d'hygiΦne ont ΘtΘ instituΘes pour faire face aux ΘpidΘmies successives; des centres hospitaliers ont ΘtΘ construits, financΘs par une souscription publique; dans les villes du Bas-Canada, ces derniers ont supplantΘ les Θtablissements religieux datant de l'Θpoque franτaise. Quoique la multitude d'auberges et de tavernes semblaient reprΘsenter les principaux moyens de distraction des populations urbaines en gΘnΘral, des thΘΓtres apparaissaient dans les villes plus importantes, en mΩme temps que des corporations d'ouvriers, des sociΘtΘs littΘraires et des cercles de musique, qui propageaient le savoir et la culture. Un syndicat ouvrier (celui des imprimeurs) a ΘtΘ fondΘ α York 1832. De plus, l'augmentation du nombre d'Θglises, d'Θcoles, de banques et de journaux au cours de cette pΘriode ont, chacun a leur faτon, marquΘ la diversification des Θtablissements et la complexitΘ grandissante des centres urbains.
Les progrΦs soutenus rΘalisΘs dans le domaine des transports ont eu une influence importante sur le dΘveloppement des villes. Sur terre, les compagnies de diligences et le rΘseau routier en expansion (quoique trΦs rudimentaire en comparaison des normes ultΘrieures) ont donnΘ au commerce des villes accΦs α un arriΦre-pays de plus en plus vaste. Sur l'eau, les compagnies de dΘveloppement portuaire et de navigation α vapeur ont Θgalement fait leur part; mais c'est surtout la construction des canaux qui a marquΘ l'Θpoque. Le canal de Lachine, premiΦre Θtape pour maεtriser les rapides du cours supΘrieur du Saint-Laurent, est achevΘ en 1825, alors que le canal Welland, qui contournait les chutes Niagara, est terminΘ en 1829. Le canal Rideau, reliant l'Outaouais et MontrΘal au lac Ontario, α Kingston, au moyen d'une voie intΘrieure s√re partant de la frontiΦre amΘricaine, est creusΘ entre 1826 et 1832. Magnifique exploit du gΘnie civil de l'Θpoque, il a aussi donnΘ naissance, α son embouchure nord, α Bytown (plus tard Ottawa) qui comptait une seule maison α l'Θpoque o∙ les travaux sont entrepris, alors que 1,500 habitants y demeuraient α leur achΦvement. Les canaux ont dΘveloppΘ la navigation et ont provoquΘ l'essor urbain le long de leurs rives. Jusqu'ici, cependant, les tentatives en vue de parachever les travaux trΦs co√teux de la voie maritime α la partie supΘrieure du Saint- Laurent ont ΘchouΘ d√ au montant total des dΘpenses; les mauvais sentiments engendrΘs α cette occasion ont ΘtΘ l'une des causes des rΘvoltes de 1837 et 1838 dans les Canadas.
NΘanmoins, avant que leur dΘclenchement n'arrΩte une remarquable pΘriode de croissance, l'activitΘ urbaine s'Θtendait mΩme davantage α travers les provinces. Alors que la pΘnΘtration des colons faisait reculer les frontiΦres, les hameaux de l'arriΦre-pays tels que Peterborough, London ou Sherbrooke dans les Cantons de l'Est croissaient rapidement, et allaient devenir un jour de grandes villes. Dans l'avant-pays, les villages prenaient l'allure de vΘritables centres urbains, alors qu'ils desservissaient les campagnes et le commerce rural; c'est le cas, par exemple, de Belleville ou de Hamilton. Par consΘquent, non seulement les villes plus grandes et plus anciennes se dΘveloppaient au cours de cette Θpoque de colonisation intense et d'Θvolution commerciale, mais de nombreuses villes plus petites connaissaient le mΩme essor.
La prospΘritΘ des villes avant l'avΦnement du chemin de fer
La misΦre consΘcutive aux soulΦvements de 1837, ainsi que le sΘvΦre marasme mondial qui a suivi n'ont provoquΘ qu'une accalmie temporaire dans le dΘveloppement des villes. En 1842, l'immigration, le commerce et l'essor urbain ont repris. Mais, si l'on peut dire que c'Θtait un simple renouveau des anciennes activitΘs, il convient de considΘrer la pΘriode entre les rΘvoltes et l'Φre du chemin de fer des annΘes 1850 comme une Θpoque bien distincte. C'Θtait l'Θpoque o∙ les villes, pas encore touchΘes par le chemin de fer, ont atteint leur apogΘe, l'Θpoque o∙ la rΘvolution imminente des transports terrestres n'avait pas encore provoquΘ des situations et des problΦmes nouveaux. Dans le domaine des transports fluviaux, l'Θpoque a marquΘ la fin des travaux d'amΘlioration de la voie principale, lorsqu'en 1848, les canaux du Saint-Laurent sont finalement terminΘs. Cette rΘalisation Θtait due, en grande partie, α un autre fait marquant du temps, soit l'union des deux Canadas effectuΘe en 1841. Avec la reconstitution et le dΘveloppement des marchΘs d'outre-mer pour le bois et le blΘ, avec un systΦme Θconomique unifiΘ favorisant les travaux publics, avec l'immigration α son apogΘe α la fin des annΘes 1840, il n'est pas surprenant que les villes ont prospΘrΘ ainsi. MΩme l'autre crise vers la fin de la dΘcennie n'a provoquΘ qu'un bref quoique rigoureux recul de l'activitΘ, et, en 1850, la prospΘritΘ a repris de plus belle.
