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Text File  |  1996-06-20  |  36.5 KB  |  79 lines

  1. LA POLITIQUE EXTâRIEURE DU CANADA (1919-1939)
  2.  
  3. Norman Hillmer et Robert Bothwell 
  4.  
  5.      On a pu Étre tÄmoin, entre les annÄes 1919 et 1939, de l'Ävolution finale qui devait conduire le Canada ê son Ämancipation et en faire une nation officiellement indÄpendante. C'est ê la ConfÄrence de la paix, qui s'est tenue ê Paris en 1919, que le Canada a, pour la premiÅre fois, lÄgalement participÄ ê une manifestation politique internationale importante sur un pied d'ÄgalitÄ avec ses interlocuteurs. Le Statut de Westminster de 1931 donne au Canada le droit ê la souverainetÄ dans tous les domaines, ê l'extÄrieur comme ê l'intÄrieur. En 1939, la jeune nation dÄclare elle-mÉme la guerre ê l'Allemagne nazie. ╦ cette Äpoque, le Canada semblait la nation la plus comblÄe: il jouissait de vastes ressources naturelles, avait le bonheur de possÄder un voisin pacifique au sud et se trouvait ê l'abri des attaques grëce aux trois mille milles qui sÄparaient ses cÖtes du tourbillon crÄÄ par le militarisme europÄen. Pour reprendre les mots d'un Äminent politicien, le Canada Ätait une ╟maison ê l'Äpreuve du feu, loin de tous matÄriaux inflammables.╚
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  7.      Et pourtant, les deux dÄcades de l'Entre-deux-guerres sont des annÄes au cours desquelles nombreux sont les Canadiens qui ne voulaient pas, ou encore n'osaient pas, considÄrer la question des relations extÄrieures du pays ou en discuter. En effet, loin de les unir, le sujet ne faisait que diviser les Canadiens et la question qui les opposait le plus Ätait celle des relations avec la Grande-Bretagne: il y avait ceux qui faisaient valoir les liens traditionnels du Canada avec la ╟mÅre patrie╚ et ceux qui pensaient que le Canada ne devrait se mÉler ni des affaires ni des guerres britanniques. Mais la Grande-Bretagne Ätant un pays europÄen, il Ätait inÄvitable qu'elle se trouve mÉlÄe aux ÄvÄnements europÄens qui mettraient directement en cause son Äconomie et sa sÄcuritÄ. Si une grande guerre Äclatait en Europe, la Grande-Bretagne Ätait condamnÄe ê y participer. Les ÄvÄnements de 1939 sont lê pour montrer que, malgrÄ toutes ses dÄclarations et toutes ses prÄtentions ê Étre un pays ╟blindÄ╚, le gouvernement canadien et la majoritÄ de la population continuaient ê confondre leurs intÄrÉts avec ceux du gouvernement et du peuple britanniques. Le Canada dÄcida, selon les paroles m₧rement pesÄes de son premier ministre, de participer ê la Seconde Guerre mondiale ╟aux cÖtÄs de la Grande-Bretagne╚.
  8.  
  9.      Le Canada n'Ätait pas simplement une nation britannique. Comme ses hommes d'âtat ne se sont jamais lassÄs de le faire remarquer, le Canada est ╟une nation amÄricaine╚, profondÄment marquÄe par sa situation gÄographique ê cÖtÄ de la plus grande et de la plus prospÅre dÄmocratie du monde. Au cours des annÄes 1920-1930, un flot ininterrompu de jeunes Canadiens Ämigra vers le sud, par opportunisme, alors que leur gouvernement s'efforìait d'Äpauler le reste du pays, en maintenant des barriÅres tarifaires modÄrÄes et en bloquant les prix ê un niveau juste assez bas pour ne pas entraöner un plus grand nombre de dÄparts. Vers la fin des annÄes trente, on estimait que, sur trois personnes nÄes au Canada -- Canadiens franìais et anglais -- une vivait alors aux âtats-Unis.
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  11.      Du point de vue politique, la situation internationale idÄale pour le Canada reposait sur l'existence de liens amicaux et harmonieux entre les Britanniques et les AmÄricains. En effet, la position gÄographique et les liens Ätroits qu'il entretenait avec les âtats-Unis comme avec la Grande-Bretagne avaient engendrÄ, dans l'opinion gÄnÄrale, l'idÄe que le dominion Ätait l'idÄal pour jouer le rÖle de trait d'union ou d'interprÅte entre les deux grandes puissances anglophones, entre le Vieux monde et le Nouveau. C'Ätait toutefois une opinion sans grand fondement et les politiciens et hommes d'âtat canadiens n'ont cessÄ d'insister sur les limites que prÄsentait leur situation au lieu de souligner les possibilitÄs qu'elle offrait: la nÄcessitÄ de mÄnager les nombreuses races et cultures du Canada, surtout les Anglais et les Franìais; la vulnÄrabilitÄ d'une Äconomie basÄe essentiellement sur les exportations; l'importance du dÄveloppement national dans une jeune nation. Les maötres dÄcisions politiques dÄsiraient par consÄquent la paix ou au moins un monde qui jouisse d'une paix aussi stable que les puissances anglo-saxonnes pouvaient la leur assurer, de sorte que le pays puisse se consacrer ê l'Ädification de la nation. Cependant le XXe siÅcle devait se distinguer dans tous les domaines sauf dans celui de la paix.
