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1994-10-09
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1,886 lines
I,1 1 ABNER Oui, je viens dans son temple adorer l'Eternel ;
I,1 2 ABNER Je viens, selon l'usage antique et solennel,
I,1 3 ABNER Célébrer avec vous la fameuse journée
I,1 4 ABNER Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée.
I,1 5 ABNER Que les temps sont changés ! Sitôt que de ce jour
I,1 6 ABNER La trompette sacrée annonçait le retour,
I,1 7 ABNER Du temple, orné partout de festons magnifiques,
I,1 8 ABNER Le peuple saint en foule inondait les portiques ;
I,1 9 ABNER Et tous, devant l'autel avec ordre introduits,
I,1 10 ABNER De leurs champs dans leurs mains portant les nouveaux fruits,
I,1 11 ABNER Au Dieu de l'univers consacraient ces prémices.
I,1 12 ABNER Les prêtres ne pouvaient suffire aux sacrifices.
I,1 13 ABNER L'audace d'une femme, arrêtant ce concours,
I,1 14 ABNER En des jours ténébreux a changé ces beaux jours.
I,1 15 ABNER D'adorateurs zélés à peine un petit nombre
I,1 16 ABNER Ose des premiers temps nous retracer quelque ombre.
I,1 17 ABNER Le reste pour son Dieu montre un oubli fatal ;
I,1 18 ABNER Ou même, s'empressant aux autels de Baal,
I,1 19 ABNER Se fait initier à ses honteux mystères,
I,1 20 ABNER Et blasphème le nom qu'ont invoqué leurs pères.
I,1 21 ABNER Je tremble qu'Athalie, à ne vous rien cacher,
I,1 22 ABNER Vous-même de l'autel vous faisant arracher,
I,1 23 ABNER N'achève enfin sur vous ses vengeances funestes,
I,1 24 ABNER Et d'un respect forcé ne dépouille les restes.
I,1 25 JOAD D'où vous vient aujourd'hui ce noir pressentiment ?
I,1 26 ABNER Pensez-vous être saint et juste impunément ?
I,1 27 ABNER Dès longtemps elle hait cette fermeté rare
I,1 28 ABNER Qui rehausse en Joad l'éclat de la tiare :
I,1 29 ABNER Dès longtemps votre amour pour la religion
I,1 30 ABNER Est traité de révolte et de sédition.
I,1 31 ABNER Du mérite éclatant cette reine jalouse
I,1 32 ABNER Hait surtout Josabet, votre fidèle épouse.
I,1 33 ABNER Si du grand prêtre Aaron Joad est successeur,
I,1 34 ABNER De notre dernier roi Josabet est la soeur.
I,1 35 ABNER Mathan, d'ailleurs, Mathan, ce prêtre sacrilège,
I,1 36 ABNER Plus méchant qu'Athalie, à toute heure l'assiège ;
I,1 37 ABNER Mathan, de nos autels infâme déserteur,
I,1 38 ABNER Et de toute vertu zélé persécuteur.
I,1 39 ABNER C'est peu que, le front ceint d'une mitre étrangère,
I,1 40 ABNER Ce lévite à Baal prête son ministère ;
I,1 41 ABNER Ce temple l'importune, et son impiété
I,1 42 ABNER Voudrait anéantir le Dieu qu'il a quitté.
I,1 43 ABNER Pour vous perdre il n'est point de ressorts qu'il n'invente ;
I,1 44 ABNER Quelquefois il vous plaint, souvent même il vous vante ;
I,1 45 ABNER Il affecte pour vous une fausse douceur,
I,1 46 ABNER Et, par là de son fiel colorant la noirceur,
I,1 47 ABNER Tantôt à cette reine il vous peint redoutable,
I,1 48 ABNER Tantôt, voyant pour l'or sa soif insatiable,
I,1 49 ABNER Il lui feint qu'en un lieu que vous seul connaissez
I,1 50 ABNER Vous cachez des trésors par David amassés.
I,1 51 ABNER Enfin, depuis deux jours, la superbe Athalie
I,1 52 ABNER Dans un sombre chagrin paraît ensevelie.
I,1 53 ABNER Je l'observais hier, et je voyais ses yeux
I,1 54 ABNER Lancer sur le lieu saint des regards furieux :
I,1 55 ABNER Comme si, dans le fond de ce vaste édifice,
I,1 56 ABNER Dieu cachait un vengeur armé pour son supplice.
I,1 57 ABNER Croyez-moi, plus j'y pense, et moins je puis douter
I,1 58 ABNER Que sur vous son courroux ne soit prêt d'éclater,
I,1 59 ABNER Et que de Jézabel la fille sanguinaire
I,1 60 ABNER Ne vienne attaquer Dieu jusqu'en son sanctuaire.
I,1 61 JOAD Celui qui met un frein à la fureur des flots
I,1 62 JOAD Sait aussi des méchants arrêter les complots.
I,1 63 JOAD Soumis avec respect à sa volonté sainte,
I,1 64 JOAD Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte.
I,1 65 JOAD Cependant je rends grâce au zèle officieux
I,1 66 JOAD Qui sur tous mes périls vous fait ouvrir les yeux.
I,1 67 JOAD Je vois que l'injustice en secret vous irrite,
I,1 68 JOAD Que vous avez encore le coeur israélite,
I,1 69 JOAD Le ciel en soit béni ! Mais ce secret courroux,
I,1 70 JOAD Cette oisive vertu, vous en contentez-vous ?
I,1 71 JOAD La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère ?
I,1 72 JOAD Huit ans déjà passés, une impie étrangère
I,1 73 JOAD Du sceptre de David usurpe tous les droits,
I,1 74 JOAD Se baigne impunément dans le sang de nos rois,
I,1 75 JOAD Des enfants de son fils détestable homicide,
I,1 76 JOAD Et même contre Dieu lève son bras perfide.
I,1 77 JOAD Et vous, l'un des soutiens de ce tremblant Etat,
I,1 78 JOAD Vous, nourri dans les camps du saint roi Josaphat,
I,1 79 JOAD Qui sous son fils Joram commandiez nos armées,
I,1 80 JOAD Qui rassurâtes seul nos villes alarmées,
I,1 81 JOAD Lorsque d'Okosias le trépas imprévu
I,1 82 JOAD Dispersa tout son camp à l'aspect de Jéhu :
I,1 83 JOAD «Je crains Dieu, dites-vous ; sa vérité me touche !»
I,1 84 JOAD Voici comme ce Dieu vous répond par ma bouche :
I,1 85 JOAD «Du zèle de ma loi que sert de vous parer ?
I,1 86 JOAD Par de stériles voeux pensez-vous m'honorer ?
I,1 87 JOAD Quel fruit me revient-il de tous vos sacrifices ?
I,1 88 JOAD Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses ?
I,1 89 JOAD Le sang de vos rois crie et n'est point écouté.
I,1 90 JOAD Rompez, rompez tout pacte avec l'impiété ;
I,1 91 JOAD Du milieu de mon peuple exterminez les crimes,
I,1 92 JOAD Et vous viendrez alors m'immoler des victimes.»
I,1 93 ABNER Hé ! que puis-je au milieu de ce peuple abattu ?
I,1 94 ABNER Benjamin est sans force, et Juda sans vertu.
I,1 95 ABNER Le jour qui de leurs rois vit éteindre la race
I,1 96 ABNER Eteignit tout le feu de leur antique audace.
I,1 97 ABNER «Dieu même, disent-ils, s'est retiré de nous :
I,1 98 ABNER De l'honneur des Hébreux autrefois si jaloux,
I,1 99 ABNER Il voit sans intérêt leur grandeur terrassée,
I,1 100 ABNER Et sa miséricorde à la fin s'est lassée.
I,1 101 ABNER On ne voit plus pour nous ses redoutables mains
I,1 102 ABNER De merveilles sans nombre effrayer les humains ;
I,1 103 ABNER L'arche sainte est muette et ne rend plus d'oracles.»
I,1 104 JOAD Et quel temps fut jamais si fertile en miracles ?
I,1 105 JOAD Quand Dieu par plus d'effets montra-t-il son pouvoir ?
I,1 106 JOAD Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir,
I,1 107 JOAD Peuple ingrat ? Quoi ! toujours les plus grandes merveilles
I,1 108 JOAD Sans ébranler ton coeur frapperont tes oreilles ?
I,1 109 JOAD Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours
I,1 110 JOAD Des prodiges fameux accomplis en nos jours ?
I,1 111 JOAD Des tyrans d'Israël les célèbres disgrâces,
I,1 112 JOAD Et Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces ;
I,1 113 JOAD L'impie Achab détruit et de son sang trempé
I,1 114 JOAD Le champ que par le meurtre il avait usurpé ;
I,1 115 JOAD Près de ce champ fatal Jézabel immolée,
I,1 116 JOAD Sous les pieds des chevaux cette reine foulée,
I,1 117 JOAD Dans son sang inhumain les chiens désaltérés,
I,1 118 JOAD Et de son corps hideux les membres déchirés ;
I,1 119 JOAD Des prophètes menteurs la troupe confondue,
I,1 120 JOAD Et la flamme du ciel sur l'autel descendue ;
I,1 121 JOAD Elie aux éléments parlant en souverain,
I,1 122 JOAD Les cieux par lui fermés et devenus d'airain,
I,1 123 JOAD Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée ;
I,1 124 JOAD Les morts se ranimant à la voix d'Elisée :
I,1 125 JOAD Reconnaissez, Abner, à ces traits éclatants,
I,1 126 JOAD Un Dieu tel aujourd'hui qu'il fut dans tous les temps.
I,1 127 JOAD Il sait, quand il lui plaît, faire éclater sa gloire,
I,1 128 JOAD Et son peuple est toujours présent à sa mémoire.
I,1 129 ABNER Mais où sont ces honneurs à David tant promis
I,1 130 ABNER Et prédits même encore à Salomon son fils ?
I,1 131 ABNER Hélas ! nous espérions que de leur race heureuse
I,1 132 ABNER Devait sortir de rois une suite nombreuse ;
I,1 133 ABNER Que sur toute tribu, sur toute nation,
I,1 134 ABNER L'un d'eux établirait sa domination,
I,1 135 ABNER Ferait cesser partout la discorde et la guerre,
I,1 136 ABNER Et verrait à ses pieds tous les rois de la terre.
I,1 137 JOAD Aux promesses du ciel pourquoi renoncez-vous ?
I,1 138 ABNER Ce roi fils de David, où le chercherons-nous ?
I,1 139 ABNER Le ciel même peut-il réparer les ruines
I,1 140 ABNER De cet arbre séché jusque dans ses racines ?
I,1 141 ABNER Athalie étouffa l'enfant même au berceau.
I,1 142 ABNER Les morts, après huit ans, sortent-ils du tombeau ?
I,1 143 ABNER Ah ! si dans sa fureur elle s'était trompée ;
I,1 144 ABNER Si du sang de nos rois quelque goutte échappée...
I,1 145 JOAD Hé bien ! que feriez-vous ?
I,1 145 ABNER O jour heureux pour moi !
I,1 146 ABNER De quelle ardeur j'irais reconnaître mon roi !
I,1 147 ABNER Doutez-vous qu'à ses pieds nos tribus empressées...
I,1 148 ABNER Mais pourquoi me flatter de ces vaines pensées ?
I,1 149 ABNER Déplorable héritier de ces rois triomphants,
I,1 150 ABNER Okosias restait seul avec ses enfants ;
I,1 151 ABNER Par les traits de Jéhu je vis percer le père ;
I,1 152 ABNER Vous avez vu les fils massacrés par la mère.
I,1 153 JOAD Je ne m'explique point ; mais, quand l'astre du jour
I,1 154 JOAD Aura sur l'horizon fait le tiers de son tour,
I,1 155 JOAD Lorsque la troisième heure aux prières rappelle,
I,1 156 JOAD Retrouvez-vous au temple avec ce même zèle.
I,1 157 JOAD Dieu pourra vous montrer, par d'importants bienfaits,
I,1 158 JOAD Que sa parole est stable et ne trompe jamais.
I,1 159 JOAD Allez : pour ce grand jour il faut que je m'apprête,
I,1 160 JOAD Et du temple déjà l'aube blanchit le faîte.
I,1 161 ABNER Quel sera ce bienfait que je ne comprends pas ?
I,1 162 ABNER L'illustre Josabet porte vers vous ses pas :
I,1 163 ABNER Je sors et vais me joindre à la troupe fidèle
I,1 164 ABNER Qu'attire de ce jour la pompe solennelle.
I,2 165 JOAD Les temps sont accomplis, princesse : il faut parler,
I,2 166 JOAD Et votre heureux larcin ne se peut plus celer.
I,2 167 JOAD Des ennemis de Dieu la coupable insolence,
I,2 168 JOAD Abusant contre lui de ce profond silence,
I,2 169 JOAD Accuse trop longtemps ses promesses d'erreur.
I,2 170 JOAD Que dis-je ? Le succès animant leur fureur,
I,2 171 JOAD Jusque sur notre autel votre injuste marâtre
I,2 172 JOAD Veut offrir à Baal un encens idolâtre.
I,2 173 JOAD Montrons ce jeune roi que vos mains ont sauvé,
I,2 174 JOAD Sous l'aile du Seigneur dans le temple élévé.
I,2 175 JOAD De nos princes hébreux il aura le courage,
I,2 176 JOAD Et déjà son esprit a devancé son âge.
I,2 177 JOAD Avant que son destin s'explique par ma voix,
I,2 178 JOAD Je vais l'offrir au Dieu par qui règnent les rois.
I,2 179 JOAD Aussitôt assemblant nos lévites, nos prêtres,
I,2 180 JOAD Je leur déclarerai l'héritier de leurs maîtres.
I,2 181 JOSABET Sait-il déjà son nom et son noble destin ?
I,2 182 JOAD Il ne répond encor qu'au nom d'Eliacin
I,2 183 JOAD Et se croit quelque enfant rejeté par sa mère,
I,2 184 JOAD A qui j'ai par pitié daigné servir de père.
I,2 185 JOSABET Hélas ! de quel péril je l'avais su tirer !
I,2 186 JOSABET Dans quel péril encore est-il prêt de rentrer !
I,2 187 JOAD Quoi ! déjà votre foi s'affaiblit et s'étonne ?
I,2 188 JOSABET A vos sages conseils, seigneur, je m'abandonne.
I,2 189 JOSABET Du jour que j'arrachai cet enfant à la mort,
I,2 190 JOSABET Je remis en vos mains tout le soin de son sort ;
I,2 191 JOSABET Même, de mon amour craignant la violence,
I,2 192 JOSABET Autant que je le puis j'évite sa présence.
I,2 193 JOSABET De peur qu'en le voyant quelque trouble indiscret
I,2 194 JOSABET Ne fasse avec mes pleurs échapper mon secret.
I,2 195 JOSABET Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières,
I,2 196 JOSABET Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières.
I,2 197 JOSABET Cependant aujourd'hui puis-je vous demander
I,2 198 JOSABET Quels amis vous avez prêts à vous seconder ?
I,2 199 JOSABET Abner, le brave Abner, viendra-t-il vous défendre ?
I,2 200 JOSABET A-t-il près de son roi fait serment de se rendre ?
I,2 201 JOAD Abner, quoiqu'on se pût assurer sur sa foi,
I,2 202 JOAD Ne sait pas même encor si nous avons un roi.
I,2 203 JOSABET Mais à qui de Joas confiez-vous la garde ?
I,2 204 JOSABET Est-ce Obed, est-ce Amnon que cet honneur regarde ?
I,2 205 JOSABET De mon père su eux les bienfaits répandus...
I,2 206 JOAD A l'injuste Athalie ils se sont tous vendus.
I,2 207 JOSABET Qui donc opposez-vous contre ses satellites ?
I,2 208 JOAD Ne vous l'ai-je pas dit ? nos prêtres, nos lévites.
I,2 209 JOSABET Je sais que, près de vous en secret assemblé,
I,2 210 JOSABET Par vos soins prévoyants leur nombre est redoublé ;
I,2 211 JOSABET Que, pleins d'amour pour vous, d'horreur pour Athalie,
I,2 212 JOSABET Un serment solennel par avance les lie
I,2 213 JOSABET A ce fils de David qu'on leur doit révéler.
I,2 214 JOSABET Mais, quelque noble ardeur dont ils puissent brûler,
I,2 215 JOSABET Peuvent-ils de leur roi venger seuls la querelle ?
I,2 216 JOSABET Pour un si grand ouvrage est-ce assez de leur zèle ?
I,2 217 JOSABET Doutez-vous qu'Athalie, au premier bruit semé
I,2 218 JOSABET Qu'un fils d'Okosias est ici renfermé,
I,2 219 JOSABET De ses fiers étrangers assemblant les cohortes,
I,2 220 JOSABET N'environne le temple et n'en brise les portes ?