En consΘquence, un peu avant le milieu du siΦcle, les villes et les centres urbains du Canada central atteignaient une certaine stabilitΘ avant que le chemin de fer et les locomotives ne viennent les bouleverser de nouveau. Il serait erronΘ et quelque peu romantique de comparer les centres urbains de l'Θpoque α une AthΦnes coloniale, gracieuse et dorΘe. Ces agglomΘrations Θtaient sales, mal entretenues, encombrΘes; les rues Θtaient dΘfoncΘes ou α moitiΘ construites, il y avait de misΘrables cabanes de bois, peu de rΘverbΦres α gaz ou d'Θgouts, mais beaucoup d'alcoolisme et de misΦre. NΘanmoins, les villes comprenaient Θgalement des Θdifices publics bien agencΘs et des rΘsidences privΘes (gΘnΘralement en pierre α QuΘbec, et en brique, α MontrΘal, α Kingston, α Toronto et dans les villes de l'ouest); il y avait des jardins, de l'air pur et trΦs peu d'usines. MΩme l'occupant du bidonville n'Θtait pas irrΘmΘdiablement cloεtrΘ dans son taudis, car la campagne n'Θtait encore qu'α quelques pas. En outre, bien qu'il y ait eu quelques quartiers de taudis et quelques secteurs rΘsidentiels cossus, comme c'Θtait le cas dans la Haute-Ville α QuΘbec, les riches et les pauvres vivaient encore frΘquemment c⌠te α c⌠te en tant que citoyens et voisins, et les immeubles commerciaux s'entremΩlaient aux habitations rΘsidentielles. Il n'existait pas encore de distinction de classe selon les secteurs, ni les vastes et inΘvitables bidonvilles qui se dΘvelopperont plus tard dans les villes industrielles beaucoup plus importantes.
Toutefois, les usines sont apparues mΩme avant l'Θpoque du chemin de fer et de l'acier. Le canal de Lachine, en amont de MontrΘal, s'est transformΘ en zone industrielle; des scieries sont apparues entre Sherbrooke et Bytown, Brantford et St. Catharines, partout o∙ l'Θnergie hydraulique favorisait leur installation. La vapeur Θtait aussi utilisΘe, et des usines de locomotives et de chaufferies ont ΘtΘ ouvertes α Toronto et α MontrΘal. MalgrΘ tout, l'industrie ne constituait toujours qu'une activitΘ minime de la vie urbaine. C'Θtait toujours l'Θpoque du commerce, o∙ les figures de proue influentes restaient les riches grossistes de Toronto, les grands promoteurs (importateurs-exportateurs) de MontrΘal, ou les puissants marchands de bois de QuΘbec. Ils ont commencΘ α dominer les villes lorsque le pouvoir de l'ancien parti tory a ΘtΘ dissout, et avant que la concurrence des industriels et des financiers du chemin de fer n'ait ΘtΘ Θtablie.
MontrΘal, avec ses 57,000 habitants en 1851, dont environ la moitiΘ d'anglophones, Θtait manifestement la mΘtropole commerciale dominante du Canada. QuΘbec s'est dΘveloppΘ α un degrΘ moindre, quoique la pΘriode de son apogΘe en tant que port de construction navale et du commerce du bois soit imminente. La ville comprenait environ 45,000 habitants en 1851, dont α peu prΦs un tiers d'anglophones. Toronto, le marchΘ le plus important dans l'ouest dont la population Θtait de souche essentiellement britannique, croissait toujours; il est passΘ de 14,000 habitants en 1841 α 30,000 dix ans plus tard. Parmi les plus petits centres de l'ouest, Hamilton et London Θtaient tous deux devenus de vΘritables villes α la fin de cette Θpoque; la premiΦre Θtait α la veille de connaεtre un essor encore beaucoup plus important en tant que centre industriel et ferroviaire. Seul Kingston semblait stagner (bien qu'il ait ΘtΘ la capitale du Canada entre 1841 et 1844), d√ au fait qu'il n'avait pas d'arriΦre-pays α dΘvelopper, Θtant bordΘ au nord de terres accidentΘes. C'Θtait cependant un centre militaire et acadΘmique notoire, l'universitΘ Queen's ayant ouvert ses portes en 1842.
L'UniversitΘ de Toronto a Θgalement ΘtΘ fondΘe au cours des annΘes 1840: McGill, α MontrΘal, Θtait maintenant plus qu'une Θcole de mΘdecine et α QuΘbec, l'universitΘ Laval a ΘtΘ constituΘe juste aprΦs la fin de cette pΘriode. Par consΘquent, l'influence des villes s'est fait fortement sentir dans le domaine de l'enseignement. En conclusion, nous pouvons affirmer que le dΘveloppement des villes du Canada central, si Θvident aujourd'hui, s'est fermement implantΘ dΦs les annΘes 1850. Cet essor, responsable du fait que les trois-quarts des Canadiens d'aujourd'hui vivent dans des communautΘs urbaines, Θtait alors dΘjα trΦs avancΘ. Et mΩme si ces premiers centres urbains Θtaient trΦs petits, en comparaison α nos villes modernes, ils n'en prΘsentaient certainement pas moins d'intΘrΩt et d'importance.