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  13.      En 1914, le Canada Ätait automatiquement entrÄ dans la PremiÅre Guerre mondiale en tant que colonie britannique. La dÄclaration de guerre britannique ê l'Allemagne impliquait que le Canada aussi Ätait lÄgalement en guerre et, au dÄbut, peu parmi les Canadiens, s'il en fut, mirent cela en question. Comme la guerre traönait en longueur, toutefois, et que plusieurs milliers de Canadiens combattaient et mouraient en France, un nouveau sentiment d'identitÄ nationale, fondÄ sur les rÄalisations Äconomiques et militaires du Canada au cours de la guerre, s'affirmait. Tous les Canadiens ne partageaient pas ce sentiment de fiertÄ, mais le Premier ministre, Sir Robert Borden, sut l'exploiter pour demander que soit reconnu au Canada un statut de membre Ägal indÄpendant au sein de l'Empire britannique. Les historiens Craig Brown et Ramsay Cook ont Äcrit: ╟un statut en soi, Borden l'a reconnu lui-mÉme, le droit de dÄlibÄrer ici, d'avoir un siÅge lê, faisait peu de diffÄrence. Ce qui comptait, c'Ätait la responsabilitÄ dans l'action qui en dÄcoulait, la volontÄ du Canada d'assumer, au-delê de ses frontiÅres, des tëches conformes au statut que s'Ätait donnÄ le pays.╚ Borden espÄrait qu'ê l'avenir le Canada aurait un rÖle ê jouer, ê l'intÄrieur de l'Empire britannique et mÉme ê l'extÄrieur, dans les grandes dÄcisions qui dÄtermineraient l'avenir du monde. Pour servir cet objectif, Sir Robert fit connaötre ses exigences et obtint de siÄger sÄparÄment ê la ConfÄrence de la paix ê Paris, de signer sÄparÄment le traitÄ de paix et de participer sÄparÄment ê la SociÄtÄ des Nations et ê l'Organisation Internationale du Travail.
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  15.      Le TraitÄ de Versailles Ätablit la paix entre les alliÄs victorieux et l'Allemagne. Il mettait Ägalement en place une nouvelle structure d'ordre international, la SociÄtÄ des Nations, qui avait pour mission de maintenir la paix ê l'avenir et de veiller ê ce qu'une autre catastrophe semblable ê la PremiÅre Guerre mondiale ne se reproduise pas. Toutes les nations, au moins en thÄorie, devaient en faire partie. Malheureusement, dans la pratique, l'adhÄsion ê la SociÄtÄ Ätait loin d'Étre universelle. L'Allemagne, l'ennemi vaincu, n'y fut admise qu'en 1926; l'Union soviÄtique, cette Ätrange crÄation rÄcente, dut attendre jusqu'en 1934; et les âtats-Unis ne s'y ralliÅrent jamais. Ce qui veut dire que le pouvoir de faire exÄcuter les dÄcisions de la S.D.N. Ätait dÄtenu par ses deux principaux membres, la Grande-Bretagne et la France, toutes les deux sorties physiquement ÄpuisÄes de la guerre. En attendant, les membres moins importants de la S.D.N., notamment le Canada, se voyaient injustement relÄguÄs au rang de satellites des Britanniques et des Franìais.
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  17.      Borden rentra au Canada, fier du rÖle jouÄ par son pays dans la signature du TraitÄ et de la place qu'il s'Ätait acquis ê lê S.D.N. ╦ sa grande dÄception, il dÄcouvrit que l'opinion publique ne s'intÄressait pas ê ses succÅs diplomatiques ê l'Ätranger. Il trouva le pays ÄpuisÄ par les luttes ouvriÅres et par la discorde qui rÄgnait entre les Canadiens franìais et les Canadiens anglais. Afin de gagner la guerre, Borden avait eu recours ê la conscription et avait fait entrer dans l'armÄe des milliers de Canadiens rÄcalcitrants. Cet acte, comme la guerre qui en Ätait la cause, Ätait particuliÅrement impopulaire chez les agriculteurs et au QuÄbec. Lors de l'imposition de la conscription, il y avait eu des Ämeutes, les plus notoires ê QuÄbec, et mÉme plusieurs morts. Au Canada franìais, la participation aux affaires de l'Empire britannique et ê la S.D.N. semblait se rÄduire ê rapprocher d'autant plus la menace d'une nouvelle conscription. Pour le Canada, ou tout au moins pour le QuÄbec, de tels conflits ne prÄsentaient aucun intÄrÉt. Pourquoi les Canadiens devraient-ils aller se faire tuer en Europe ê cause des engagements pris par la Grande-Bretagne ou par la S.D.N. et des responsabilitÄs ou des intÄrÉts de celles-ci?
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  19.      Borden ne rÄussit pas ê triompher de l'hostilitÄ sur le plan politique et des conflits sociaux. Las et ayant perdu ses illusions, il dÄmissionna en juillet 1920. Arthur Meighen lui succÄda, pour peu de temps d'ailleurs, car il essuya un Ächec aux Älections gÄnÄrales de dÄcembre 1921, que remportÅrent les LibÄraux de Mackenzie King. Meighen Ätait l'auteur du projet de loi de 1917 sur la conscription et, comme Borden, il avait les mains liÄes au QuÄbec, o¥ on le considÄrait comme un impÄrialiste ê tous crins, toujours prÉt ê sacrifier des Canadiens dans les guerres britanniques. Il est bien Ävident que le parti libÄral d'opposition, n'Ätait que trop content d'aider les Älecteurs ê faire ce rapprochement. Pendant des annÄes aprÅs la fin de la PremiÅre Guerre mondiale, le combat ê propos de la conscription n'a cessÄ de se rejouer au QuÄbec, avec les Conservateurs dans le rÖle des traötres et les LibÄraux dans celui des hÄros valeureux qui veulent Äpargner ê tout jamais au Canada le risque d'un autre sacrifice dans une guerre ÄtrangÅre.