I,2 221 JOSABET Suffira-t-il contre eux de vos ministres saints,
I,2 222 JOSABET Qui, levant au Seigneur leurs innocentes mains,
I,2 223 JOSABET Ne savent que gémir et prier pour nos crimes,
I,2 224 JOSABET Et n'ont jamais versé que le sang des victimes ?
I,2 225 JOSABET Peut-être dans leurs bras Joas percé de coups...
I,2 226 JOAD Et comptez-vous pour rien Dieu, qui combat pour nous ?
I,2 227 JOAD Dieu, qui de l'orphelin protège l'innocence
I,2 228 JOAD Et fait dans la faiblesse éclater se puissance ;
I,2 229 JOAD Dieu qui hait les tyrans et qui dans Jezraël
I,2 230 JOAD Jura d'exterminer Achab et Jézabel ;
I,2 231 JOAD Dieu, qui frappant Joram, le mari de leur fille,
I,2 232 JOAD A jusque sur son fils poursuivi leur famille ;
I,2 233 JOAD Dieu dont le bras vengeur, pour un temps suspendu,
I,2 234 JOAD Sur cette race impie est toujours étendu ?
I,2 235 JOSABET Et c'est sur tous ces rois sa justice sévère
I,2 236 JOSABET Que je crains pour le fils de mon malheureux frère.
I,2 237 JOSABET Qui sait si cet enfant, par leur crime entraîné,
I,2 238 JOSABET Avec eux en naissant ne fut pas condamné ?
I,2 239 JOSABET Si Dieu, le séparant d'une odieuse race,
I,2 240 JOSABET En faveur de David voudra lui faire grâce ?
I,2 241 JOSABET Hélas ! l'état horrible où le ciel me l'offrit
I,2 242 JOSABET Revient à tout moment effrayer mon esprit.
I,2 243 JOSABET De princes égorgés la chambre était remplie ;
I,2 244 JOSABET Un poignard à la main, l'implacable Athalie
I,2 245 JOSABET Au carnage animait ses barbares soldats
I,2 246 JOSABET Et poursuivait le cours de ses assassinats.
I,2 247 JOSABET Joas, laissé pour mort, frappa soudain ma vue.
I,2 248 JOSABET Je me figure encor sa nourrice éperdue,
I,2 249 JOSABET Qui devant les bourreaux s'était jetée en vain,
I,2 250 JOSABET Et, faible, le tenait renversé sur son sein.
I,2 251 JOSABET Je le pris tout sanglant. En baignant son visage,
I,2 252 JOSABET Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage ;
I,2 253 JOSABET Et, soit frayeur encore, ou pour me caresser,
I,2 254 JOSABET De ses bras innocents je me sentis presser.
I,2 255 JOSABET Grand Dieu ! que mon amour ne lui soit point funeste !
I,2 256 JOSABET Du fidèle David c'est le précieux reste.
I,2 257 JOSABET Nourri dans ta maison, en l'amour de ta loi,
I,2 258 JOSABET Il ne connaît encore d'autre père que toi.
I,2 259 JOSABET Sur le point d'attaquer une reine homicide,
I,2 260 JOSABET A l'aspect du péril si ma foi s'intimide,
I,2 261 JOSABET Si la chair et le sang, se troublant aujourd'hui,
I,2 262 JOSABET Ont trop de part aux pleurs que je répands pour lui,
I,2 263 JOSABET Conserve l'héritier de tes saintes promesses,
I,2 264 JOSABET Et ne punis que moi de toutes mes faiblesses.
I,2 265 JOAD Vos larmes, Josabet, n'ont rien de criminel :
I,2 266 JOAD Mais Dieu veut qu'on espère en son soin paternel.
I,2 267 JOAD Il ne recherche point, aveugle en sa colère,
I,2 268 JOAD Sur le fils qui le craint l'impiété du père.
I,2 269 JOAD Tout ce qui reste encor de fidèles Hébreux
I,2 270 JOAD Lui viendront aujourd'hui renouveler leurs voeux.
I,2 271 JOAD Autant que de David la race est respectée,
I,2 272 JOAD Autant de Jézabel la fille est détestée.
I,2 273 JOAD Joas les touchera par sa noble pudeur,
I,2 274 JOAD Où semble de son sang reluire la splendeur ;
I,2 275 JOAD Et Dieu, par sa voix même appuyant notre exemple,
I,2 276 JOAD De plus près à leur coeur parlera en son temple.
I,2 277 JOAD Deux infidèles rois tour à tour l'ont bravé :
I,2 278 JOAD Il faut que sur le trône un roi soit élevé,
I,2 279 JOAD Qui se souvienne un jour qu'au rang de ses ancêtres
I,2 280 JOAD Dieu l'a fait remonter par la main de ses prêtres,
I,2 281 JOAD L'a tiré par leur main de l'oubli du tombeau,
I,2 282 JOAD Et de David éteint rallumé le flambeau.
I,2 283 JOAD Grand Dieu, si tu prévois qu'indigne de sa race,
I,2 284 JOAD Il doive de David abandonner la trace,
I,2 285 JOAD Qu'il soit comme le fuit en naissant arraché,
I,2 286 JOAD Ou qu'un souffle ennemi dans sa fleur a séché.
I,2 287 JOAD Mais si ce même enfant, à tes ordres docile,
I,2 288 JOAD Doit être à tes desseins un instrument utile,
I,2 289 JOAD Fais qu'au juste héritier le sceptre soit remis ;
I,2 290 JOAD Livre en mes faibles mains ses puissants ennemis ;
I,2 291 JOAD Confonds dans ses conseils une reine cruelle.
I,2 292 JOAD Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle
I,2 293 JOAD Répandre cet esprit d'imprudence et d'erreur,
I,2 294 JOAD De la chute des rois funeste avant-coureur !
I,2 295 JOAD L'heure me presse, adieu. Des plus saintes familles
I,2 296 JOAD Votre fils et sa soeur vous amènent les filles.
I,3 297 JOSABET Cher Zacharie, allez, ne vous arrêtez pas ;
I,3 298 JOSABET De votre auguste père accompagnez les pas.
I,3 299 JOSABET O filles de Lévi, troupe jeune et fidèle,
I,3 300 JOSABET Que déjà le Seigneur embrase de son zèle,
I,3 301 JOSABET Qui venez si souvent partager mes soupirs,
I,3 302 JOSABET Enfants, ma seule joie en mes longs déplaisirs,
I,3 303 JOSABET Ces festons en vos mains, et ces fleurs sur vos têtes,
I,3 304 JOSABET Autrefois convenaient à nos pompeuses fêtes.
I,3 305 JOSABET Mais, hélas ! en ces temps d'opprobre et de douleurs,
I,3 306 JOSABET Quelle offrande sied mieux que celles de nos pleurs ?
I,3 307 JOSABET J'entends déjà, j'entends la trompette sacrée,
I,3 308 JOSABET Et du temple bientôt on permettra l'entrée.
I,3 309 JOSABET Tandis que je me vais préparer à marcher,
I,3 310 JOSABET Chantez, louez le Dieu que vous venez chercher.
I,4 311 CHOEUR Tout l'univers est plein de sa magnificence.
I,4 312 CHOEUR Qu'on adore ce Dieu, qu'on l'invoque à jamais !
I,4 313 CHOEUR Son empire a des temps précédé la naissance ;
I,4 314 CHOEUR Chantons, publions ses bienfaits.
I,4 315 VOIX1 En vain l'injuste violence
I,4 316 VOIX1 Au peuple qui le loue imposerait silence :
I,4 317 VOIX1 Son nom ne périra jamais.
I,4 318 VOIX1 Le jour annonce au jour sa gloire et sa puissance,
I,4 319 VOIX1 Tout l'univers est plein de sa magnificence :
I,4 320 VOIX1 Chantons, publions ses bienfaits.
I,4 321 CHOEUR Tout l'univers est plein de sa magnificence :
I,4 322 CHOEUR Chantons, publions ses bienfaits.
I,4 323 VOIX1 Il donne aux fleurs leur aimable peinture :
I,4 324 VOIX1 Il fait naître et mourir les fruits ;
I,4 325 VOIX1 Il leur dispense avec mesure
I,4 326 VOIX1 Et la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits ;
I,4 327 VOIX1 Le champ qui les reçut les rend avec usure.
I,4 328 VOIX2 Il commande au soleil d'animer la nature,
I,4 329 VOIX2 Et la lumière est un nom de ses mains ;
I,4 330 VOIX2 Mais sa loi sainte, sa loi pure
I,4 331 VOIX2 Est le plus riche don qu'il ait fait aux humains.
I,4 332 VOIX3 O mont de Sinaï, conserve la mémoire
I,4 333 VOIX3 De ce jour à jamais auguste et renommé,
I,4 334 VOIX3 Quand, sur ton sommet enflammé,
I,4 335 VOIX3 Dans un nuage épais le Seigneur enfermé
I,4 336 VOIX3 Fit luire aux yeux mortels un rayon de sa gloire.
I,4 337 VOIX3 Dis-nous pourquoi ces feux et ces éclairs,
I,4 338 VOIX3 Ces torrents de fumée, et ce bruit dans les airs,
I,4 339 VOIX3 Ces trompettes et ce tonnerre ?
I,4 340 VOIX3 Venait-il renverser l'ordre des éléments ?
I,4 341 VOIX3 Sur ses antiques fondements
I,4 342 VOIX3 Venait-il ébranler la terre ?
I,4 343 VOIX4 Il venait révéler aux enfants des Hébreux
I,4 344 VOIX4 De ses préceptes saints la lumière immortelle :
I,4 345 VOIX4 Il venait à ce peuple heureux
I,4 346 VOIX4 Ordonner de l'aimer d'une amour éternelle.
I,4 347 CHOEUR O divine, ô charmante loi !
I,4 348 CHOEUR O justice, ô bonté suprême !
I,4 349 CHOEUR Que de raisons, quelle douceur extrême
I,4 350 CHOEUR D'engager à ce Dieu son amour et sa foi !
I,4 351 VOIX1 D'un joug cruel il sauva nos aïeux,
I,4 352 VOIX1 Les nourrit au désert d'un pain délicieux.
I,4 353 VOIX1 Il nous donne ses lois, il se donne lui-même.
I,4 354 VOIX1 Pour tant de biens, il commande qu'on l'aime.
I,4 355 CHOEUR O justice, ô bonté suprême !
I,4 356 VOIX1 Des mers pour eux il entr'ouvrit les eaux ;
I,4 357 VOIX1 D'un aride rocher fit sortir des ruisseaux.
I,4 358 VOIX1 Il nous donne ses lois, il se donne lui-même.
I,4 359 VOIX1 Pour tant de biens, il commande qu'on l'aime.
I,4 360 CHOEUR O divine, ô charmante loi !
I,4 361 CHOEUR Que de raisons, quelle douceur extrême
I,4 362 CHOEUR D'engager à ce Dieu son amour et sa foi !
I,4 363 VOIX2 Vous qui ne connaissez qu'une crainte servile,
I,4 364 VOIX2 Ingrats, un Dieu si bon ne peut-il vous charmer ?
I,4 365 VOIX2 Est-il donc à vos coeurs, est-il si difficile
I,4 366 VOIX2 Et si pénible de l'aimer ?
I,4 367 VOIX2 L'esclave craint le tyran qui l'outrage ;
I,4 368 VOIX2 Mais des enfants l'amour est le partage.
I,4 369 VOIX2 Vous voulez que ce Dieu vous comble de bienfaits,
I,4 370 VOIX2 Et ne l'aimer jamais ?
I,4 371 CHOEUR O divine, ô charmante loi !
I,4 372 CHOEUR O justice, ô bonté suprême !
I,4 373 CHOEUR Que de raisons, quelle douceur extrême
I,4 374 CHOEUR D'engager à ce Dieu son amour et sa foi !
II,1 375 JOSABET Mes filles, c'est assez ; suspendez vos cantiques.
II,1 376 JOSABET Il est temps de nous joindre aux prières publiques.
II,1 377 JOSABET Voici notre heure : allons célébrer ce grand jour,
II,1 378 JOSABET Et devant le Seigneur paraître à notre tour.
II,2 379 JOSABET Mais que vois-je ? Mon fils, quel sujet vous ramène ?
II,2 380 JOSABET Où courez-vous ainsi tout pâle et hors d'haleine ?
II,2 381 ZACHARIE O ma mère !
II,2 381 JOSABET Hé bien ! quoi ?
II,2 381 ZACHARIE Le temple est profané.
II,2 382 JOSABET Comment ?
II,2 382 ZACHARIE Et du Seigneur l'autel abandonné.
II,2 383 JOSABET Je tremble. Hatez-vous d'éclaircir votre mère.
II,2 384 ZACHARIE Déjà, selon la loi, le grand prêtre mon père,
II,2 385 ZACHARIE Après avoir au Dieu qui nourrit les humains
II,2 386 ZACHARIE De la moisson nouvelle offert les premiers pains,
II,2 387 ZACHARIE Lui présentait encore entre ses mains sanglantes
II,2 388 ZACHARIE Des victimes de paix, les entrailles fumantes ;
II,2 389 ZACHARIE Debout à ses côtés le jeune Eliacin
II,2 390 ZACHARIE Comme moi le servait en long habit de lin ;
II,2 391 ZACHARIE Et cependant du sang de la chair immolée
II,2 392 ZACHARIE Les prêtre arrosaient l'autel et l'assemblée.
II,2 393 ZACHARIE Un bruit confus s'élève, et du peuple surpris
II,2 394 ZACHARIE Détourne tout à coup les yeux et les esprits.
II,2 395 ZACHARIE Une femme... peut-on la nommer sans blasphème ?
II,2 396 ZACHARIE Une femme... c'était Athalie elle-même.
II,2 397 JOSABET Ciel !
II,2 397 ZACHARIE Dans un des parvis, aux hommes réservé,
II,2 398 ZACHARIE Cette femme superbe entre, le front levé,
II,2 399 ZACHARIE Et se préparait même à passer les limites
II,2 400 ZACHARIE De l'enceinte sacrée ouverte aux seuls lévites.
II,2 401 ZACHARIE Le peuple s'épouvante et fuit de toutes parts.
II,2 402 ZACHARIE Mon père... Ah ! quel courroux animait ses regards !
II,2 403 ZACHARIE Moïse à Pharaon parut moins formidable :
II,2 404 ZACHARIE «Reine, sors, a-t-il dit, de ce lieu redoutable,
II,2 405 ZACHARIE D'où te bannit ton sexe et ton impiété.
II,2 406 ZACHARIE Viens-tu du Dieu vivant braver la majesté ?»
II,2 407 ZACHARIE La reine alors, sur lui jetant un oeil farouche,
II,2 408 ZACHARIE Pour blasphémer sans doute ouvrait déjà la bouche.
II,2 409 ZACHARIE J'ignore si de Dieu l'ange se dévoilant
II,2 410 ZACHARIE Est venu lui montrer un glaive étincelant ;
II,2 411 ZACHARIE Mais sa langue en sa bouche à l'instant s'est glacée,
II,2 412 ZACHARIE Et toute son audace a paru terrassée ;
II,2 413 ZACHARIE Ses yeux, comme effrayés, n'osaient se détourner ;
II,2 414 ZACHARIE Surtout Eliacin paraissait l'étonner.
II,2 415 JOSABET Quoi donc ? Eliacin a paru devant elle ?
II,2 416 ZACHARIE Nous regardions tous deux cette reine cruelle,
II,2 417 ZACHARIE Et d'une égale horreur nos coeurs étaient frappés.
II,2 418 ZACHARIE Mais les prêtres bientôt nous ont enveloppés.
II,2 419 ZACHARIE On nous a fait sortir. J'ignore tout le reste,
II,2 420 ZACHARIE Et venais vous conter ce désordre funeste.
II,2 421 JOSABET Ah ! de nos bras sans doute elle vient l'arracher ;
II,2 422 JOSABET Et c'est lui qu'à l'autel sa fureur vient chercher.
II,2 423 JOSABET Peut-être en ce moment l'objet de tant de larmes...
II,2 424 JOSABET Souviens-toi de David, Dieu, qui vois mes alarmes.
II,2 425 SALOMITH Quel est-il, cet objet des pleurs que vous versez ?
II,2 426 ZACHARIE Les jours d'Eliacin seraient-ils menacés ?
II,2 427 SALOMITH Aurait-il de la reine attiré la colère ?
II,2 428 ZACHARIE Que craint-on d'un enfant sans support et sans père ?
II,2 429 JOSABET Ah ! la voici. Sortons : il la faut éviter.
II,3 430 AGAR Madame, dans ces lieux pourquoi vous arrêter ?
II,3 431 AGAR Ici tous les objets vous blessent, vous irritent.
II,3 432 AGAR Abandonnez ce temple aux prêtres qui l'habitent :
II,3 433 AGAR Fuyez tout ce tumulte, et dans votre palais
II,3 434 AGAR A vos sens agités venez rendre la paix.