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  21.      Ces prises de position furent symboliquement mises ê l'Äpreuve en 1922. Les Britanniques avaient des garnisons en Turquie. Certaines d'entre elles avaient ÄtÄ menacÄes par des Turcs nationalistes prÅs de Chanak, dans les Dardanelles. Le gouvernement britannique de Lloyd George fit publiquement appel ê l'aide des dominions dans l'espoir d'intimider les Turcs en mobilisant la puissance unie de l'Empire. Le Premier ministre King, fort surpris de s'entendre interroger par un journaliste sur un appel dont il n'avait pas encore eu vent, demanda prudemment de plus amples informations sur la crise et dÄclara: ╟le Parlement en dÄcidera╚. Cela devait demeurer la rÅgle de conduite de King en politique au cours des dix-sept annÄes qui suivirent: dans n'importe quelle crise, le Canada resterait dans l'expectative et ce seraient les reprÄsentants de la nation au Parlement qui dÄcideraient en dernier ressort.
  22.  
  23.      Le chef du parti conservateur, Meighen, par contre, proposait une rÄponse plus catÄgorique. Il soutenait que le gouvernement britannique ne voulait pas des troupes, mais une dÄclaration de solidaritÄ, il affirmait que le Canada avait des obligations conventionnelles en Turquie. ╟Que ma position soit bien claire. Quand le message de la Grande-Bretagne est arrivÄ, le Canada aurait d₧ rÄpondre: 'PrÉts, oui, prÉts; nous sommes ê vos cÖtÄs.'╚ La rÄaction des Conservateurs fut favorablement accueillie par des milliers de Canadiens anglais, mais elle n'eut pas d'effet durable car les menaces de guerre ne se concrÄtisÅrent pas et les Britanniques eux-mÉmes renversÅrent leur Premier ministre et le nouveau gouvernement se hëta de faire la paix avec les Turcs. Mackenzie King avait choisi de temporiser et, en l'occurrence, il pouvait soutenir que son choix s'Ätait avÄrÄ le bon. ╟╦ mon avis╚, dit King devant la Chambre des Communes, ╟l'attitude que le Canada a prise . . . a eu un effet trÅs sain et trÅs modÄrateur ê un moment trÅs critique . . . ╚
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  25.      King pouvait aussi prÄtendre qu'il avait su maintenir ╟l'unitÄ nationale╚, qui se rÄsumait pour lui en d'harmonieuses relations entre les Canadiens anglais et franìais. Des entreprises dangereuses en politique ÄtrangÅre pouvaient mettre en pÄril cette unitÄ, sans compter le soutien politique des Canadiens franìais dont dÄpendait le parti de King (la seule fois o¥ les Conservateurs remportÅrent au QuÄbec plus de dix siÅges au Parlement, ce fut lors des Älections de 1930). La politique de King jouissait du soutien enthousiaste de ses collÅgues canadiens-franìais ê la Chambre et de ses ministres quÄbÄcois, surtout Ernest Lapointe, l'efficace chef du parti au QuÄbec. La politique de King se rÄclamait de celle de son hÄros, Sir Wilfrid Laurier, le Premier ministre canadien franìais de 1896 ê 1911, qui avait soutenu que les Canadiens ne devraient pas aller chercher ê l'Ätranger l'influence, le prestige ou les responsabilitÄs. PlutÖt que sur les relations extÄrieures, il allait mettre l'accent sur l'harmonie interne et le dÄveloppement national.
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  27.      Ce n'est donc pas une coòncidence si le plus proche conseiller de King Ätait l'ami et le biographe de Laurier, O.D. Skelton. Professeur ê l'universitÄ Queen's avant de devenir sous-secrÄtaire d'âtat aux affaires extÄrieures en 1925 (le Premier ministre Ätait Ägalement ministre des affaires extÄrieures ê l'Äpoque), Skelton Ätait convaincu de la nÄcessitÄ de libÄrer le Canada de l'Empire britannique et de ses attaches internationales, surtout de ses attaches europÄennes. ╟Avons-nous une dette envers l'Europe?╚ Äcrivait-il en 1926. ╟Sur trois mille milles, le Canada est bordÄ par un voisin quinze fois plus puissant que lui . . . Il sait fort bien qu'aucun pays sur le continent europÄen ne lÅverait le petit doigt pour l'aider si les âtats-Unis l'attaquaient. Sa sÄcuritÄ repose sur une attitude raisonnable de sa part, la bonne foi de son voisin et le dÄveloppement continu de relations amicales, de rÅgles de conduite communes et de points de vue communs. Pourquoi l'Europe n'en ferait-elle pas autant?╚ Skelton avait la ferme conviction que s'il devait y avoir une autre guerre comme la PremiÅre Guerre mondiale, cela se traduirait par une catastrophe nationale pour le Canada. Les Anglais et les Franìais seraient divisÄs; le pays pourrait s'effondrer politiquement ou Étre victime de bouleversements Äconomiques et de la destruction totale de la sociÄtÄ canadienne qui amÅnerait les conflits entre les classes.