II,3 435 ATHALIE Non, je ne puis : tu vois mon trouble et ma faiblesse.
II,3 436 ATHALIE Va, fais dire à Mathan qu'il vienne, qu'il se presse ;
II,3 437 ATHALIE Heureuse si je puis trouver par son secours
II,3 438 ATHALIE Cette paix que je cherche et qui me fuit toujours.
II,4 439 ABNER Madame, pardonnz si j'ose le défendre.
II,4 440 ABNER Le zèle de Joad n'a point dû vous surprendre.
II,4 441 ABNER Du Dieu que nous servons tel est l'ordre éternel.
II,4 442 ABNER Lui-même, il nous traça son temple et son autel,
II,4 443 ABNER Aux seuls enfants d'Aaron commit ses sacrifices,
II,4 444 ABNER Aux lévites marqua leur place et leurs offices,
II,4 445 ABNER Et surtout défendit à leur postérité
II,4 446 ABNER Avec tout autre Dieu toute société.
II,4 447 ABNER Hé quoi ! vous de nos rois et la femme et la mère,
II,4 448 ABNER Etes-vous à ce point parmi nous étrangère ?
II,4 449 ABNER Ignorez-vous nos lois ? et faut-il qu'aujourd'hui...
II,4 450 ABNER Voici votre Mathan : je vous laisse avec lui.
II,4 451 ATHALIE Votre présence, Abner, est ici nécessaire.
II,4 452 ATHALIE Laissons-là de Joad l'audace téméraire,
II,4 453 ATHALIE Et tout ce vain amas de superstitions
II,4 454 ATHALIE Qui ferment votre temple aux autres nations.
II,4 455 ATHALIE Un sujet plus pressant excite mes alarmes.
II,4 456 ATHALIE Je sais que, dès l'enfance élevé dans les armes,
II,4 457 ATHALIE Abner a le coeur noble, et qu'il rend à la fois
II,4 458 ATHALIE Ce qu'il doit à son Dieu, ce qu'il doit à ses rois.
II,4 459 ATHALIE Demeurez.
II,5 459 MATHAN Grande reine, est-ce ici votre place ?
II,5 460 MATHAN Quel trouble vous agite, et quel effroi vous glace ?
II,5 461 MATHAN Parmi vos ennemis que venez-vous chercher ?
II,5 462 MATHAN De ce temple profane osez-vous approcher ?
II,5 463 MATHAN Avez-vous dépouillé cette haine si vive...
II,5 464 ATHALIE Prêtez-moi l'un et l'autre une oreille attentive.
II,5 465 ATHALIE Je ne veux point ici rappeler le passé,
II,5 466 ATHALIE Ni vous rendre raison du sang que j'ai versé.
II,5 467 ATHALIE Ce que j'ai fait, Abner, j'ai cru le devoir faire.
II,5 468 ATHALIE Je ne prends point pour juge un peuple téméraire :
II,5 469 ATHALIE Quoi que son insolence ait osé publier,
II,5 470 ATHALIE Le ciel même a pris soin de me justifier.
II,5 471 ATHALIE Sur d'éclatants succès ma puissance établie
II,5 472 ATHALIE A fait jusqu'au deux mers respecter Athalie ;
II,5 473 ATHALIE Par moi Jérusalem goûte un calme profond :
II,5 474 ATHALIE Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond,
II,5 475 ATHALIE Ni l'altier Philistin, par d'éternels ravages,
II,5 476 ATHALIE Comme au temps de vos rois, désoler ses rivages ;
II,5 477 ATHALIE Le Syrien me traite et de reine et de soeur ;
II,5 478 ATHALIE Enfin, de ma maison le perfide oppresseur,
II,5 479 ATHALIE Qui devait jusqu'à moi pousser sa barbarie,
II,5 480 ATHALIE Jéhu, le fier Jéhu, tremble dans Samarie.
II,5 481 ATHALIE De toutes parts pressé par un puissant voisin,
II,5 482 ATHALIE Que j'ai su soulever contre cet assassin,
II,5 483 ATHALIE Il me laisse en ces lieux souveraine maîtresse.
II,5 484 ATHALIE Je jouissais en paix du fruit de ma sagesse ;
II,5 485 ATHALIE Mais un trouble importun vient, depuis quelques jours,
II,5 486 ATHALIE De mes prospérités interrompre le cours.
II,5 487 ATHALIE Un songe (me devrais-je inquiéter d'un songe ?)
II,5 488 ATHALIE Entretient dans mon coeur un chagrin qui le ronge.
II,5 489 ATHALIE Je l'évite partout, partout il me poursuit.
II,5 490 ATHALIE C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit.
II,5 491 ATHALIE Ma mère Jézabel davant moi s'est montrée,
II,5 492 ATHALIE Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
II,5 493 ATHALIE Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté ;
II,5 494 ATHALIE Même elle avait encor cet éclat emprunté
II,5 495 ATHALIE Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage,
II,5 496 ATHALIE Pour réparer des ans l'irréparable outrage.
II,5 497 ATHALIE «Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi ;
II,5 498 ATHALIE Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi.
II,5 499 ATHALIE Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
II,5 500 ATHALIE Ma fille.» En achevant ces mots épouvantables,
II,5 501 ATHALIE Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
II,5 502 ATHALIE Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser.
II,5 503 ATHALIE Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
II,5 504 ATHALIE D'os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
II,5 505 ATHALIE Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux
II,5 506 ATHALIE Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.
II,5 507 ABNER Grand Dieu !
II,5 507 ATHALIE Dans ce désordre à mes yeux se présente
II,5 508 ATHALIE Un jeune enfant couvert d'une robe éclatante,
II,5 509 ATHALIE Tels qu'on voit des Hébreux les prêtres revêtus.
II,5 510 ATHALIE Sa vue a ranimé mes esprits abattus ;
II,5 511 ATHALIE Mais, lorsque revenant de mon trouble funeste,
II,5 512 ATHALIE J'admirais sa douceur, son air noble et modeste,
II,5 513 ATHALIE J'ai senti tout à coup un homicide acier
II,5 514 ATHALIE Que le traître en mon sein a plongé tout entier.
II,5 515 ATHALIE De tant d'objets divers le bizarre assemblage
II,5 516 ATHALIE Peut-être du hasard vous paraît un ouvrage.
II,5 517 ATHALIE Moi-même quelque temps, honteuse de ma peur,
II,5 518 ATHALIE Je l'ai pris pour l'effet d'une sombre vapeur.
II,5 519 ATHALIE Mais de ce souvenir mon âme possédée
II,5 520 ATHALIE A deux fois en dormant revu la même idée ;
II,5 521 ATHALIE Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer
II,5 522 ATHALIE Ce même enfant toujours tout prêt à me percer.
II,5 523 ATHALIE Lasse enfin des horreurs dont j'étais poursuivie,
II,5 524 ATHALIE J'allais prier Baal de veiller sur ma vie
II,5 525 ATHALIE Et chercher du repos au pied de ses autels.
II,5 526 ATHALIE Que ne peut la frayeur sur l'esprit des mortels !
II,5 527 ATHALIE Dans le temple des Juifs un instinct m'a poussée,
II,5 528 ATHALIE Et d'apaiser leur Dieu j'ai conçu la pensée ;
II,5 529 ATHALIE J'ai cru que des présents calmeraient son courroux,
II,5 530 ATHALIE Que ce Dieu, quel qu'il soit, en deviendrait plus doux.
II,5 531 ATHALIE Pontife de Baal, excusez ma faiblesse.
II,5 532 ATHALIE J'entre : le peuple fuit, le sacrifice cesse,
II,5 533 ATHALIE Le grand prêtre vers moi s'avance avec fureur.
II,5 534 ATHALIE Pendant qu'il me parlait, ô surprise ! ô terreur !
II,5 535 ATHALIE J'ai vu ce même enfant dont je suis menacée,
II,5 536 ATHALIE Tel qu'un songe effrayant l'a peint à ma pensée.
II,5 537 ATHALIE Je l'ai vu, son même air, son même habit de lin,
II,5 538 ATHALIE Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin ;
II,5 539 ATHALIE C'est lui-même. Il marchait à côté du grand prêtre,
II,5 540 ATHALIE Mais bientôt à ma vue on l'a fait disparaître.
II,5 541 ATHALIE Voilà quel trouble ici m'oblige à m'arrêter,
II,5 542 ATHALIE Et sur quoi j'ai voulu tous deux vous consulter.
II,5 543 ATHALIE Que présage, Mathan, ce prodige incroyable ?
II,5 544 MATHAN Ce songe et ce rapport, tout me semble effroyable.
II,5 545 ATHALIE Mais cet enfant fatal, Abner, vous l'avez vu :
II,5 546 ATHALIE Quel est-il ? de quel sang ? et de quelle tribu ?
II,5 547 ABNER Deux enfants à l'autel prêtaient leur ministère :
II,5 548 ABNER L'un est fils de Joad, Josabet est sa mère ;
II,5 549 ABNER L'autre m'est inconnu.
II,5 549 MATHAN Pourquoi délibérer ?
II,5 550 MATHAN De tous les deux, madame, il se faut assurer.
II,5 551 MATHAN Vous savez pour Joad mes égards, mes mesures,
II,5 552 MATHAN Que je ne cherche point à venger mes injures,
II,5 553 MATHAN Que la seule équité règne en tous mes avis ;
II,5 554 MATHAN Mais lui-même, après tout, fût-ce son propre fils,
II,5 555 MATHAN Voudrait-il un moment laisser vivre un coupable ?
II,5 556 ABNER De quel crime un enfant peut-il être capable ?
II,5 557 MATHAN Le ciel nous le fait voir un poignard à la main :
II,5 558 MATHAN Le ciel est juste et sage et ne fait rien en vain.
II,5 559 MATHAN Que cherchez-vous de plus ?
II,5 559 ABNER Mais, sur la foi d'un songe,
II,5 560 ABNER Dans le sang d'un enfant voulez-vous qu'on se plonge ?
II,5 561 ABNER Vous ne savez encor de quel père il est né,
II,5 562 ABNER Quel il est.
II,5 562 MATHAN On le craint, tout est examiné.
II,5 563 MATHAN A d'illustres parents s'il doit son origine,
II,5 564 MATHAN La spendeur de son sort doit hâter sa ruine.
II,5 565 MATHAN Dans le vulgaire obscur si le sort l'a placé,
II,5 566 MATHAN Qu'importe qu'au hasard un sang vil soit versé ?
II,5 567 MATHAN Est-ce aux rois à garder cette lente justice ?
II,5 568 MATHAN Leur sûreté souvent dépend d'un prompt supplice.
II,5 569 MATHAN N'allons point les gêner d'un soin embarrassant ;
II,5 570 MATHAN Dès qu'on leur est suspect, on n'est plus innocent.
II,5 571 ABNER Hé quoi ! Mathan, d'un prêtre est-ce là le langage ?
II,5 572 ABNER Moi, nourri dans la guerre aux horreurs du carnage,
II,5 573 ABNER Des vengeances des rois ministre rigoureux,
II,5 574 ABNER C'est moi qui prête ici ma voix au malheureux !
II,5 575 ABNER Et vous, qui lui devez des entrailles de père,
II,5 576 ABNER Vous, ministre de paix dans les temps de colère,
II,5 577 ABNER Couvrant d'un zèle faux votre ressentiment,
II,5 578 ABNER Le sang à votre gré coule trop lentement !
II,5 579 ABNER Vous m'avez commandé de parler sans feinte,
II,5 580 ABNER Madame : quel est donc ce grand sujet de crainte ?
II,5 581 ABNER Un songe, un faible enfant que votre oeil prévenu
II,5 582 ABNER Peut-être sans raison croit avoir reconnu.
II,5 583 ATHALIE Je le veux croire, Abner ; je puis m'être trompée.
II,5 584 ATHALIE Peut-être un songe vain m'a trop préoccupée.
II,5 585 ATHALIE Hé bien ! il faut revoir cet enfant de plus près ;
II,5 586 ATHALIE Il en faut à loisir examiner les traits.
II,5 587 ATHALIE Qu'on les fasse tous deux paraître en ma présence.
II,5 588 ABNER Je crains...
II,5 588 ATHALIE Manquerait-on pour moi de complaisance ?
II,5 589 ATHALIE De ce refus bizarre où seraient les raisons ?
II,5 590 ATHALIE Il pourrait me jeter en d'étranges soupçons.
II,5 591 ATHALIE Que Josabet, vous dis-je, ou Joad les amène ;
II,5 592 ATHALIE Je puis, quand je voudrai, parler en souveraine.
II,5 593 ATHALIE Vos prêtres, je veux bien, Abner, vous l'avouer,
II,5 594 ATHALIE Des bontés d'Athalie ont lieu de se louer.
II,5 595 ATHALIE Je sais sur ma conduite et contre ma puissance
II,5 596 ATHALIE Jusqu'où de leurs discours ils portent la licence.
II,5 597 ATHALIE Ils vivent cependant, et leur temple est debout,
II,5 598 ATHALIE Mais je sens que bientôt ma douceur est à bout.
II,5 599 ATHALIE Que Joad mette un frein à son zèle sauvage
II,5 600 ATHALIE Et ne m'irrite point par un second outrage.
II,5 601 ATHALIE Allez.
II,6 601 MATHAN Enfin je puis parler en liberté ;
II,6 602 MATHAN Je puis dans tout son jour mettre la vérité.
II,6 603 MATHAN Quelque monstre naissant dans ce temple s'élève,
II,6 604 MATHAN Reine : n'attendez pas que le nuage crève.
II,6 605 MATHAN Abner chez le grand prêtre a devancé le jour.
II,6 606 MATHAN Pour le sang de ses rois vous savez son amour.
II,6 607 MATHAN Et qui sait si Joad ne veut point en leur place
II,6 608 MATHAN Substituer l'enfant dont le ciel vous menace,
II,6 609 MATHAN Soit son fils, soit quelque autre...
II,6 609 ATHALIE Oui, vous m'ouvrez les yeux.
II,6 610 ATHALIE Je commence à voir clair dans cet avis des cieux.
II,6 611 ATHALIE Mais je veux de mon doute être débarrassée.
II,6 612 ATHALIE Un enfant est peu propre à trahir sa pensée ;
II,6 613 ATHALIE Souvent d'un grand dessein un mot nous fait juger.
II,6 614 ATHALIE Laissez-moi, cher Mathan, le voir, l'interroger.
II,6 615 ATHALIE Vous, cependant, allez, et sans jeter d'alarmes,
II,6 616 ATHALIE A tous mes Tyriens faites prendre les armes.
II,7 617 JOSABET O vous, sur ces enfants si chers, si précieux,
II,7 618 JOSABET Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux.
II,7 619 ABNER Princesse, assurez-vous, je les prends sous ma garde.
II,7 620 ATHALIE O ciel ! plus j'examine et plus je le regarde,
II,7 621 ATHALIE C'est lui ! D'horreur encor tous mes sens sont saisis.
II,7 622 ATHALIE Epouse de Joad, est-ce là votre fils ?
II,7 623 JOSABET Qui ? lui, madame ?
II,7 623 ATHALIE Lui.
II,7 623 JOSABET Je ne suis point sa mère.
II,7 624 JOSABET Voilà mon fils.
II,7 624 ATHALIE Et vous, quel est donc votre père ?
II,7 625 ATHALIE Jeune enfant, répondez.
II,7 625 JOSABET Le ciel jusqu'aujourd'hui...
II,7 626 ATHALIE Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui ?
II,7 627 ATHALIE C'est à lui de parler.
II,7 627 JOSABET Dans un âge si tendre
II,7 628 JOSABET Quel éclaircissement en pouvez-vous attendre ?
II,7 629 ATHALIE Cet âge est innocent : son ingénuité
II,7 630 ATHALIE N'altère point encor la simple vérité.
II,7 631 ATHALIE Laissez-le s'expliquer sur tout ce qui le touche.
II,7 632 JOSABET Daigne mettre, grand Dieu, ta sagesse en sa bouche.
II,7 633 ATHALIE Comment vous nommez-vous ?
II,7 633 JOAS J'ai nom Eliacin.
II,7 634 ATHALIE Votre père ?
II,7 634 JOAS Je suis, dit-on, un orphelin.
II,7 635 JOAS Entre les bras de Dieu jeté dès ma naissance,
II,7 636 JOAS Et qui de mes parents n'eus jamais connaissance.
II,7 636 ATHALIE Vous êtes sans parents ?
II,7 637 JOAS Ils m'ont abandonné.
II,7 637 ATHALIE Comment ? et depuis quand ?
II,7 638 JOAS Depuis que je suis né.
II,7 639 ATHALIE Ne sait-on pas au moins quel pays est le vôtre ?
II,7 640 JOAS Ce temple est mon pays : je n'en connais point d'autre.
II,7 641 ATHALIE Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer ?
II,7 642 JOAS Parmi des loups cruels prêts à me dévorer.
II,7 643 ATHALIE Qui vous mit dans ce temple ?
II,7 643 JOAS Une femme inconnue,
II,7 644 JOAS Qui ne dit point son nom, et qu'on n'a point revue.
II,7 645 ATHALIE Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin ?
II,7 646 JOAS Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ?
II,7 647 JOAS Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
II,7 648 JOAS Et sa bonté s'étend sur toute la nature.
II,7 649 JOAS Tous les jours je l'invoque, et d'un soin paternel
II,7 650 JOAS Il me nourrit des dons offerts sur son autel.
II,7 651 ATHALIE Quel prodige nouveau me trouble et m'embarrasse ?
II,7 652 ATHALIE La douceur de sa voix, son enfance, sa grâce,
II,7 653 ATHALIE Font insensiblement à mon inimitié
II,7 654 ATHALIE Succéder... Je serais sensible à la pitié ?
II,7 655 ABNER Madame, voilà donc cet ennemi terrible.
II,7 656 ABNER De vos songes menteurs l'imposture est visible,
II,7 657 ABNER A moins que la pitié qui semble vous troubler
II,7 658 ABNER Ne soit ce coup fatal qui vous faisait trembler.
II,7 659 ATHALIE Vous sortez ?
II,7 659 JOSABET Vous avez entendu sa fortune.
II,7 660 JOSABET Sa présence à la fin pourrait être importune.
II,7 661 ATHALIE Non : revenez. Quel est tous les jours votre emploi ?
II,7 662 JOAS J'adore le Seigneur ; on m'explique sa loi ;
II,7 663 JOAS Dans son livre divin on m'apprend à la lire,
II,7 664 JOAS Et déjà de ma main je commence à l'écrire.
II,7 665 ATHALIE Que vous dit cette loi ?
II,7 665 JOAS Que Dieu veut être aimé,
II,7 666 JOAS Qu'il venge tôt ou tard son saint nom blasphémé,
II,7 667 JOAS Qu'il est le défenseur de l'orphelin timide,
II,7 668 JOAS Qu'il résiste au superbe et punit l'homicide.
II,7 669 ATHALIE J'entends. Mais tout ce peuple enfermé en ce lieu,
II,7 670 ATHALIE A quoi s'occupe-t-il ?
II,7 670 JOAS Il loue, il bénit Dieu.
II,7 671 ATHALIE Dieu veut-il qu'à toute heure on prie, on le contemple ?
II,7 672 JOAS Tout profane exercice est banni de son temple.
II,7 673 ATHALIE Quels sont donc vos plaisirs ?
II,7 673 JOAS Quelquefois à l'autel
II,7 674 JOAS Je présente au grand prêtre ou l'encens ou le sel ;
II,7 675 JOAS J'entends chanter de Dieu les grandeurs infinies ;
II,7 676 JOAS Je vois l'ordre pompeux de ses cérémonies.
II,7 677 ATHALIE Hé quoi ! vous n'avez point de passe-temps plus doux ?
II,7 678 ATHALIE Je plains le triste sort d'un enfant tel que vous.
II,7 679 ATHALIE Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire.
II,7 680 JOAS Moi ! des bienfaits de Dieu je perdrais la mémoire ?
II,7 681 ATHALIE Non, je ne vous veux pas contraindre à l'oublier.
II,7 682 JOAS Vous ne le priez point.
II,7 682 ATHALIE Vous le pourrez prier.
II,7 683 JOAS Je verrais cependant en invoquer un autre.
II,7 684 ATHALIE J'ai mon Dieu que je sers ; vous servirez le vôtre :
II,7 685 ATHALIE Ce sont deux puissants dieux.
II,7 685 JOAS Il faut craindre le mien ;
II,7 686 JOAS Lui seul est Dieu, madame, et le vôtre n'est rien.
II,7 687 ATHALIE Les plaisirs près de moi vous chercheront en foule.
II,7 688 JOAS Le bonheur des méchants comme un torrent s'écoule.
II,7 689 ATHALIE Ces méchants, qui sont-ils ?
II,7 689 JOSABET Hé ! madame, excusez
II,7 690 JOSABET Un enfant...
II,7 690 ATHALIE J'aime à voir comme vous l'instruisez.
II,7 691 ATHALIE Enfin, Eliacin, vous avez su me plaire ;
II,7 692 ATHALIE Vous n'êtes point sans doute un enfant ordinaire.
II,7 693 ATHALIE Vous voyez, je suis reine, et n'ai point d'héritier.
II,7 694 ATHALIE Laissez là cet habit, quittez ce vil métier ;
II,7 695 ATHALIE Je veux vous faire part de toutes mes richesses ;
II,7 696 ATHALIE Essayez dès ce jour l'effet de mes promesses.
II,7 697 ATHALIE A ma table, partout, à mes côtés assis,
II,7 698 ATHALIE Je prétends vous traiter comme mon propre fils.
II,7 699 JOAS Comme votre fils ?
II,7 699 ATHALIE Oui... Vous vous taisez ?
II,7 699 JOAS Quel père
II,7 700 JOAS Je quitterais ! Et pour...
II,7 700 ATHALIE Hé bien ?
II,7 700 JOAS Pour quelle mère !
II,7 701 ATHALIE Sa mémoire est fidèle, et dans tout ce qu'il dit
II,7 702 ATHALIE De vous et de Joad je reconnais l'esprit.
II,7 703 ATHALIE Voilà comme, infectant cette simple jeunesse,
II,7 704 ATHALIE Vous employez tous deux le calme où je vous laisse.
II,7 705 ATHALIE Vous cultivez déjà leur haine et leur fureur ;
II,7 706 ATHALIE Vous ne leur prononcez mon nom qu'avec horreur.
II,7 707 JOSABET Peut-on de nos malheurs leur dérober l'histoire ?
II,7 708 JOSABET Tous l'univers les sait ; vous-même en faites gloire.
II,7 709 ATHALIE Oui, ma juste fureur, et j'en fais vanité,
II,7 710 ATHALIE A vengé mes parents sur ma postérité.
II,7 711 ATHALIE J'aurais vu massacrer et mon père et mon frère,
II,7 712 ATHALIE Du haut de son palais précipiter ma mère,
II,7 713 ATHALIE Et dans un même jour égorger à la fois
II,7 714 ATHALIE (Quel spectacle d'horreur !) quatre-vingts fils de rois :
II,7 715 ATHALIE Et pourquoi ? Pour venger je ne sais quels prophètes,
II,7 716 ATHALIE Dont elle avait puni les fureurs indiscrètes :
II,7 717 ATHALIE Et moi, reine sans coeur, fille sans amitié,
II,7 718 ATHALIE Esclave d'une lâche et frivole pitié,
II,7 719 ATHALIE Je n'aurais pas du moins à cette aveugle rage
II,7 720 ATHALIE Rendu meurtre pour meurtre, outrage pour outrage,
II,7 721 ATHALIE Et de votre David traité tous les neveux
II,7 722 ATHALIE Comme on traitait d'Achab les restes malheureux ?
II,7 723 ATHALIE Où serais-je aujourd'hui, si, domptant ma faiblesse,
II,7 724 ATHALIE Je n'eusse d'une mère étouffé la tendresse ;
II,7 725 ATHALIE Si de mon propre sang ma main versant des flots
II,7 726 ATHALIE N'eût par ce coup hardi réprimé vos complots ?
II,7 727 ATHALIE Enfin de votre Dieu l'implacable vengeance
II,7 728 ATHALIE Entre nos deux maisons rompit toute alliance.
II,7 729 ATHALIE David m'est en horreur, et les fils de ce roi,
II,7 730 ATHALIE Quoique nés de mon sang, sont étrangers pour moi.
II,7 731 JOSABET Tout vous a réussi ? Que Dieu voie et nous juge.
II,7 732 ATHALIE Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,
II,7 733 ATHALIE Que deviendra l'effet de ses prédictions ?
II,7 734 ATHALIE Qu'il vous donne ce roi promis aux nations,
II,7 735 ATHALIE Cet enfant de David, votre espoir, votre attente...
II,7 736 ATHALIE Mais nous nous reverrons. Adieu. Je sors contente :
II,7 737 ATHALIE J'ai voulu voir, j'ai vu.
II,7 737 ABNER Je vous l'avais promis :
II,7 738 ABNER Je vous rends le dépôt que vous m'avez commis.
II,8 739 JOSABET Avez-vous entendu cette superbe reine,
II,8 740 JOSABET Seigneur ?
II,8 740 JOAD J'entendais tout, et plaignais votre peine.
II,8 741 JOAD Ces lévites et moi, prêts à vous secourir,
II,8 742 JOAD Nous étions avec vous résolus de périr.
II,8 743 JOAD Que Dieu veille sur vous, enfant dont le courage
II,8 744 JOAD Vient de rendre à son nom le noble témoignage.
II,8 745 JOAD Je reconnais, Abner, ce service important.
II,8 746 JOAD Souvenez-vous de l'heure où Joad vous attend.
II,8 747 JOAD Et nous, dont cette femme impie et meurtrière
II,8 748 JOAD A souillé les regards et troublé la prière,
II,8 749 JOAD Rentrons, et qu'un sang pur, par mes mains épanché,
II,8 750 JOAD Lave jusques au marbre où ses pas ont touché.
II,9 751 FILLE1 Quel astre à nos yeux vient de luire ?
II,9 752 FILLE1 Quel sera quelque jour cet enfant merveilleux ?
II,9 753 FILLE1 Il brave le faste orgueilleux,
II,9 754 FILLE1 Et ne se laisse point séduire
II,9 755 FILLE1 A tous ses attraits périlleux.
II,9 756 FILLE2 Pendant que du dieu d'Athalie
II,9 757 FILLE2 Chacun court encenser l'autel,
II,9 758 FILLE2 Un enfant courageux publie
II,9 759 FILLE2 Que Dieu lui seul est éternel,
II,9 760 FILLE2 Et parle comme un autre Elie
II,9 761 FILLE2 Devant cette autre Jézabel.
II,9 762 FILLE3 Qui nous révélera ta naissance secrète,
II,9 763 FILLE3 Cher enfant ? Es-tu fils de quelque saint prophète ?
II,9 764 FILLE4 Ainsi l'on vit l'aimable Samuel
II,9 765 FILLE4 Croître à l'ombre du tabernacle.
II,9 766 FILLE4 Il devint des Hébreux l'espérance et l'oracle.
II,9 767 FILLE4 Puisses-tu, comme lui, consoler Israël !
II,9 768 VOIX1 O bienheureux mille fois
II,9 769 VOIX1 L'enfant que le Seigneur aime,
II,9 770 VOIX1 Qui de bonne heure entend sa voix,
II,9 771 VOIX1 Et que ce Dieu daigne instruire lui-même !
II,9 772 VOIX1 Loin du monde élevé, de tous les dons des cieux
II,9 773 VOIX1 Il est orné dès sa naissance ;
II,9 774 VOIX1 Et du méchant l'abord contagieux
II,9 775 VOIX1 N'altère point son innocence.
II,9 776 CHOEUR Heureuse, heureuse enfance
II,9 777 CHOEUR Que le Seigneur instruit et prend sous sa défense !
II,9 778 VOIX1 Tel en un secret vallon,
II,9 779 VOIX1 Sur le bord d'une onde pure,
II,9 780 VOIX1 Croît, à l'abri de l'aquilon,
II,9 781 VOIX1 Un jeune lis, l'amour de la nature,
II,9 782 VOIX1 Loin du monde élevé, de tous les dons des cieux
II,9 783 VOIX1 Il est orné dès sa naissance ;
II,9 784 VOIX1 Et du méchant l'abord contagieux
II,9 785 VOIX1 N'altère point son innocence.
II,9 786 CHOEUR Heureux, heureux mille fois
II,9 787 CHOEUR L'enfant que le Seigneur rend docile à ses lois !
II,9 788 VOIX2 Mon Dieu, qu'une vertu naissante
II,9 789 VOIX2 Parmi tant de périls marche à pas incertains !
II,9 790 VOIX2 Qu'une âme qui te cherche et veut être innocente
II,9 791 VOIX2 Trouve d'obstacle à tes desseins !
II,9 792 VOIX2 Que d'ennemis lui font la guerre !
II,9 793 VOIX2 Où se peuvent cacher tes saints ?
II,9 794 VOIX2 Les pécheurs couvrent la terre.
II,9 795 VOIX3 O palais de David, et sa chère cité,
II,9 796 VOIX3 Mont fameux, que Dieu même a longtemps habité,
II,9 797 VOIX3 Comment as-tu du ciel attiré la colère ?
II,9 798 VOIX3 Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu vois
II,9 799 VOIX3 Une impie étangère
II,9 800 VOIX3 Assise, hélas ! au trône de tes rois ?
II,9 801 CHOEUR Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu vois
II,9 802 CHOEUR Une impie étangère
II,9 803 CHOEUR Assise, hélas ! au trône de tes rois ?
II,9 804 VOIX3 Au lieu des cantiques charmants
II,9 805 VOIX3 Où David t'exprimait ses saints ravissements,
II,9 806 VOIX3 Et bénissait son Dieu, son Seigneur et son père,
II,9 807 VOIX3 Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu vois
II,9 808 VOIX3 Louer le dieu de l'impie étrangère,
II,9 809 VOIX3 Et blasphémer le nom qu'ont adoré tes rois ?
II,9 810 VOIX4 Combien de temps, Seigneur, combien de temps encore
II,9 811 VOIX4 Verrons-nous contre toi les méchants s'élever ?
II,9 812 VOIX4 Jusque dans ton saint temple ils viennent te braver.
II,9 813 VOIX4 Ils traitent d'insensé le peuple qui t'adore.
II,9 814 VOIX4 Combien de temps, Seigneur, combien de temps encore
II,9 815 VOIX4 Verrons-nous contre toi les méchants s'élever ?
II,9 816 VOIX5 Que vous sert, disent-ils cette vertu sauvage ?
II,9 817 VOIX5 De tant de plaisirs si doux
II,9 818 VOIX5 Pourquoi fuyez-vous l'usage ?
II,9 819 VOIX5 Votre Dieu ne fait rien pour vous.
II,9 820 VOIX6 Rions, chantons, dit cette troupe impie :
II,9 821 VOIX6 De fleurs en fleurs, de plaisirs en plaisirs,
II,9 822 VOIX6 Promenons nos désirs.
II,9 823 VOIX6 Sur l'avenir insensé qui se fie.
II,9 824 VOIX6 De nos ans passagers le nombre est incertain :
II,9 825 VOIX6 Hâtons-nous aujourd'hui de jouir de la vie ;
II,9 826 VOIX6 Qui sait si nous serons demain ?
II,9 827 CHOEUR Qu'ils pleurent, ô mon Dieu, qu'ils frémissent de crainte,
II,9 828 CHOEUR Ces malheureux, qui de ta cité sainte
II,9 829 CHOEUR Ne verront point l'éternelle splendeur.
II,9 830 CHOEUR C'est à nous de chanter, nous à qui tu révèles
II,9 831 CHOEUR Tes clartés immortelles ;
II,9 832 CHOEUR C'est à nous de chanter tes dons et ta grandeur.
II,9 833 VOIX7 De tous ces vains plaisirs où leur âme se plonge,
II,9 834 VOIX7 Que leur restera-t-il ? Ce qui reste d'un songe
II,9 835 VOIX7 Dont on a reconnu l'erreur.
II,9 836 VOIX7 A leur réveil, ô réveil plein d'horreur !
II,9 837 VOIX7 Pendant que le pauvre à ta table
II,9 838 VOIX7 Goûtera de ta paix la douceur ineffable,
II,9 839 VOIX7 Ils boiront dans la coupe affreuse, inépuisable,
II,9 840 VOIX7 Que tu présenteras, au jour de ta fureur,
II,9 841 VOIX7 A toute la race coupable.
II,9 842 CHOEUR O réveil plein d'horreur !
II,9 843 CHOEUR O songe peu durable !
II,9 844 CHOEUR O dangereuse erreur !
III,1 845 MATHAN Jeunes filles, allez : qu'on dise à Josabet
III,1 846 MATHAN Que Mathan veut ici lui parler en secret.
III,1 847 VOIX1 Mathan ! O Dieu du ciel, puisses-tu le confondre !
III,1 848 NABAL Hé quoi ! tout se disperse et fuit sans vous répondre ?
III,1 849 MATHAN Approchons.
III,2 849 ZACHARIE Téméraire, où voulez-vous passer ?
III,2 850 ZACHARIE Au-delà de ce lieu gardez-vous d'avancer.
III,2 851 ZACHARIE C'est des ministres saints la demeure sacrée ;
III,2 852 ZACHARIE Les lois à tout profane en défendent l'entrée.
III,2 853 ZACHARIE Qui cherchez-vous ? Mon père, en ce jour solennel,
III,2 854 ZACHARIE De l'idolâtre impur fuit l'aspect criminel ;
III,2 855 ZACHARIE Et devant le Seigneur maintenant prosternée,
III,2 856 ZACHARIE Ma mère en ce devoir craint d'être détournée.