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  29.      Ce que Skelton Ätait dÄterminÄ ê Äviter, si cela dÄpendait de lui. Il poursuivit son objectif sur deux fronts: ê brÅve ÄchÄance, en mettant en garde le Premier ministre King et son successeur, R.B. Bennett, contre une participation trop Ätroite aux affaires de l'Empire ou de la S.D.N.; ê longue ÄchÄance, en mettant sur pied un ministÅre des Affaires extÄrieures fort et compÄtent et en tirant parti de l'existence d'ambassades canadiennes indÄpendantes dans les capitales ÄtrangÅres pour affirmer la distinction entre le Canada et la Grande-Bretagne de faìon ê ce que le Canada en vienne ê ne plus dÄpendre des services d'information britanniques pour se tenir au courant de ce qui se passe ê l'Ätranger.
  30.  
  31.      Skelton a d₧, dans une certaine mesure, Étre encouragÄ par la politique de King. Dans les annÄes vingt, le gouvernement canadien dÄsengagea lentement sa politique de celle de la Grande-Bretagne et mit fin, avec l'aide de deux autres ╟dominions╚, l'Afrique du Sud et l'âtat libre d'Irlande ê la thÄorie selon laquelle le Foreign Office parlait au nom de l'Empire britannique lorsqu'il Ätait question de politique ÄtrangÅre. L'empire cessa d'Étre un empire pour devenir une communautÄ de nations dÄcentralisÄe. De 1927 ê 1929, le Canada envoya ses premiers reprÄsentants diplomatiques ê l'Ätranger -- ê Washington, Paris et Tokyo. Skelton rÄussit aussi ê recruter un certain nombre de jeunes fonctionnaires de valeur pour le MinistÅre des Affaires extÄrieures, notamment Laurent Beaudry, Lester Pearson et Norman Robertson. Le succÅs de Skelton toutefois ne fut pas total. Le MinistÅre des Affaires extÄrieures resta stationnaire pendant l'Entre-deux-guerres et le Canada ne commenìa ê accroötre le nombre de ses reprÄsentations diplomatiques (figÄ ê trois) qu'en janvier 1939 o¥ des lÄgations furent Ätablies en Belgique et aux Pays-Bays. Dans les autres capitales du monde, Ottawa continuait ê s'en remettre au Foreign Office pour reprÄsenter les intÄrÉts canadiens.
  32.  
  33.      King convenait avec Skelton que les attaches avec la Grande-Bretagne constituaient une menace pour l'autonomie et l'unitÄ du Canada, mais il ne consentait pas, que ce soit d'un point de vue personnel ou politique, ê Äriger un mur entre les deux pays. Comme beaucoup de Canadiens anglais (et quelques Canadiens franìais), King Ätait profondÄment attachÄ aux traditions, idÄaux et valeurs britanniques; il Ätait Ägalement peu disposÄ ê prendre dans le domaine des affaires ÄtrangÅres la moindre initiative, susceptible, ê son avis, de lui aliÄner d'importantes sections de la population. Un accroissement spectaculaire de la reprÄsentation diplomatique ê l'Ätranger, par exemple, co₧terait cher et pourrait Étre interprÄtÄ comme une dÄloyautÄ vis-ê-vis de la Grande-Bretagne. Dans l'ensemble, King n'en demandait pas davantage que de continuer sur sa lancÄe. Skelton suivait tout ê fait le raisonnement de King, mais il craignait qu'une politique de laisser-aller n'entraöne inÄvitablement le Canada dans une autre guerre britannique.
  34.  
  35.      Vers le milieu et la fin de la deuxiÅme dÄcade du XXe siÅcle, la guerre apparaissait comme une possibilitÄ ÄloignÄe. La prospÄritÄ Äconomique internationale graissait les rouages de l'harmonie internationale. Les Allemands acceptaient de vivre en paix avec leurs voisins; les Russes Ätaient trop occupÄs par leur dÄveloppement interne pour se mÉler des affaires des autres; les Japonais s'essayaient ê faire d'une dÄmocratie libÄrale un systÅme de gouvernement viable. Et la plupart des gens s'accordaient pour penser que, si le besoin s'en faisait sentir, la SociÄtÄ des Nations serait en mesure d'apporter son concours. Symbolique de l'Äpoque est la signature, ê Paris, du Pacte Briand-Kellogg, par lequel toutes les nations s'engageaient ê renoncer ê la guerre comme instrument de politique internationale. Mackenzie King fit le voyage de Paris pour apposer sa signature au traitÄ, puis continua sur GenÅve pour y reprÄsenter le Canada au Conseil de la S.D.N., qui en Ätait l'organe de gouvernement et auquel le ╟vieux dominion╚ avait ÄtÄ Älu en 1927. Les perspectives de paix semblaient si favorables que beaucoup de Canadiens en oubliÅrent leur opposition aux ╟attaches europÄennes╚ que leur imposait l'appartenance ê la S.D.N. Si les intÄrÉts en jeu Ätaient entiÅrement pacifiques, le Canada pouvait certainement y souscrire et mÉme apporter son concours ê leur dÄfense. Surtout que le Canada avait tant de leìons ê donner aux EuropÄens: lors de sa visite ê la S.D.N. en 1928, King brossa un tableau discutable d'un Canada qui avait su intÄgrer ses deux cultures et vivait en paix et en harmonie avec ses voisins du sud.
  36.  