III,2 857 MATHAN Mon fils, nous attendrons ; cessez de vous troubler.
III,2 858 MATHAN C'est votre illustre mère à qui je veux parler.
III,2 859 MATHAN Je viens ici chargé d'un ordre de la reine.
III,3 860 NABAL Leurs enfants ont déjà leur audace hautaine.
III,3 861 NABAL Mais que veut Athalie en cette occasion ?
III,3 862 NABAL D'où naît dans ses conseils cette confusion ?
III,3 863 NABAL Par l'insolent Joad ce matin offensée,
III,3 864 NABAL Et d'un enfant fatal en songe menacée,
III,3 865 NABAL Elle allait immoler Joad à son courroux,
III,3 866 NABAL Et dans ce temple enfin placer Baal et vous.
III,3 867 NABAL Vous m'en aviez déjà confié votre joie,
III,3 868 NABAL Et j'espérais ma part d'une si riche proie.
III,3 869 NABAL Qui fait changer ainsi ses voeux irrésolus ?
III,3 870 MATHAN Ami, depuis deux jours je ne la connais plus.
III,3 871 MATHAN Ce n'est plus cette reine éclairée, intrépide,
III,3 872 MATHAN Elevée au-dessus de son sexe timide,
III,3 873 MATHAN Qui d'abord accablait ses ennemis surpris
III,3 874 MATHAN Et d'un instant perdu connaissait tout le prix.
III,3 875 MATHAN La peur d'un vain remords trouble cette grande âme :
III,3 876 MATHAN Elle flotte, elle hésite ; en un mot, elle est femme.
III,3 877 MATHAN J'avais tantôt rempli d'amertume et de fiel
III,3 878 MATHAN Son coeur, déjà saisi des menaces du ciel ;
III,3 879 MATHAN Elle-même, à mes soins confiant sa vengeance,
III,3 880 MATHAN M'avait dit d'assembler sa garde en diligence ;
III,3 881 MATHAN Mais, soit que cet enfant devant elle amené,
III,3 882 MATHAN De ses parents, dit-on, rebut infortuné,
III,3 883 MATHAN Eût d'un songe effrayant diminué l'alarme,
III,3 884 MATHAN Soit qu'elle eût même en lui vu je ne sais quel charme,
III,3 885 MATHAN J'ai trouvé son courroux chancelant, incertain,
III,3 886 MATHAN Et déjà remettant sa vengeance à demain.
III,3 887 MATHAN Tous ses projets semblaient l'un l'autre se détruire.
III,3 888 MATHAN «Du sort de cet enfant, je me suis fait instruire,
III,3 889 MATHAN Ai-je dit. On commence à vanter ses aïeux ;
III,3 890 MATHAN Joad de temps en temps le montre aux factieux,
III,3 891 MATHAN Le fait attendre aux Juifs comme un autre Moïse,
III,3 892 MATHAN Et d'oracles menteurs s'appuie et s'autorise.»
III,3 893 MATHAN Ces mots ont fait monter la rougeur sur son front.
III,3 894 MATHAN Jamais mensonge heureux n'eut un effet si prompt.
III,3 895 MATHAN «Est-ce à moi de languir dans cette incertitude ?
III,3 896 MATHAN Sortons, a-t-elle dit, sortons d'inquiétude.
III,3 897 MATHAN Vous-même à Josabet prononcez cet arrêt :
III,3 898 MATHAN Les feux vont s'allumer, et le fer est tout prêt :
III,3 899 MATHAN Rien ne peut de leur temple empêcher le ravage,
III,3 900 MATHAN Si je n'ai de leur foi cet enfant pour otage.»
III,3 901 NABAL Hé bien ! pour un enfant qu'ils ne connaissent pas,
III,3 902 NABAL Que le hasard peut-être a jeté dans leurs bras,
III,3 903 NABAL Voudront-ils que leur temple, enseveli sous l'herbe...
III,3 904 MATHAN Ah ! de tous les mortels connais le plus superbe.
III,3 905 MATHAN Plutôt que dans mes mains par Joad soit livré
III,3 906 MATHAN Un enfant qu'à son Dieu Joad a consacré,
III,3 907 MATHAN Tu lui verras subir la mort la plus terrible.
III,3 908 MATHAN D'ailleurs pour cet enfant leur attache est visible.
III,3 909 MATHAN Si j'ai bien de la reine entendu le récit,
III,3 910 MATHAN Joad sur sa naissance en sait plus qu'il ne dit.
III,3 911 MATHAN Quel qu'il soit, je prévois qu'il leur sera funeste.
III,3 912 MATHAN Ils le refuseront : je prends sur moi le reste ;
III,3 913 MATHAN Et j'espère qu'enfin de ce temple odieux
III,3 914 MATHAN Et la flamme et le fer vont délivrer mes yeux.
III,3 915 NABAL Qui peut vous inspirer une haine si forte ?
III,3 916 NABAL Est-ce que de Baal le zèle vous transporte ?
III,3 917 NABAL Pour moi, vous le savez, descendu d'Ismaël,
III,3 918 NABAL Je ne sers ni Baal, ni le Dieu d'Israël.
III,3 919 MATHAN Ami, peux-tu penser que d'un zèle frivole
III,3 920 MATHAN Je me laisse aveugler par une vaine idole,
III,3 921 MATHAN Pour un fragile bois que, malgré mon secours,
III,3 922 MATHAN Les vers sur son autel consument tous les jours ?
III,3 923 MATHAN Né ministre du Dieu qu'en ce temple on adore,
III,3 924 MATHAN Peut-être que Mathan le servirait encore,
III,3 925 MATHAN Si l'amour des grandeurs, la soif de commander,
III,3 926 MATHAN Avec son joug étroit pouvaient s'accommoder.
III,3 927 MATHAN Qu'est-il besoin, Nabal, qu'à tes yeux je rappelle
III,3 928 MATHAN De Joad et de moi la fameuse querelle,
III,3 929 MATHAN Quand j'osai contre lui disputer l'encensoir,
III,3 930 MATHAN Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir ?
III,3 931 MATHAN Vaincu par lui, j'entrai dans une autre carrière,
III,3 932 MATHAN Et mon âme à la cour s'attacha toute entière.
III,3 933 MATHAN J'approchai par degrés de l'oreille des rois,
III,3 934 MATHAN Et bientôt en oracle on érigea ma voix.
III,3 935 MATHAN J'étudiai leur coeur, je flattai leurs caprices,
III,3 936 MATHAN Je leur semai de fleurs les bords des précipices ;
III,3 937 MATHAN Près de leurs passions rien ne me fut sacré ;
III,3 938 MATHAN De mesure et de poids je changeais a leur gré.
III,3 939 MATHAN Autant que de Joad l'inflexible rudesse
III,3 940 MATHAN De leur superbe oreille offensait la mollesse,
III,3 941 MATHAN Autant je les charmais par ma dextérité,
III,3 942 MATHAN Dérobant à leurs yeux la triste vérité,
III,3 943 MATHAN Prêtant à leurs fureurs des couleurs favorables,
III,3 944 MATHAN Et prodigue surtout du sang des misérables.
III,3 945 MATHAN Enfin, au dieu nouveau qu'elle avait introduit,
III,3 946 MATHAN Par les mains d'Athalie un temple fut construit.
III,3 947 MATHAN Jérusalem pleura de se voir profanée ;
III,3 948 MATHAN Des enfants de Lévi la troupe consternée
III,3 949 MATHAN En poussa vers le ciel des hurlements affreux.
III,3 950 MATHAN Moi seul, donnant l'exemple aux timides Hébreux,
III,3 951 MATHAN Déserteur de leur loi, j'approuvai l'entreprise,
III,3 952 MATHAN Et par là de Baal méritai la prêtrise.
III,3 953 MATHAN Par là je me rendis terrible à mon rival ;
III,3 954 MATHAN Je ceignis la tiare, et marchai son égal.
III,3 955 MATHAN Toutefois, je l'avoue, en ce comble de gloire,
III,3 956 MATHAN Du Dieu que j'ai quitté l'importune mémoire
III,3 957 MATHAN Jette encore en mon âme un reste de terreur ;
III,3 958 MATHAN Et c'est ce qui redouble et nourrit ma fureur.
III,3 959 MATHAN Heureux si, sur son temple achevant la vengeance,
III,3 960 MATHAN Je puis convaincre enfin sa haine d'impuissance,
III,3 961 MATHAN Et parmi le débris, le ravage et les morts,
III,3 962 MATHAN A force d'attentats perdre tous mes remords !
III,3 963 MATHAN Mais voici Josabet.
III,4 963 MATHAN Envoyé par la reine
III,4 964 MATHAN Pour rétablir le calme et dissiper la haine,
III,4 965 MATHAN Princesse, en qui le ciel mit un esprit si doux,
III,4 966 MATHAN Ne vous étonnez-pas si je m'adresse à vous.
III,4 967 MATHAN Un bruit, que j'ai pourtant soupçonné de mensonge,
III,4 968 MATHAN Appuyant les avis qu'elle a reçu en songe,
III,4 969 MATHAN Su Joad, accusé de dangereux complots,
III,4 970 MATHAN Allait de sa colère attirer tous les flots.
III,4 971 MATHAN Je ne veux point ici vous vanter mes services.
III,4 972 MATHAN De Joad contre moi, je sais les injustices ;
III,4 973 MATHAN Mais il faut à l'offense opposer les bienfaits.
III,4 974 MATHAN Enfin je viens chargé de paroles de paix.
III,4 975 MATHAN Vivez, solennisez vos fêtes sans ombrage.
III,4 976 MATHAN De votre obéissance elle ne veut qu'un gage :
III,4 977 MATHAN C'est, pour l'en détourner j'ai fait ce que j'ai pu,
III,4 978 MATHAN Cet enfant sans parents qu'elle dit qu'elle a vu.
III,4 979 JOSABET Eliacin !
III,4 979 MATHAN J'en ai pour elle quelque honte :
III,4 980 MATHAN D'un vain songe peut-être elle fait trop de compte.
III,4 981 MATHAN Mais vous vous déclarez ses mortels ennemis,
III,4 982 MATHAN Si cet enfant sur l'heure en mes mains n'est remis.
III,4 983 MATHAN La reine, impatiente, attend votre réponse.
III,4 984 JOSABET Et voilà de sa part la paix qu'on nous annonce !
III,4 985 MATHAN Pourriez-vous un moment douter de l'accepter ?
III,4 986 MATHAN D'un peu de complaisance est-ce trop l'acheter ?
III,4 987 JOSABET J'admirais si Mathan, dépouillant l'artifice,
III,4 988 JOSABET Avait pu de son coeur surmonter l'injustice,
III,4 989 JOSABET Et si de tant de maux le funeste inventeur
III,4 990 JOSABET De quelque ombre de bien pouvait être l'auteur.
III,4 991 MATHAN De quoi vous plaignez-vous ? Vient-on avec furie
III,4 992 MATHAN Arracher de vos bras votre fils Zacharie ?
III,4 993 MATHAN Quel est cet autre enfant si cher à votre amour ?
III,4 994 MATHAN Ce grand attachement me surprend à mon tour.
III,4 995 MATHAN Est-ce un trésor pour vous si précieux, si rare ?
III,4 996 MATHAN Est-ce un libérateur que le ciel vous prépare ?
III,4 997 MATHAN Songez-y : vos refus pourraient me confirmer
III,4 998 MATHAN Un bruit sourd que déjà l'on commence à semer.
III,4 999 JOSABET Quel bruit ?
III,4 999 MATHAN Que cet enfant vient d'illustre origine ;
III,4 1000 MATHAN Qu'à quelque grand projet votre époux le destine.
III,4 1001 JOSABET Et Mathan, par ce bruit qui flatte sa fureur...
III,4 1002 MATHAN Princesse, c'est à vous à me tirer d'erreur.
III,4 1003 MATHAN Je sais que, du mensonge implacable ennemie,
III,4 1004 MATHAN Josabet livrerait même sa propre vie,
III,4 1005 MATHAN S'il fallait que sa vie à sa sincérité
III,4 1006 MATHAN Coûtât le moindre mot contre la vérité.
III,4 1007 MATHAN Du sort de cet enfant on n'a donc nulle trace ?
III,4 1008 MATHAN Une profonde nuit enveloppe sa race ?
III,4 1009 MATHAN Et vous-même ignorez de quels parents issu,
III,4 1010 MATHAN De quelles mains Joad en ses bras l'a reçu ?
III,4 1011 MATHAN Parlez ; je vous écoute et suis prêt de vous croire.
III,4 1012 MATHAN Au Dieu que vous servez, princesse, rendez gloire.
III,4 1013 JOSABET Méchant, c'est bien à vous d'oser ainsi nommer
III,4 1014 JOSABET Un Dieu que votre bouche enseigne à blasphémer.
III,4 1015 JOSABET Sa vérité par vous peut-elle être attestée,
III,4 1016 JOSABET Vous, malheureux, assis dans la chaire empestée
III,4 1017 JOSABET Où le mensonge règne et répand son poison ;
III,4 1018 JOSABET Vous, nourri dans la fourbe et dans la trahison ?
III,5 1019 JOAD Où suis-je ? De Baal ne vois-je pas le prêtre ?
III,5 1020 JOAD Quoi ! fille de David, vous parlez à ce traître ?
III,5 1021 JOAD Vous souffrez qu'il vous parle ? Et vous ne craignez pas
III,5 1022 JOAD Que, du fond de l'abîme entr'ouvert sous ses pas,
III,5 1023 JOAD Il ne sorte à l'instant des feux qui vous embrasent,
III,5 1024 JOAD Ou qu'en tombant sur lui, ces murs ne vous écrasent ?
III,5 1025 JOAD Que veut-il ? De quel front cet ennemi de Dieu
III,5 1026 JOAD Vient-il infecter l'air qu'on respire en ce lieu ?
III,5 1027 MATHAN On reconnaît Joad à cette violence.
III,5 1028 MATHAN Toutefois il devrait montrer plus de prudence,
III,5 1029 MATHAN Respecter une reine, et ne pas outrager
III,5 1030 MATHAN Celui que de son ordre elle a daigné charger.
III,5 1031 JOAD Hé bien ! que nous fait-elle annoncer de sinistre ?
III,5 1032 JOAD Quel sera l'ordre affreux qu'apporte un tel ministre ?
III,5 1033 MATHAN J'ai fait à Josabet savoir sa volonté.
III,5 1034 JOAD Sors donc de devant moi, monstre d'impiété.
III,5 1035 JOAD De toutes tes horreurs, va, comble la mesure.
III,5 1036 JOAD Dieu s'apprête à te joindre à la race parjure,
III,5 1037 JOAD Abiron et Dathan, Doëg, Achitophel.
III,5 1038 JOAD Les chiens, à qui son bras a livré Jézabel,
III,5 1039 JOAD Attendant que sur toi sa fureur se déploie,
III,5 1040 JOAD Déjà sont à ta porte et demandent leur proie.
III,5 1041 MATHAN Avant la fin du jour... on verra qui de nous...
III,5 1042 MATHAN Doit... Mais sortons, Nabal.
III,5 1042 NABAL Où vous égarez-vous ?
III,5 1043 NABAL De vos sens étonnés quel désordre s'empare ?
III,5 1044 NABAL Voilà votre chemin.
III,6 1044 JOSABET L'orage se déclare.
III,6 1045 JOSABET Athalie en fureur demande Eliacin.
III,6 1046 JOSABET Déjà de sa naissance et de votre dessein
III,6 1047 JOSABET On commence, seigneur, à percer le mystère !
III,6 1048 JOSABET Peu s'en faut que Mathan ne m'ait nommé son père.
III,6 1049 JOAD Au perfide Mathan qui l'aurait révélé ?
III,6 1050 JOAD Votre trouble à Mathan n'a-t-il point trop parlé ?
III,6 1051 JOSABET J'ai fait ce que j'ai pu pour m'en rendre maîtresse.
III,6 1052 JOSABET Cependant, croyez-moi, seigneur, le péril presse.
III,6 1053 JOSABET Réservons cet enfant pour un temps plus heureux.
III,6 1054 JOSABET Tandis que les méchants délibèrent entre eux,
III,6 1055 JOSABET Avant qu'on l'environne, avant qu'on nous l'arrache,
III,6 1056 JOSABET Une seconde fois souffrez que je le cache.
III,6 1057 JOSABET Les portes, les chemins lui sont encore ouverts.
III,6 1058 JOSABET Faut-il le transporter aux plus affreux déserts ?
III,6 1059 JOSABET Je suis prête. Je sais une secrète issue
III,6 1060 JOSABET Par où, sans qu'on le voie, et sans être aperçue,
III,6 1061 JOSABET De Cédron avec lui traversant le torrent,
III,6 1062 JOSABET J'irai dans le désert où jadis en pleurant,
III,6 1063 JOSABET Et cherchant comme nous son salut dans la fuite,
III,6 1064 JOSABET David d'un fils rebelle évita la poursuite.
III,6 1065 JOSABET Je craindrai moins pour lui les lions et les ours...
III,6 1066 JOSABET Mais pourquoi de Jéhu refuser le secours ?
III,6 1067 JOSABET Je vous ouvre peut-être un avis salutaire.
III,6 1068 JOSABET Faisons de ce trésor Jéhu dépositaire.
III,6 1069 JOSABET On peut dans ses Etats le conduire aujourd'hui,
III,6 1070 JOSABET Et le chemin est court qui mène jusqu'à lui.
III,6 1071 JOSABET Jéhu n'a point un coeur farouche, inexorable ;
III,6 1072 JOSABET De David a ses yeux le nom est favorable.
III,6 1073 JOSABET Hélas ! est-il un roi si dur et si cruel,
III,6 1074 JOSABET A moins qu'il n'eut pour mère une autre Jézabel,
III,6 1075 JOSABET Qui d'un tel suppliant ne plaignît l'infortune ?
III,6 1076 JOSABET Sa cause à tous les rois n'est-elle pas commune ?
III,6 1077 JOAD Quels timides conseils m'osez-vous suggérer ?
III,6 1078 JOAD En l'appui de Jéhu pourriez-vous espérer ?
III,6 1079 JOSABET Dieu défend-il tout soin et toute prévoyance ?
III,6 1080 JOSABET Ne l'offense-t-on point par trop de confiance ?
III,6 1081 JOSABET A ses desseins sacrés employant les humains,
III,6 1082 JOSABET N'a-t-il pas de Jéhu lui-même armé les mains ?
III,6 1083 JOAD Jéhu, qu'avait choisi sa sagesse profonde,
III,6 1084 JOAD Jéhu, sur qui je vois que votre espoir se fonde,
III,6 1085 JOAD D'un oubli trop ingrat a payé ses bienfaits.
III,6 1086 JOAD Jéhu laisse d'Achab l'affreuse fille en paix,
III,6 1087 JOAD Suit des rois d'Israël les profanes exemples,
III,6 1088 JOAD Du vil dieu de l'Egypte a conservé les temples ;
III,6 1089 JOAD Jéhu, sur les hauts lieux enfin osant offrir
III,6 1090 JOAD Un téméraire encens que Dieu ne peut souffrir,
III,6 1091 JOAD N'a pour servir sa cause et venger ses injures
III,6 1092 JOAD Ni le coeur assez droit, ni les mains assez pures.
III,6 1093 JOAD Non, non ; c'est à Dieu seul qu'il nous faut attacher.
III,6 1094 JOAD Montrons Eliacin ; et, loin de le cacher,
III,6 1095 JOAD Que du bandeau royal sa tête soit ornée.
III,6 1096 JOAD Je veux même avancer l'heure déterminée,
III,6 1097 JOAD Avant que de Mathan le complot soit formé.
III,7 1098 JOAD Hé bien, Azarias, le temple est-il fermé ?
III,7 1099 AZARIAS J'en ai fait devant moi fermer toutes les portes.
III,7 1100 JOAD N'y reste-t-il que vous et vos saintes cohortes ?
III,7 1101 AZARIAS De ses parvis sacrés j'ai deux fois fait le tour.
III,7 1102 AZARIAS Tout a fui, tous se sont séparés sans retour,
III,7 1103 AZARIAS Misérable troupeau qu'a dispersé la crainte ;
III,7 1104 AZARIAS Et Dieu n'est plus servi que dans la tribu sainte.
III,7 1105 AZARIAS Depuis qu'à Pharaon ce peuple est échappé,
III,7 1106 AZARIAS Une égale terreur ne l'avait point frappé.
III,7 1107 JOAD Peuple lâche, en effet, et né pour l'esclavage,
III,7 1108 JOAD Hardi contre Dieu seul ! Poursuivons notre ouvrage.
III,7 1109 JOAD Mais qui retient encor ces enfants parmi nous ?
III,7 1110 FILLE1 Hé ! pourrions-nous, seigneur, nous séparer de vous.
III,7 1111 FILLE1 Dans le temple de Dieu sommes-nous étrangères ?
III,7 1112 FILLE1 Vous avez près de vous nos pères et nos frères.
III,7 1113 FILLE2 Hélas ! si pour venger l'opprobre d'Israël,
III,7 1114 FILLE2 Nos mais ne peuvent pas, comme autrefois Jahel,
III,7 1115 FILLE2 Des ennemis de Dieu percer la tête impie,
III,7 1116 FILLE2 Nous lui pouvons du moins immoler notre vie.
III,7 1117 FILLE2 Quand vos bras combattront pour son temple attaqué,
III,7 1118 FILLE2 Par nos larmes du moins il peut être invoqué.
III,7 1119 JOAD Voilà donc quels vengeurs s'arment pour ta querelle !
III,7 1120 JOAD Des prêtres, des enfants, ô sagesse éternelle !
III,7 1121 JOAD Mais, si tu les soutiens, qui les peut ébranler ?
III,7 1122 JOAD Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler ;
III,7 1123 JOAD Tu frappes et guéris, tu perds et ressuscites.
III,7 1124 JOAD Ils ne s'assurent point en leurs propres mérites,
III,7 1125 JOAD Mais en ton nom sur eux invoqué tant de fois,
III,7 1126 JOAD En tes serments jurés au plus saint de leurs rois,
III,7 1127 JOAD En ce temple où tu fais ta demeure sacrée,
III,7 1128 JOAD Et qui doit du soleil égaler la durée.
III,7 1129 JOAD Mais d'où vient que mon coeur frémit d'un saint effroi ?
III,7 1130 JOAD Est-ce l'Esprit divin qui s'empare de moi ?
III,7 1131 JOAD C'est lui-même. Il m'échauffe. Il parle. Mes yeux s'ouvrent,
III,7 1132 JOAD Et des siècles obscurs devant moi se découvrent.
III,7 1133 JOAD Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords,
III,7 1134 JOAD Et de ses mouvements secondez les transports.
III,7 1135 CHOEUR Que du Seigneur la voix se fasse entendre,
III,7 1136 CHOEUR Et qu'à nos coeurs son oracle divin
III,7 1137 CHOEUR Soit ce qu'à l'herbe tendre
III,7 1138 CHOEUR Est, au printemps, la fraîcheur du matin.
III,7 1139 JOAD Cieux, écoutez ma voix ; terre, prête l'oreille.
III,7 1140 JOAD Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille.
III,7 1141 JOAD Pécheurs, disparaissez : le Seigneur se réveille.
III,7 1142 JOAD Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ?
III,7 1143 JOAD Quel est dans ce lieu saint ce pontife égorgé ?
III,7 1144 JOAD Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide,
III,7 1145 JOAD Des prophètes divins malheureuse homicide.
III,7 1146 JOAD De son amour pour toi ton Dieu s'est dépouillé.
III,7 1147 JOAD Ton encens à ses yeux est un encens souillé.
III,7 1148 JOAD Où menez-vous ces enfants et ces femmes ?
III,7 1149 JOAD Le Seigneur a détruit la reine des cités :
III,7 1150 JOAD Ses prêtres sont captifs, ses rois sont rejetés.
III,7 1151 JOAD Dieu ne veut plus qu'on vienne à ses solennités.
III,7 1152 JOAD Temple, renverse-toi ; cèdres, jetez des flammes.
III,7 1153 JOAD Jérusalem, objet de ma douleur,
III,7 1154 JOAD Quelle main en ce jour t'a ravi tous tes charmes ?
III,7 1155 JOAD Qui changera mes yeux en deux sources de larmes
III,7 1156 JOAD Pour pleurer ton malheur ?
III,7 1157 AZARIAS O saint temple !
III,7 1157 JOSABET O David !
III,7 1157 CHOEUR Dieu de Sion, rappelle,
III,7 1158 CHOEUR Rappelle en sa faveur tes antiques bontés.
III,7 1159 JOAD Quelle Jérusalem nouvelle
III,7 1160 JOAD Sort du fond du désert brillante de clartés,
III,7 1161 JOAD Et porte sur le front une marque immortelle ?
III,7 1162 JOAD Peuples de la terre, chantez.
III,7 1163 JOAD Jérusalem renaît plus charmante et plus belle.
III,7 1164 JOAD D'où lui viennent de tous cotés
III,7 1165 JOAD Ces enfants qu'en son sein elle n'a point portés ?
III,7 1166 JOAD Lève, Jérusalem, lève ta tête altière ;
III,7 1167 JOAD Regarde tous ces rois de ta gloire étonnés :
III,7 1168 JOAD Les rois des nations, devant toi prosternés,
III,7 1169 JOAD De tes pieds baisent la poussière ;
III,7 1170 JOAD Les peuples à l'envi marchent à ta lumière.
III,7 1171 JOAD Heureux qui pour Sion d'une sainte ferveur
III,7 1172 JOAD Sentira son âme embrasée !
III,7 1173 JOAD Cieux, répandez votre rosée,
III,7 1174 JOAD Et que la terre enfante son Sauveur !
III,7 1175 JOSABET Hélas ! d'où nous viendra cette insigne faveur,
III,7 1176 JOSABET Si les rois de qui doit descendre ce Sauveur...
III,7 1177 JOAD Préparez, Josabet, le riche diadème
III,7 1178 JOAD Que sur son front sacré David porta lui-même.
III,7 1179 JOAD Et vous, pour vous armer, suivez-moi dans ces lieux
III,7 1180 JOAD Où se garde caché, loin des profanes yeux,
III,7 1181 JOAD Ce formidable amas de lances et d'épées
III,7 1182 JOAD Qui du sang philistin jadis furent trempées,
III,7 1183 JOAD Et que David vainqueur, d'ans et d'honneurs chargé,
III,7 1184 JOAD Fit consacrer au Dieu qui l'avait protégé.
III,7 1185 JOAD Peut-on les employer pour un plus noble usage ?
III,7 1186 JOAD Venez, je veux moi-même en faire le partage.
III,8 1187 SALOMITH Que de craintes, mes soeurs, que de troubles mortels !
III,8 1188 SALOMITH Dieu tout-puissant, sont-ce là les prémices,
III,8 1189 SALOMITH Les parfums et les sacrifices
III,8 1190 SALOMITH Qu'on devait en ce jour offrir sur tes autels ?
III,8 1191 FILLE1 Quel spectacle à nos yeux timides !
III,8 1192 FILLE1 Qui l'eût cru, qu'on dût voir jamais
III,8 1193 FILLE1 Les glaives meurtriers, les lances homicides
III,8 1194 FILLE1 Briller dans la maison de paix ?
III,8 1195 FILLE2 D'où vient que pour son Dieu, pleine d'indifférence,
III,8 1196 FILLE2 Jérusalem se tait en ce pressant danger ?
III,8 1197 FILLE2 D'où vient, mes soeurs, que pour nous protéger,
III,8 1198 FILLE2 Le brave Abner au moins ne rompt pas le silence ?
III,8 1199 SALOMITH Hélas ! dans une cour où l'on n'a d'autres lois
III,8 1200 SALOMITH Que la force et la violence,
III,8 1201 SALOMITH Où les honneurs et les emplois
III,8 1202 SALOMITH Sont le prix d'une aveugle et basse obéissance,
III,8 1203 SALOMITH Ma soeur, pour la triste innocence
III,8 1204 SALOMITH Qui voudrait élever sa voix ?
III,8 1205 FILLE3 Dans ce péril, dans ce désordre extrême,
III,8 1206 FILLE3 Pour qui prépare-t-on le sacré diadème ?
III,8 1207 SALOMITH Le Seigneur a daigné parler ;
III,8 1208 SALOMITH Mais ce qu'à son prophète il vient de révéler,
III,8 1209 SALOMITH Qui pourra nous le faire entendre ?
III,8 1210 SALOMITH S'arme-t-il pour nous défendre ?
III,8 1211 SALOMITH S'arme-t-il pour nous accabler ?
III,8 1212 CHOEUR O promesse ! ô menace ! ô ténébreux mystère !
III,8 1213 CHOEUR Que de maux, que de biens sont prédits tour à tour !
III,8 1214 CHOEUR Comment peut-on avec tant de colère
III,8 1215 CHOEUR Accorder tant d'amour ?
III,8 1216 VOIX1 Sion ne sera plus. Une flamme cruelle
III,8 1217 VOIX1 Détruira tous ses ornements.
III,8 1218 VOIX2 Dieu protège Sion. Elle a pour fondements
III,8 1219 VOIX2 Sa parole éternelle.
III,8 1220 VOIX1 Je vois tout son éclat disparaître à mes yeux.
III,8 1221 VOIX2 Je vois de toutes parts sa clarté répandue.
III,8 1222 VOIX1 Dans un gouffre profond Sion est descendue.
III,8 1223 VOIX2 Sion a le front dans les cieux.
III,8 1224 VOIX1 Quel triste abaissement !
III,8 1224 VOIX2 Quelle immortelle gloire !
III,8 1225 VOIX1 Que de cris de douleur !
III,8 1225 VOIX2 Que de chants de victoire !
III,8 1226 VOIX3 Cessons de nous troubler : notre Dieu, quelque jour,
III,8 1227 VOIX3 Dévoilera ce grand mystère.
III,8 1228 VOIX123 Révérons sa colère ;
III,8 1229 VOIX123 Espérons en son amour.
III,8 1230 VOIX4 D'un coeur qui t'aime,
III,8 1231 VOIX4 Mon Dieu, qui peut troubler la paix ?
III,8 1232 VOIX4 Il cherche en tout ta volonté suprême,
III,8 1233 VOIX4 Et ne se cherche jamais.
III,8 1234 VOIX4 Sur la terre, dans le ciel même,
III,8 1235 VOIX4 Est-il d'autre bonheur que la tranquille paix
III,8 1236 VOIX4 D'un coeur qui t'aime ?
IV,1 1237 SALOMITH D'un pas majestueux, à coté de ma mère,
IV,1 1238 SALOMITH Le jeune Eliacin s'avance avec mon frère.
IV,1 1239 SALOMITH Dans ces voiles, mes soeurs, que portent-ils tous deux ?
IV,1 1240 SALOMITH Quel est ce glaive enfin qui marche devant eux ?
IV,1 1241 JOSABET Mon fils, avec respect posez sur cette table
IV,1 1242 JOSABET De notre sainte loi le livre redoutable.
IV,1 1243 JOSABET Et vous aussi, posez, aimable Eliacin,
IV,1 1244 JOSABET Cet auguste bandeau près du livre divin.
IV,1 1245 JOSABET Lévite, il faut placer, Joad ainsi l'ordonne,
IV,1 1246 JOSABET Le glaive de David auprès de sa couronne.
IV,1 1247 JOAS Princesse, quel est donc ce spectacle nouveau ?
IV,1 1248 JOAS Pourquoi ce livre saint, ce glaive, ce bandeau ?
IV,1 1249 JOAS Depuis que le Seigneur m'a reçu dans son temple,
IV,1 1250 JOAS D'un semblable appareil je n'ai point vu d'exemple.
IV,1 1251 JOSABET Tous vos doutes, mon fils, bientôt s'éclairciront.
IV,1 1252 JOAS Vous voulez essayer ce bandeau sur mon front ?
IV,1 1253 JOAS Ah ! princesse, gardez d'en profaner la gloire.
IV,1 1254 JOAS Du roi qui l'a porté respectez la mémoire.
IV,1 1255 JOAS Un malheureux enfant aux ours abandonné...
IV,1 1256 JOSABET Laissez, mon fils ; je fais ce qui m'est ordonné.
IV,1 1257 JOAS Mais j'entends les sanglots sortir de votre bouche !
IV,1 1258 JOAS Princesse, vous pleurez ! Quelle pitié vous touche !
IV,1 1259 JOAS Est-ce qu'en holocauste aujourd'hui présenté,
IV,1 1260 JOAS Je dois, comme autrefois la fille de Jephté,
IV,1 1261 JOAS Du Seigneur par ma mort apaiser la colère ?
IV,1 1262 JOAS Hélas ! un fils n'a rien qui ne soit à son père.
IV,1 1263 JOSABET Voici qui vous dira les volontés des cieux.
IV,1 1264 JOSABET Ne craignez rien. Et nous, sortons tous de ces lieux.
IV,2 1265 JOAS Mon père !
IV,2 1265 JOAD Hé bien, mon fils ?
IV,2 1265 JOAS Qu'est-ce donc qu'on prépare ?
IV,2 1266 JOAD Il est juste, mon fils, que je vous le déclare.
IV,2 1267 JOAD Il faut que vous soyez instruit, même avant tous,
IV,2 1268 JOAD Des grands desseins de Dieu sur son peuple et sur vous.
IV,2 1269 JOAD Armez-vous d'un courage et d'une foi nouvelle.