  37.      Cette scÅne idyllique fut rapidement bouleversÄe par les rÄpercussions de l'effondrement de Wall Street en 1929 et par la Grande DÄpression qui en rÄsulta. Un vent de panique Äconomique souffla sur le monde occidental et le systÅme de commerce international faillit Étre emportÄ par la tourmente. Sous l'emprise de la chute des prix et de l'augmentation du chÖmage, diffÄrentes nations prirent des dispositions nÄcessaires pour se protÄger et laisser leurs voisins subir les consÄquences. Le Canada, comme les autres pays, fut touchÄ. Aux Älections gÄnÄrales de 1930, les LibÄraux de Mackenzie King furent balayÄs et remplacÄs au pouvoir par le nouveau chef du parti conservateur, Richard Bedford Bennett, qui dÄclarait publiquement:
  38.  
  39.      Il y a longtemps que les âtats-Unis ont appris que, pour devenir une grande nation, il fallait d'abord compter sur soi-mÉme. C'est pourquoi ils ont commencÄ par affermir leur marchÄ intÄrieur en excluant les produits des autres nations . . . Ils ont dÄveloppÄ leurs industries, leurs ressources naturelles, encouragÄ et protÄgÄ leur agriculture, de sorte que, malgrÄ des dÄbuts modestes, ils ont atteint des proportions gigantesques qui leur permettront, si les pays touchÄs ne prennent pas de mesures prÄcises, de faire valoir leur force et d'imposer leurs objectifs aux autres pays qu'ils se sont fixÄs pour but d'asservir industriellement. Telle est l'histoire des âtats-Unis. Ils ont de l'avance sur nous. Aujourd'hui ils sont plus puissants que nous.
  40.  
  41.      ╦ moins que vous soyez rÄsignÄs ê devenir leur vassal du point de vue Äconomique, il vous faut prendre les mÉmes moyens qu'eux. Vous devez dÄfendre vos propres intÄrÉts et la seule place qui convienne au Canada, c'est la premiÅre . . .
  42.  
  43.      âcoutez, vous les agriculteurs de l'Ouest et de toutes les autres rÄgions du pays. On vous a appris ê applaudir au libre Ächange. Pouvez-vous me dire quand le libre Ächange a dÄfendu vos intÄrÉts? Vous dites que nos droits de douane n'affectent que les industriels. Je les emploierai aussi pour dÄfendre vos intÄrÉts. Je les emploierai pour qu'ils vous taillent une place sur les marchÄs qui vous ont ÄtÄ fermÄs.
  44.  
  45. On comprend facilement que les Canadiens aient ÄtÄ sÄduits par les belles promesses que leur faisait Bennett: du travail, du prestige, de l'action; et, mÉme au QuÄbec, les Conservateurs rÄussirent ê enregistrer une certaine avance pour la premiÅre fois depuis la PremiÅre Guerre mondiale.
  46.  
  47.      Bennett, qui devint Premier ministre, Ätait un homme extrÉmement intelligent, impulsif et absolu. Dans la plupart des circonstances, il ne suivait pas d'autre avis que le sien. ╦ l'Äpoque il y avait une histoire qui circulait sur lui ê Ottawa: un homme se prÄcipite sur son ami pour lui dire qu'il vient juste de voir le premier ministre, en plein jour, qui marchait dans la rue et parlait tout seul ê haute voix. ╟Oh, c'est tout? Cela n'a rien d'anormal. Le Premier ministre Ätait tout simplement en train de consulter son cabinet.╚ En politique extÄrieure, Bennett suivait ses propres inclinations et celles de son parti lorsqu'il portait les tarifs douaniers aussi haut que possible et qu'il essayait ensuite de se servir de cela comme d'un instrument de marchandage dans ses nÄgociations avec les nations ÄtrangÅres et celles de l'Empire. La thÄorie de Bennett, apparemment, et il n'Ätait pas le seul ê la dÄfendre, Ätait que tous les pays allaient Älever leurs droits de douane ê un niveau intolÄrable, bloquant ainsi la majeure partie du commerce (ce qui se produisit effectivement, mÉme si les tarifs douaniers n'Ätaient pas les seuls coupables). Les nations seraient donc tenues de se mettre d'accord sur une rÄduction mutuelle des tarifs pour que les choses se remettent en marche. En 1932, Bennett rÄussit a persuader les nations de la communautÄ britannique de se rÄunir ê Ottawa pour une sÄrie de nÄgociations douaniÅres. Ces entretiens dÄbouchÅrent sur un systÅme de ╟prÄfÄrences impÄriales╚ entre les pays du Commonwealth, encore que ces accords commerciaux s'avÄrÅrent d'une portÄe beaucoup plus limitÄe que ce que beaucoup avaient espÄrÄ avant la rÄunion. Celle-ci n'avait certainement pas amenÄ une rÄduction notable des tarifs dans le monde ou ê l'intÄrieur de l'empire. Bennett, comme le faisait remarquer un fonctionnaire canadien, Ätait ╟un impÄrialiste convaincu╚, mais il ne voulait prendre aucune initiative pour proposer de grosses rÄductions dans les droits de douane ╟en grande partie parce que, en politique canadienne, il Ätait plus sage de ne pas toucher au tarif douanier╚.
  48.  