IV,2 1270 JOAD Il est temps de montrer cette ardeur et ce zèle
IV,2 1271 JOAD Qu'au fond de votre coeur mes soins ont cultivés,
IV,2 1272 JOAD Et de payer à Dieu ce que vous lui devez.
IV,2 1273 JOAD Sentez-vous cette noble et généreuse envie ?
IV,2 1274 JOAS Je me sens prêt, s'il veut, de lui donner ma vie.
IV,2 1275 JOAD On vous a lu souvent l'histoire de nos rois.
IV,2 1276 JOAD Vous souvient-il, mon fils, quelle étroites lois
IV,2 1277 JOAD Doit s'imposer un roi digne du diadème ?
IV,2 1278 JOAS Un roi sage, ainsi Dieu l'a prononcé lui-même,
IV,2 1279 JOAS Sur la richesse et l'or ne met point son appui,
IV,2 1280 JOAS Craint le Seigneur son Dieu, sans cesse a devant lui
IV,2 1281 JOAS Ses préceptes, ses lois, ses jugements sévères,
IV,2 1282 JOAS Et d'injustes fardeaux n'accable point ses frères.
IV,2 1283 JOAD Mais sur l'un de ces rois s'il fallait vous régler,
IV,2 1284 JOAD A qui choisiriez-vous, mon fils, de ressembler ?
IV,2 1285 JOAS David, pour le Seigneur plein d'un amour fidèle,
IV,2 1286 JOAS Me paraît des grands rois le plus parfait modèle.
IV,2 1287 JOAD Ainsi dans leurs excès vous n'imiteriez pas
IV,2 1288 JOAD L'infidèle Joram, l'impie Okosias ?
IV,2 1289 JOAS O mon père !
IV,2 1289 JOAD Achevez, dites : que vous en semble ?
IV,2 1290 JOAS Puisse périr comme eux quiconque leur ressemble !
IV,2 1291 JOAS Mon père, en quel état vous vois-je devant moi ?
IV,2 1292 JOAD Je vous rends le respect que je dois à mon roi.
IV,2 1293 JOAD De votre aïeul David, Joas, rendez-vous digne.
IV,2 1294 JOAS Joas ? Moi ?
IV,2 1294 JOAD Vous saurez par quelle grâce insigne
IV,2 1295 JOAD D'une mère en fureur Dieu, trompant le dessein,
IV,2 1296 JOAD Quand déjà son poignard était dans votre sein,
IV,2 1297 JOAD Vous choisit, vous sauva du milieu du carnage.
IV,2 1298 JOAD Vous n'êtes pas encore échappé de sa rage :
IV,2 1299 JOAD Avec la même ardeur qu'elle voulut jadis
IV,2 1300 JOAD Perdre en vous le dernier des enfants de son fils,
IV,2 1301 JOAD A vous faire périr sa cruauté s'attache,
IV,2 1302 JOAD Et vous poursuit encor sous le nom qui vous cache.
IV,2 1303 JOAD Mais sous vos étendards j'ai déjà su ranger
IV,2 1304 JOAD Un peuple obéissant et prompt à vous venger.
IV,2 1305 JOAD Entrez, généreux chefs des familles sacrées,
IV,2 1306 JOAD Du ministère saint tour à tour honorées.
IV,3 1307 JOAD Roi, voilà vos vengeurs contre vos ennemis.
IV,3 1308 JOAD Prêtres, voilà le roi que je vous ai promis.
IV,3 1309 AZARIAS Quoi ? c'est Eliacin ?
IV,3 1309 ISMAEL Quoi ! cet enfant aimable...
IV,3 1310 JOAD Est du roi Juda l'héritier véritable,
IV,3 1311 JOAD Dernier né des enfants du triste Okosias,
IV,3 1312 JOAD Nourri, vous le savez, sous le nom de Joas.
IV,3 1313 JOAD De cette fleur si tendre et sitôt moissonnée,
IV,3 1314 JOAD Tout Juda, comme vous, plaignant la destinée,
IV,3 1315 JOAD Avec ses frères morts le crut enveloppé.
IV,3 1316 JOAD Du perfide couteau comme eux il fut frappé ;
IV,3 1317 JOAD Mais Dieu d'un coup mortel sut détourner l'atteinte,
IV,3 1318 JOAD Conserva dans son coeur la chaleur presque éteinte,
IV,3 1319 JOAD Permit que, des bourreaux trompant l'oeil vigilant,
IV,3 1320 JOAD Josabet dans son sein l'emportât tout sanglant,
IV,3 1321 JOAD Et n'ayant de son vol que moi seul pour complice,
IV,3 1322 JOAD Dans le temple cachât l'enfant et la nourrice.
IV,3 1323 JOAS Hélas ! de tant d'amour et de tant de bienfaits,
IV,3 1324 JOAS Mon père, quel moyen de m'acquitter jamais ?
IV,3 1325 JOAD Gardez pour d'autres temps cette reconnaissance.
IV,3 1326 JOAD Voilà donc votre roi, votre unique espérance.
IV,3 1327 JOAD J'ai pris soin jusqu'ici de vous le conserver :
IV,3 1328 JOAD Ministres du Seigneur, c'est à vous d'achever.
IV,3 1329 JOAD Bientôt de Jézabel la fille meurtrière,
IV,3 1330 JOAD Instruite que Joas voit encor la lumière,
IV,3 1331 JOAD Dans l'horreur du tombeau viendra la replonger.
IV,3 1332 JOAD Déjà, sans le connaître, elle veut l'égorger.
IV,3 1333 JOAD Prêtres saints, c'est à vous de prévenir sa rage.
IV,3 1334 JOAD Il faut finir des Juifs le honteux esclavage,
IV,3 1335 JOAD Venger vos princes morts, relever votre loi,
IV,3 1336 JOAD Et faire aux deux tribus reconnaître leur roi.
IV,3 1337 JOAD L'entreprise, sans doute, est grande et périlleuse.
IV,3 1338 JOAD J'attaque sur son trône une reine orgueilleuse,
IV,3 1339 JOAD Qui voit sous ses drapeaux marcher un camp nombreux
IV,3 1340 JOAD De hardis étrangers, d'infidèles Hébreux.
IV,3 1341 JOAD Mais ma force est au Dieu dont l'intérêt me guide.
IV,3 1342 JOAD Songez qu'en cet enfant tout Israël réside.
IV,3 1343 JOAD Déjà ce Dieu vengeur commence à la troubler ;
IV,3 1344 JOAD Déjà, trompant ses soins, j'ai su vous rassembler.
IV,3 1345 JOAD Elle vous croit ici sans armes, sans défense.
IV,3 1346 JOAD Couronnons, proclamons Joas en diligence.
IV,3 1347 JOAD De là, du nouveau prince intrépides soldats,
IV,3 1348 JOAD Marchons, en invoquant l'arbitre des combats
IV,3 1349 JOAD Et, réveillant la foi dans les coeurs endormie,
IV,3 1350 JOAD Jusque dans son palais cherchons notre ennemie.
IV,3 1351 JOAD Et quels coeurs si plongés dans un lâche sommeil,
IV,3 1352 JOAD Nous voyant avancer dans ce saint appareil,
IV,3 1353 JOAD Ne s'empresseront pas à suivre notre exemple ?
IV,3 1354 JOAD Un roi que Dieu lui-même a nourri dans son temple,
IV,3 1355 JOAD Le successeur d'Aaron de ses prêtres suivi,
IV,3 1356 JOAD Conduisant au combat les enfants de Lévi,
IV,3 1357 JOAD Et, dans ces mêmes mains, des peuples révérées,
IV,3 1358 JOAD Les armes au Seigneur par David consacrées !
IV,3 1359 JOAD Dieu sur ses ennemis répandra sa terreur.
IV,3 1360 JOAD Dans l'infidèle sang baignez-vous sans horreur ;
IV,3 1361 JOAD Frappez, et Tyriens, et même Israélites.
IV,3 1362 JOAD Ne descendez-vous pas de ces fameux lévites
IV,3 1363 JOAD Qui, lorsqu'au dieu du Nil le volage Israël
IV,3 1364 JOAD Rendit dans le désert un culte criminel,
IV,3 1365 JOAD De leurs plus chers parents saintement homicides,
IV,3 1366 JOAD Consacrèrent leurs mains dans le sang des perfides,
IV,3 1367 JOAD Et par ce noble exploit vous acquirent l'honneur
IV,3 1368 JOAD D'être seuls employés aux autels du Seigneur ?
IV,3 1369 JOAD Mais je vois que déjà vous brûlez de me suivre.
IV,3 1370 JOAD Jurez donc, avant tout, sur cet auguste livre,
IV,3 1371 JOAD A ce roi que le ciel vous redonne aujourd'hui,
IV,3 1372 JOAD De vivre, de combattre et de mourir pour lui.
IV,3 1373 AZARIAS Oui, nous jurons ici pour nous, pour tous nos frères,
IV,3 1374 AZARIAS De rétablir Joas au trône de ses pères,
IV,3 1375 AZARIAS De ne poser le fer entre nos mains remis,
IV,3 1376 AZARIAS Qu'après l'avoir vengé de tous ses ennemis.
IV,3 1377 AZARIAS Si quelque transgresseur enfreint cette promesse,
IV,3 1378 AZARIAS Qu'il éprouve, grand Dieu, ta fureur vengeresse ;
IV,3 1379 AZARIAS Qu'avec lui ses enfants, de ton partage exclus,
IV,3 1380 AZARIAS Soient au rang de ces morts que tu ne connais plus.
IV,3 1381 JOAD Et vous, à cette loi, votre règle éternelle,
IV,3 1382 JOAD Roi, ne jurez-vous pas d'être toujours fidèle ?
IV,3 1383 JOAS Pourrais-je à cette loi ne pas me conformer ?
IV,3 1384 JOAD O mon fils, de ce nom j'ose encor vous nommer,
IV,3 1385 JOAD Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes
IV,3 1386 JOAD Que m'arrachent pour vous de trop justes alarmes.
IV,3 1387 JOAD Loin du trône nourri, de ce fatal honneur,
IV,3 1388 JOAD Hélas ! vous ignorez le charme empoisonneur ;
IV,3 1389 JOAD De l'absolu pouvoir vous ignorez l'ivresse,
IV,3 1390 JOAD Et des lâches flatteurs la voix enchanteresse.
IV,3 1391 JOAD Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois,
IV,3 1392 JOAD Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois ;
IV,3 1393 JOAD Qu'un roi n'a d'autre frein que sa volonté même ;
IV,3 1394 JOAD Qu'il doit immoler tout à sa grandeur suprême ;
IV,3 1395 JOAD Qu'aux larmes, au travail le peuple est condamné,
IV,3 1396 JOAD Et d'un sceptre de fer veut être gouverné ;
IV,3 1397 JOAD Que, s'il n'est opprimé, tôt ou tard il opprime :
IV,3 1398 JOAD Ainsi de piège en piège, et d'abîme en abîme,
IV,3 1399 JOAD Corrompant de vos moeurs l'aimable pureté,
IV,3 1400 JOAD Ils vous feront enfin haïr la vérité,
IV,3 1401 JOAD Vous peindront la vertu sous une affreuse image.
IV,3 1402 JOAD Hélas ! ils ont des rois égaré le plus sage.
IV,3 1403 JOAD Promettez sur ce livre, et devant ces témoins,
IV,3 1404 JOAD Que Dieu fera toujours le premier de vos soins ;
IV,3 1405 JOAD Que, sévère aux méchants, et des bons le refuge,
IV,3 1406 JOAD Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge,
IV,3 1407 JOAD Vous souvenant, mon fils, que, caché sous ce lin,
IV,3 1408 JOAD Comme eux vous fûtes pauvre et comme eux orphelin.
IV,3 1409 JOAS Je promets d'observer ce que la loi m'ordonne.
IV,3 1410 JOAS Mon Dieu, punissez-moi si je vous abandonne.
IV,3 1411 JOAD Venez : de l'huile sainte il faut vous consacrer.
IV,3 1412 JOAD Paraissez, Josabet : vous pouvez vous montrer.
IV,4 1413 JOSABET O roi, fils de David !
IV,4 1413 JOAS O mon unique mère !
IV,4 1414 JOAS Venez, cher Zacharie, embrasser votre frère.
IV,4 1415 JOSABET Aux pieds de votre roi prosternez-vous, mon fils.
IV,4 1416 JOAD Enfants, ainsi toujours puissiez-vous être unis !
IV,4 1417 JOSABET Vous savez donc quel sang vous a donné la vie ?
IV,4 1418 JOAS Et je sais quelle main sans vous me l'eût ravie.
IV,4 1419 JOSABET De votre nom, Joas, je puis donc vous nommer.
IV,4 1420 JOAS Joas ne cessera jamais de vous aimer.
IV,4 1421 CHOEUR Quoi ! c'est là...
IV,4 1421 JOSABET C'est Joas.
IV,4 1421 JOAD Ecoutons ce lévite.
IV,5 1422 LEVITE J'ignore contre Dieu quel projet on médite,
IV,5 1423 LEVITE Mais l'airain menaçant frémit de toutes parts ;
IV,5 1424 LEVITE On voit luire des feux parmi des étendards,
IV,5 1425 LEVITE Et sans doute Athalie assemble son armée.
IV,5 1426 LEVITE Déjà même au secours toute voie est fermée ;
IV,5 1427 LEVITE Déjà le sacré mont où le temple est bâti
IV,5 1428 LEVITE D'insolents Tyriens est partout investi ;
IV,5 1429 LEVITE L'un deux, en blasphémant, vient de nous faire entendre
IV,5 1430 LEVITE Qu'Abner est dans les fers et ne peut nous défendre.
IV,5 1431 JOSABET Cher enfant, que le ciel en vain m'avait rendu,
IV,5 1432 JOSABET Hélas ! pour vous sauver j'ai fait ce que j'ai pu :
IV,5 1433 JOSABET Dieu ne se souvient plus de David votre père !
IV,5 1434 JOAD Quoi ! vous ne craignez pas d'attirer sa colère
IV,5 1435 JOAD Sur vous et sur ce roi si cher à votre amour ?
IV,5 1436 JOAD Et quand Dieu, de vos bras l'arrachant sans retour,
IV,5 1437 JOAD Voudrait que de David la maison fût éteinte,
IV,5 1438 JOAD N'êtes-vous pas ici sur la montagne sainte
IV,5 1439 JOAD Où le père des Juifs sur son fils innocent
IV,5 1440 JOAD Leva sans murmurer un bras obéissant,
IV,5 1441 JOAD Et mit sur le bûcher ce fruit de sa vieillesse,
IV,5 1442 JOAD Laissant à Dieu le soin d'accomplir sa promesse,
IV,5 1443 JOAD En lui sacrifiant, avec ce fils aimé,
IV,5 1444 JOAD Tout l'espoir de sa race, en lui seul renfermé ?
IV,5 1445 JOAD Amis, partageons-nous : qu'Ismaël en sa garde
IV,5 1446 JOAD Prenne tout le côté que l'orient regarde :
IV,5 1447 JOAD Vous, le côté de l'Ourse, et vous, de l'occident ;
IV,5 1448 JOAD Vous, le midi. Qu'aucun, par un zèle imprudent,
IV,5 1449 JOAD Découvrant mes desseins, soit prêtre, soit lévite
IV,5 1450 JOAD Ne sorte avant le temps et ne se précipite ;
IV,5 1451 JOAD Et que chacun enfin, d'un même esprit poussé,
IV,5 1452 JOAD Garde en mourant le poste où je l'aurai placé.
IV,5 1453 JOAD L'ennemi nous regarde, en son aveugle rage,
IV,5 1454 JOAD Comme de vils troupeaux réservés au carnage,
IV,5 1455 JOAD Et croit ne rencontrer que désordre et qu'effroi.
IV,5 1456 JOAD Qu'Azarias partout accompagne le roi.
IV,5 1457 JOAD Venez, cher rejeton d'une vaillante race,
IV,5 1458 JOAD Remplir vos défenseurs d'une nouvelle audace ;
IV,5 1459 JOAD Venez du diadème à leurs yeux se couvrir,
IV,5 1460 JOAD Et périssez du moins en roi, s'il faut périr.
IV,5 1461 JOAD Suivez-le, Josabet. Vous, donnez-moi ces armes.
IV,5 1462 JOAD Enfants, offrez à Dieu vos innocentes larmes.
IV,6 1463 CHOEUR Partez, enfants d'Aaron, partez.
IV,6 1464 CHOEUR Jamais plus illustre querelle
IV,6 1465 CHOEUR De vos aïeux n'arma le zèle.
IV,6 1466 CHOEUR Partez, enfants d'Aaron, partez.
IV,6 1467 CHOEUR C'est votre roi, c'est Dieu pour qui vous combattez.
IV,6 1468 VOIX1 Où sont les traits que tu lances,
IV,6 1469 VOIX1 Grand Dieu, dans ton juste courroux ?
IV,6 1470 VOIX1 N'es-tu plus le Dieu jaloux ?