  49.      La majoritÄ du commerce extÄrieur canadien se faisait en fait avec les âtats-Unis, et les tarifs douaniers amÄricains et canadiens continuaient ê s'affronter le long du quarante-neuviÅme parallÅle. Mais la mise en place aux âtats-Unis, avec les Älections de 1932, d'une administration dÄmocrate sous Franklin D. Roosevelt, modifia l'engagement amÄricain dans une politique douaniÅre vouÄe aux tarifs ÄlevÄs. Des nÄgociations en vue de rÄductions rÄciproques des droits de douane furent bientÖt entreprises et, ê l'automne de 1935, elles Ätaient presque achevÄes. Ce mÉme automne, toutefois, vit de nouvelles Älections qui ramenÅrent Mackenzie King au pouvoir et ce fut King qui termina les nÄgociations, signa le traitÄ de rÄciprocitÄ et s'en attribua le mÄrite.
  50.  
  51.      Les problÅmes Äconomiques suffisaient ê prÄoccuper la plupart des Canadiens pendant la Grande DÄpression. Entre 1929 et 1933, le Produit national brut du Canada baissa de presque 50% de plus que celui de tous les autres pays, ê l'exception des âtats-Unis. Des millions de Canadiens se trouvÅrent sans emploi et des millions reìurent des secours. Et, en plus de ces tristes perspectives Äconomiques, le gouvernement devait Ägalement tenir compte de la menace croissante que constituaient pour la paix mondiale l'Asie et l'Europe.
  52.  
  53.      Sous le choc de la DÄpression, le systÅme politique canadien demeura relativement intact. Tous les pays n'eurent pas autant de chance, lorsqu'ils abandonnÅrent une dÄmocratie ╟inopÄrante╚ au profit d'un systÅme de dictature apparemment plus efficace. L'Italie avait dÄjê suivi cette voie avec Benito Mussolini en 1922; le Japon tomba progressivement sous l'influence de son ArmÄe et de sa Marine; et en Allemagne, on se tourna vers un nouveau sauveur, Adolf Hitler, qui promettait de mettre fin ê la dÄmocratie parlementaire -- et ê la dÄpression. Le Japon, l'Italie et l'Allemagne se considÄraient comme des nations dÄshÄritÄes dans la lutte universelle pour la survie, et nombreux en Occident Ätaient ceux qui sympathisaient avec eux. Aussi, lorsque ces trois pays entreprirent de renverser l'Äquilibre mondial en leur faveur, de nombreux occidentaux trouvÅrent des excuses ê leur conduite.
  54.  
  55.      La premiÅre victime de la nouvelle instabilitÄ internationale fut la SociÄtÄ des Nations, qui Ätait censÄe empÉcher qu'une nouvelle guerre puisse Äclater. En 1931, les troupes du Japon, un des grands de la S.D.N., attaquÅrent la Mandchourie. La Chine, Ägalement membre de la S.D.N., fit appel ê l'organisme international, qui examina la situation, dÄlibÄra sur la question et publia un rapport qui Äquivalait ê condamner l'agression japonaise en Chine, en dÄclarant que les gains territoriaux du Japon ne devraient pas Étre reconnus. Toutefois, la S.D.N. Ätait impuissante ê imposer son jugement parce qu'aucun des âtats membres n'Ätait prÉt ê imposer des sanctions Äconomiques ou militaires au Japon. Entre temps, les Japonais continuaient ê occuper la Mandchourie.
  56.  
  57.      Au dÄbut de 1933, la S.D.N. condamna l'agresseur et le Japon se retira de la S.D.N. Mais la Grande-Bretagne et la France avaient alors d'autres causes de souci. En Allemagne, Adolf Hitler Ätait devenu chancelier en janvier. Avant la fin de l'annÄe, il avait prÄvenu que l'Allemagne allait quitter la S.D.N., supprimÄ toutes les institutions libres en Allemagne et commencÄ sa persÄcution contre les Juifs, qu'il rendait responsables de la plupart des maux du XXe siÅcle. Les Britanniques et les Franìais soupìonnaient Hitler de vouloir essayer par la force de renverser l'Äquilibre du pouvoir en Europe et commencÅrent bientÖt ê prendre des mesures pour contenir la menace nazie. D'une part, ils passÅrent lentement au rÄarmement; d'autre part, les Franìais surtout tentÅrent de faire comprendre aux autres nations europÄennes le danger que posait l'Allemagne. Les Britanniques comme les Franìais Ätaient particuliÅrement soucieux de cultiver l'amitiÄ de l'Italie de Mussolini.
  58.  
  59.      ╦ l'automne 1935, cependant, l'Italie prit le mors aux dents et envahit l'empire d'Ethiopie. L'opinion publique en Grande-Bretagne contraint le gouvernement britannique ê condamner les Italiens, et la confiance qu'ils mettaient dans leurs alliÄs britanniques incitÅrent les Franìais ê faire autant. L'attention du monde entier Ätait tournÄe vers la SociÄtÄ des Nations, dont l'AssemblÄe avait sans tarder passÄ une rÄsolution condamnant l'agression italienne. Le Canada vota en faveur de cette rÄsolution, mais dans les procÄdures de la S.D.N., l'Ätape suivante consistait ê trouver les mesures que les âtats membres pourraient adopter, ê l'exclusion de la guerre, pour persuader les Italiens de se retirer d'âthiopie.
  60.  
  61.      La position du Canada Ätait confuse par suite du changement de gouvernement ê Ottawa. Agissant sans instructions de la part de son gouvernement, le dÄlÄguÄ canadien en fonctions ê la S.D.N., Walter Riddell, insista auprÅs des autres diplomates pour que des sanctions Äconomiques efficaces soient prises et proposa ce qu'il jugeait Étre la sanction la plus efficace de toutes: le pÄtrole. Les sanctions pÄtroliÅres avaient beau donner l'impression de porter un coup fatal ê l'Äconomie et ê l'effort de guerre de l'Italie, il n'en Ätait rien en rÄalitÄ, du fait que les membres de la S.D.N. ne contrÖlaient pas toutes les ressources mondiales. Et mÉme alors Mussolini fit allusion de faìon menaìante ê la possibilitÄ d'une guerre gÄnÄrale, et le gouvernement canadien, qui ne voulait pas apparaötre comme la cause d'un tel conflit, dÄsavoua la dÄclaration non autorisÄe de Riddell. Ce n'Ätait pas lê un Äpisode trÅs glorieux ni pour Riddell, ni pour King, ni pour le Canada, car cela prouvait que le gouvernement n'Ätait pas prÉt ê prendre le moindre risque en faveur de la cause de la rÄsistance collective ê l'agression. Les gouvernements britannique et franìais, de toute faìon, ne souhaitaient pas aller trop loin dans leur dÄsapprobation de Mussolini, de peur qu'il ne fasse alliance avec Hitler. Mais c'est prÄcisÄment ce que fit Mussolini. Et en 1936, il acheva la conquÉte de l'âthiopie. Ce fut la fin de la SociÄtÄ des Nations.
  62.  
  63.      Une partie importante de l'hÄritage de la paix de 1919 une fois ÄliminÄe, le reste ne fut pas long ê suivre. L'Allemagne d'Hitler, contrairement au TraitÄ de Versailles, mais avec le consentement, sinon l'approbation, de la Grande-Bretagne et de la France, avait dÄjê entrepris un programme de rÄarmement. Les Britanniques, eux aussi, poursuivaient leur rÄarmement et commenìaient ê Ätudier les bases d'un rÅglement gÄnÄral avec l'Allemagne qui comporterait de sages concessions aux griefs rÄels des Allemands. Ces griefs, toutefois, naissaient aussi vite qu'Hitler pouvait les inventer, et la Grande-Bretagne et la France cÄdÅrent sur tous les points: non seulement le rÄarmement, mais aussi la rÄoccupation de la zone dÄmilitarisÄe sur le Rhin, l'annexion de l'Autriche ê l'Allemagne et enfin la revendication des territoires de langue allemande de la RÄpublique IndÄpendante de TchÄcoslovaquie pour le Reich allemand.
  64.  
  65.      Devant la tension internationale, le gouvernement canadien passa aussi au rÄarmement tout en approuvant et en appuyant chaleureusement les efforts britanniques en vue d'une solution pacifique. Au dÄbut de 1937, le gouvernement prÄsenta au Parlement un budget de 36 millions de dollars pour couvrir les dÄpenses de dÄfense nationale au cours de l'annÄe suivante -- ce qui reprÄsentait environ les 2/3 des chiffres de 1934. Le gouvernement soutenait que cet argent serait employÄ ê la dÄfense du Canada, mais de nombreux citoyens n'en Ätaient pas convaincus. Le dÄputÄ libÄral pour Toronto Spadina dÄclara ê la Chambre des Communes qu'il avait reìu ╟littÄralement des centaines de communications de ses propres Älecteurs qui Ätaient hostiles ê cette augmentation╚. La majoritÄ des lettres Ämanaient ╟d'hommes de bonne souche an- glo-saxonne. J'ai Ägalement reìu un certain nombre de lettres de ministres de l'âvangile, de professeurs de l'UniversitÄ de Toronto, d'Ätudiants, d'organisations fÄminines et de prÄsidents d'associations familiales et scolaires, qui s'opposaient tous ê l'augmentation des dÄpenses du MinistÅre de la DÄfense nationale, la considÄrant comme une prÄparation en vue de la guerre, comme une entrÄe du Canada dans une course aux armements.╚ Ou, comme le disait un dÄputÄ canadien-franìais: ╟ . . . DÄfendre le Canada! contre qui et contre quoi? o¥ se trouve cette menace subite qui nÄcessite des dÄpenses si considÄrables ê des fins de dÄfense? ê l'Ätranger ou chez nous? . . . Nos voisins n'ont pas changÄ et ils sont tout aussi pacifiques qu'avant. Notre situation gÄographique est la mÉme et il y a toujours des ocÄans pour nous sÄparer de l'Europe et de l'Asie, ce qui veut dire que nous jouissons d'une sÄcuritÄ presque absolue.╚
  66.  
  67.      Le budget de la dÄfense fut facilement adoptÄ. Mais tout ceci renforìa King dans la conviction que l'agitation outre-Atlantique ajoutait inÄvitablement aux forces qui divisaient dÄjê les Canadiens. La tëche principale du parti libÄral Ätait donc de sauvegarder l'unitÄ de la nation canadienne, une unitÄ que King estimait vraiment trÅs fragile. Comme le Premier ministre le disait aux membres de son parti en 1937:
  68.  
  69.      . . . si nous regardons autour de nous, que trouvons-nous: d'Ätranges forces ê l'oeuvre dans presque toutes les provinces et qui mÅnent ê l'ÄcartÅlement. Prenez l'Alberta -- il fait de sinistres efforts pour dÄfier le reste du Canada et prÉche l'isolement Äconomique; et cela peut conduire ê une sÄparation politique. Prenez la province de QuÄbec, o¥ on se prononce ouvertement en faveur de l'Ätablissement d'une rÄpublique sur le Saint-Laurent; o¥ l'antique vÄnÄration pour la ConfÄdÄration a disparu pour faire place ê une vague de sÄparatisme. Prenez le Nouveau-Brunswick, dont certains des hommes au pouvoir disent qu'ils n'appartiennent pas ê une province canadienne, mais ê une province du Royaume-Uni; lê encore l'oeuvre de la ConfÄdÄration est menacÄe. On pourrait trouver des tendances semblables pratiquement dans toutes les provinces. Mais o¥ cela nous mÅnerait-il? O¥ est notre devoir -- cela est clair, c'est d'Étre unis au point de vue politique et de reconnaötre que l'unitÄ du pays est primordiale -- et nous devons sauvegarder cette unitÄ ê tout prix.
  70.  
  71. La rÄponse de King mÄnageait la chÅvre et le chou: personne ne saurait exactement quelle Ätait sa position sur les questions de politique extÄrieure ou de dÄfense nationale.
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  73.      Cependant King Ätait rÄsolu ê venir en aide ê la Grande-Bretagne si une grande guerre Äclatait. En septembre 1938, ê l'Äpoque o¥ la guerre entre les Allemands et les Britanniques ê propos de la TchÄcoslovaquie semblait imminente, King confiait ê son journal qu'il Ätait prÉt ê insister auprÅs d'un cabinet divisÄ pour faire admettre que le Canada se devait de faire ╟tout ce qui est en son pouvoir pour dÄtruire les puissances dont la politique est fondÄe sur la force et non sur le droit . . . Dans une telle situation, je ne songerais pas un instant ê opter pour la neutralitÄ.╚ Quand le Premier ministre britannique, Neville Chamberlain rÄsolut la crise en accordant ê Hitler tout ce qu'il voulait, pourvu qu'il consente ê la recevoir pacifiquement, comme ê peu prÅs tout le monde, King poussa un soupir de soulagement. Il ne serait pas nÄcessaire de mettre l'unitÄ nationale ê l'Äpreuve avant que les Canadiens soient tout ê fait prÉts. Un des trÅs rares opposants des Accords de Munich, J.W. Dafoe, l'influent rÄdacteur en chef du Winnipeg Free Press, pratiquement le seul des journaux canadiens-anglais ê couvrir rÄguliÅrement les ÄvÄnements Ätrangers et ê en faire l'analyse, dÄnonìa ces mÉmes Accords dans un vigoureux Äditorial: ╟Pourquoi ces applaudissements?╚, dans lequel il proposait une formule pour dÄcrire l'agression nazie: ╟(Celle-ci rejette comme sans valeur les accords, engagements, promesses, garanties quand ils interfÅrent avec sa soif d'agression et la puissance nÄcessaire pour l'Ätancher. Hier, c'Ätait l'Autriche, aujourd'hui la TchÄcoslovaquie; que nous rÄservent demain et les jours qui suivront?╚
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  75.      Comme l'avait craint Dafoe, les alarmes de guerre ne s'arrÉtÅrent pas lê. MalgrÄ l'ambiguòtÄ permanente des dÄclarations de King, Ernest Lapointe dÄclarait ê la Chambre des Communes, en mars 1939, que le Canada ╟ne pouvait pas s'attendre ê Étre une oasis au milieu des conflits et des dÄsastres auxquels il serait le seul ê Ächapper.╚ Les Canadiens n'Ätaient pas ê l'abri d'une Äventuelle attaque. Qui pouvait prÄdire comment une puissance totalitaire victorieuse les traiterait? La politique King-Lapointe Ätait le fruit de minutieux calculs. Le Premier ministre continuait ê brouiller les cartes, tandis que son bras droit, parlant au nom du QuÄbec et s'adressant au QuÄbec, disait ê ses concitoyens que le Canada n'Ätait pas -- n'avait jamais rÄellement ÄtÄ -- une ╟maison ê l'Äpreuve du feu╚.
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  77.      De mars ê septembre 1939, le Canada attendit, comme le reste du monde, que la guerre Äclate. Dernier signe du monde paisible qui allait bientÖt disparaötre, le roi Georges VI et la reine Elizabeth firent une visite officielle en mai et juin 1939, pour la plus grande joie du Premier ministre royaliste et de la population anglophile. Leur visite contribua indirectement ê renforcer le sentiment d'appartenance qu'Äprouvaient les Canadiens (spÄcialement les Canadiens anglais) vis-ê-vis de la Grande-Bretagne. Finalement, aprÅs s'Étre protÄgÄ par un pacte avec l'Union soviÄtique, Hitler envahissait la Pologne le 1er septembre 1939. La Grande-Bretagne dÄclarait la guerre ê l'Allemagne le 3 septembre. AprÅs avoir attendu que la Chambre des Communes et le SÄnat soient assemblÄs en sÄance spÄciale, King et Lapointe amenÅrent le Parlement et la population ê se prononcer presque ê l'unanimitÄ sur une politique qu'ils avaient arrÉtÄe de nombreux mois plus tÖt. La dÄclaration des hostilitÄs entre le Canada et l'Allemagne se fit le dimanche 10 septembre, peu aprÅs midi. Le gouvernement avait enfin Äclairci sa politique, longtemps aprÅs se l'Étre fait dicter par la tournure des ÄvÄnements ê l'Ätranger.  
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