IV,6 1471 VOIX1 N'es-tu plus le Dieu des vengeances ?
IV,6 1472 VOIX2 Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ?
IV,6 1473 VOIX2 Dans l'horreur qui nous environne,
IV,6 1474 VOIX2 N'entends-tu que la voix de nos iniquités ?
IV,6 1475 VOIX2 N'es-tu plus le Dieu qui pardonne ?
IV,6 1476 CHOEUR Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ?
IV,6 1477 VOIX3 C'est à toi que dans cette guerre
IV,6 1478 VOIX3 Les flèches des méchants prétendent s'adresser.
IV,6 1479 VOIX3 «Faisons, disent-ils, cesser
IV,6 1480 VOIX3 Les fêtes de Dieu sur la terre.
IV,6 1481 VOIX3 De son joug importun délivrons les mortels.
IV,6 1482 VOIX3 Massacrons tous ses saints, renversons ses autels,
IV,6 1483 VOIX3 Que de son nom, que de sa gloire
IV,6 1484 VOIX3 Il ne reste plus de mémoire ;
IV,6 1485 VOIX3 Que ni lui ni son Christ ne règnent plus sur nous.»
IV,6 1486 CHOEUR Où sont les traits que tu lances,
IV,6 1487 CHOEUR Grand Dieu, dans ton juste courroux ?
IV,6 1488 CHOEUR N'es-tu plus le Dieu jaloux ?
IV,6 1489 CHOEUR N'es-tu plus le Dieu des vengeances ?
IV,6 1490 VOIX4 Triste reste de nos rois,
IV,6 1491 VOIX4 Chère et dernière fleur d'une tige si belle,
IV,6 1492 VOIX4 Hélas ! sous le couteau d'une mère cruelle
IV,6 1493 VOIX4 Te verrons-nous tomber une seconde fois ?
IV,6 1494 VOIX4 Prince aimable, dis-nous si quelque ange au berceau
IV,6 1495 VOIX4 Contre tes assassins prit soin de te défendre ;
IV,6 1496 VOIX4 Ou si dans la nuit du tombeau
IV,6 1497 VOIX4 La voix du Dieu vivant a ranimé ta cendre ?
IV,6 1498 VOIX5 D'un père et d'un aïeul contre toi révoltés,
IV,6 1499 VOIX5 Grand Dieu, les attentats lui sont-ils imputés ?
IV,6 1500 VOIX5 Est-ce que sans retour ta pitié l'abandonne ?
IV,6 1501 CHOEUR Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ?
IV,6 1502 CHOEUR N'es-tu plus le Dieu qui pardonne ?
IV,6 1503 FILLE1 Chères soeurs, n'entendez-vous pas
IV,6 1504 FILLE1 Des cruels Tyriens la trompette qui sonne ?
IV,6 1505 SALOMITH J'entends même les cris des barbares soldats,
IV,6 1506 SALOMITH Et d'horreur j'en frissonne.
IV,6 1507 SALOMITH Courons, fuyons, retirons-nous
IV,6 1508 SALOMITH A l'ombre salutaire
IV,6 1509 SALOMITH Du redoutable sanctuaire.
V,1 1510 SALOMITH Cher Zacharie, hé bien ! que nous apprenez-vous ?
V,1 1511 ZACHARIE Redoublez au Seigneur votre ardente prière.
V,1 1512 ZACHARIE Peut-être nous touchons à notre heure dernière ;
V,1 1513 ZACHARIE Pour l'horrible combat, ma soeur, l'ordre est donné.
V,1 1514 SALOMITH Que fait Joas ?
V,1 1514 ZACHARIE Joas vient d'être couronné.
V,1 1515 ZACHARIE Le grand prêtre a sur lui répandu l'huile sainte.
V,1 1516 ZACHARIE O ciel ! dans tous les yeux quelle joie était peinte
V,1 1517 ZACHARIE A l'aspect de ce roi racheté du tombeau !
V,1 1518 ZACHARIE Ma soeur, on voit encor la marque du couteau ;
V,1 1519 ZACHARIE On voit paraître aussi sa fidèle nourrice,
V,1 1520 ZACHARIE Qui, cachée en un coin de ce vaste édifice,
V,1 1521 ZACHARIE Gardait ce cher dépôt et n'avait de ses soins
V,1 1522 ZACHARIE Que les yeux de ma mère et que Dieu pour témoins.
V,1 1523 ZACHARIE Nos lévites pleuraient de joie et de tendresse,
V,1 1524 ZACHARIE Et mêlaient leurs sanglots à leurs cris d'allégresse.
V,1 1525 ZACHARIE Lui, parmi ces transports, affable et sans orgueil,
V,1 1526 ZACHARIE A l'un tendait la main, flattait l'autre de l'oeil,
V,1 1527 ZACHARIE Jurait de se régler par leurs avis sincères,
V,1 1528 ZACHARIE Et les appelait tous ses pères ou ses frères.
V,1 1529 SALOMITH Ce secret au-dehors est-il aussi semé ?
V,1 1530 ZACHARIE Ce secret dans le temple est encor renfermé.
V,1 1531 ZACHARIE Des enfants de Lévi la troupe partagée
V,1 1532 ZACHARIE Dans un profond silence aux portes s'est rangée.
V,1 1533 ZACHARIE Tous doivent à la fois précipiter leurs pas,
V,1 1534 ZACHARIE Et crier pour signal : «Vive le roi Joas» !
V,1 1535 ZACHARIE Mais mon père défend que le roi se hasarde,
V,1 1536 ZACHARIE Et veut qu'Azarias demeure pour sa garde.
V,1 1537 ZACHARIE Cependant Athalie, un poignard à la main,
V,1 1538 ZACHARIE Rit des faibles remparts de nos portes d'airain.
V,1 1539 ZACHARIE Pour les rompre, elle attend les fatales machines,
V,1 1540 ZACHARIE Et ne respire enfin que sang et que ruines.
V,1 1541 ZACHARIE Quelques prêtres, ma soeur, ont d'abord proposé
V,1 1542 ZACHARIE Qu'en un lieu souterrain, par nos prêtres creusé,
V,1 1543 ZACHARIE On renfermât du moins notre arche précieuse.
V,1 1544 ZACHARIE «O crainte, a dit mon père, indigne, injurieuse !
V,1 1545 ZACHARIE L'arche qui fit tomber tant de superbes tours,
V,1 1546 ZACHARIE Et força le Jourdain de rebrousser son cours,
V,1 1547 ZACHARIE Des dieux des nations tant de fois triomphante,
V,1 1548 ZACHARIE Fuirait donc à l'aspect d'une femme insolente ?»
V,1 1549 ZACHARIE Ma mère, auprès du roi, dans un trouble mortel,
V,1 1550 ZACHARIE L'oeil tantôt sur ce prince et tantôt vers l'autel,
V,1 1551 ZACHARIE Muette et succombant sous le poids des alarmes,
V,1 1552 ZACHARIE Aux yeux les plus cruels arracherait des larmes.
V,1 1553 ZACHARIE Le roi de temps en temps la presse entre ses bras,
V,1 1554 ZACHARIE La flatte... Chères soeurs, suivez toutes mes pas ;
V,1 1555 ZACHARIE Et, s'il faut aujourd'hui que notre roi périsse,
V,1 1556 ZACHARIE Allons, qu'un même sort avec lui nous unisse.
V,1 1557 SALOMITH Quelle insolente main frappe à coups redoublés ?
V,1 1558 SALOMITH Qui fait courir ainsi ces lévites troublés ?
V,1 1559 SALOMITH Quelle précaution leur fait cacher leurs armes ?
V,1 1560 SALOMITH Le temple est-il forcé ?
V,1 1560 ZACHARIE Dissipez vos alarmes :
V,1 1561 ZACHARIE Dieu nous envoie Abner.
V,2 1561 JOAD En croirai-je mes yeux,
V,2 1562 JOAD Cher Abner ? Quel chemin a pu jusqu'en ces lieux
V,2 1563 JOAD Vous conduire au travers d'un camp qui nous assiège ?
V,2 1564 JOAD On disait que d'Achab la fille sacrilège
V,2 1565 JOAD Avait, pour assurer ses projets inhumains,
V,2 1566 JOAD Chargé d'indignes fers vos généreuses mains.
V,2 1567 ABNER Oui, seigneur, elle a craint mon zèle et mon courage ;
V,2 1568 ABNER Mais c'est le moindre prix que me gardait sa rage.
V,2 1569 ABNER Dans l'horreur d'un cachot, par son ordre enfermé,
V,2 1570 ABNER J'attendais que, le temple en cendre consumé,
V,2 1571 ABNER De tant de flots de sang non encore assouvie,
V,2 1572 ABNER Elle vînt m'affranchir d'une importune vie,
V,2 1573 ABNER Et retrancher des jours qu'aurait dû mille fois
V,2 1574 ABNER Terminer la douleur de survivre à mes rois.
V,2 1575 JOAD Par quel miracle a-t-on obtenu votre grâce ?
V,2 1576 ABNER Dieu dans ce coeur cruel sait seul ce qui se passe.
V,2 1577 ABNER Elle m'a fait venir, et, d'un air égaré :
V,2 1578 ABNER «Tu vois de mes soldats tout ce temple entouré,
V,2 1579 ABNER Dit-elle ; un fer vengeur va le réduire en cendre,
V,2 1580 ABNER Et ton Dieu contre moi ne le saurait défendre.
V,2 1581 ABNER Ses prêtres toutefois, mais il faut se hâter,
V,2 1582 ABNER A deux conditions peuvent se racheter :
V,2 1583 ABNER Qu'avec Eliacin on mette en ma puissance
V,2 1584 ABNER Un trésor dont je sais qu'ils ont la connaissance,
V,2 1585 ABNER Par votre roi David autrefois amassé,
V,2 1586 ABNER Sous le sceau du secret au grand prêtre laissé.
V,2 1587 ABNER Va, dis-leur qu'à ce prix je leurs permets de vivre.»
V,2 1588 JOAD Quel conseil, cher Abner, croyez-vous qu'on doit suivre ?
V,2 1589 ABNER Et tout l'or de David, s'il est vrai qu'en effet
V,2 1590 ABNER Vous gardiez de David quelque trésor secret,
V,2 1591 ABNER Et tout ce que des mains de cette reine avare
V,2 1592 ABNER Vous avez pu sauver et de riche et de rare,
V,2 1593 ABNER Donnez-le. Voulez-vous que d'impurs assassins
V,2 1594 ABNER Viennent briser l'autel, brûler les chérubins,
V,2 1595 ABNER Et, portant sur votre arche une main téméraire,
V,2 1596 ABNER De votre propre sang souiller le sanctuaire ?
V,2 1597 JOAD Mais siérait-il, Abner, à des coeurs généreux
V,2 1598 JOAD De livrer au supplice un enfant malheureux,
V,2 1599 JOAD Un enfant que Dieu même à ma garde confie,
V,2 1600 JOAD Et de nous racheter aux dépens de sa vie ?
V,2 1601 ABNER Hélas ! Dieu voit mon coeur. Plût à ce Dieu puissant
V,2 1602 ABNER Qu'Athalie oubliât un enfant innocent,
V,2 1603 ABNER Et que du sang d'Abner sa cruauté contente
V,2 1604 ABNER Crût calmer par ma mort le ciel qui la tourmente !
V,2 1605 ABNER Mais que peuvent pour lui vos inutiles soins ?
V,2 1606 ABNER Quand vous péririez tous, en périra-t-il moins ?
V,2 1607 ABNER Dieu vous ordonne-t-il de tenter l'impossible ?
V,2 1608 ABNER Pour obéir aux lois d'un tyran inflexible,
V,2 1609 ABNER Moïse par sa mère au Nil abandonné,
V,2 1610 ABNER Se vit, presque en naissant, à périr condamné ;
V,2 1611 ABNER Mais Dieu le conservant contre toute espérance,
V,2 1612 ABNER Fit par le tyran même élever son enfance.
V,2 1613 ABNER Qui sait ce qu'il réserve à votre Eliacin ;
V,2 1614 ABNER Et si, lui préparant un semblable destin,
V,2 1615 ABNER Il n'a point de pitié déjà rendu capable
V,2 1616 ABNER De nos malheureux rois l'homicide implacable ?
V,2 1617 ABNER Du moins, et Josabet comme moi l'a pu voir,
V,2 1618 ABNER Tantôt à son aspect je l'ai vu s'émouvoir ;
V,2 1619 ABNER J'ai vu de son courroux tomber la violence.
V,2 1620 ABNER Princesse, en ce péril vous gardez le silence ?
V,2 1621 ABNER Hé quoi ! pour un enfant qui vous est étranger
V,2 1622 ABNER Souffrez-vous que sans fruit Joad laisse égorger
V,2 1623 ABNER Vous, son fils, tout ce peuple, et que le feu dévore
V,2 1624 ABNER Le seul lieu sur la terre où Dieu veut qu'on l'adore ?
V,2 1625 ABNER Que feriez-vous de plus, si des rois vos aïeux
V,2 1626 ABNER Ce jeune enfant était un reste précieux ?
V,2 1627 JOSABET Pour le sang de ses rois vous voyez sa tendresse :
V,2 1628 JOSABET Que ne lui parlez-vous ?
V,2 1628 JOAD Il n'est pas temps, princesse.
V,2 1629 ABNER Le temps est cher, seigneur, plus que vous ne pensez.
V,2 1630 ABNER Tandis qu'à me répondre ici vous balancez,
V,2 1631 ABNER Mathan près d'Athalie, étincelant de rage,
V,2 1632 ABNER Demande le signal et presse le carnage.
V,2 1633 ABNER Faut-il que je me mette à vos sacrés genoux ?
V,2 1634 ABNER Au nom du lieu si saint qui n'est ouvert qu'à vous,
V,2 1635 ABNER Lieu terrible où de Dieu la majesté repose,
V,2 1636 ABNER Quelque dure que soit la loi qu'on vous impose,
V,2 1637 ABNER De ce coup imprévu songeons à nous parer.
V,2 1638 ABNER Donnez-moi seulement le temps de respirer.
V,2 1639 ABNER Demain, dès cette nuit, je prendrai des mesures
V,2 1640 ABNER Pour assurer le temple et venger ses injures.
V,2 1641 ABNER Mais je vois que mes pleurs et que mes vains discours
V,2 1642 ABNER Pour vous persuader sont un faible secours :
V,2 1643 ABNER Votre austère vertu n'en peut être frappée.
V,2 1644 ABNER Hé bien ! trouvez-moi donc quelque arme, quelque épée ;
V,2 1645 ABNER Et qu'aux portes du temple, où l'ennemi m'attend,
V,2 1646 ABNER Abner puisse du moins mourir en combattant.
V,2 1647 JOAD Je me rends. Vous m'ouvrez un avis que j'embrasse.
V,2 1648 JOAD De tant de maux, Abner, détournons la menace.
V,2 1649 JOAD Il est vrai, de David un trésor est resté ;
V,2 1650 JOAD La garde en fut commise à ma fidélité.
V,2 1651 JOAD C'était des tristes Juifs l'espérance dernière,
V,2 1652 JOAD Que mes soins vigilants cachaient à la lumière.
V,2 1653 JOAD Mais puisqu'à votre reine il faut le découvrir,
V,2 1654 JOAD Je vais la contenter, nos portes vont s'ouvrir.
V,2 1655 JOAD De ses plus braves chefs qu'elle entre accompagnée :
V,2 1656 JOAD Mais de nos saints autels qu'elle tienne éloignée
V,2 1657 JOAD D'un ramas d'étrangers l'indiscrète fureur :
V,2 1658 JOAD Du pillage du temple épargnez-moi l'horreur.
V,2 1659 JOAD Des prêtres, des enfants lui feraient-ils quelque ombre ?
V,2 1660 JOAD De sa suite avec vous qu'elle règle le nombre.
V,2 1661 JOAD Et quant à cet enfant si craint, si redouté,
V,2 1662 JOAD De votre coeur, Abner, je connais l'équité ;
V,2 1663 JOAD Je vous veux devant elle expliquer sa naissance :
V,2 1664 JOAD Vous verrez s'il le faut remettre en sa puissance,
V,2 1665 JOAD Et je vous ferai juge entre Athalie et lui.
V,2 1666 ABNER Ah ! je le prends déjà sous mon appui.
V,2 1667 ABNER Ne craignez rien. Je cours vers celle qui m'envoie.
V,3 1668 JOAD Grand Dieu, voici ton heure, on t'amène ta proie.
V,3 1669 JOAD Ismaël, écoutez.
V,3 1669 JOSABET Puissant maître de cieux,
V,3 1670 JOSABET Remets-lui le bandeau dont tu couvris ses yeux,
V,3 1671 JOSABET Lorsque, lui dérobant tout le fruit de son crime,
V,3 1672 JOSABET Tu cachas dans mon sein cette tendre victime !
V,3 1673 JOAD Allez, sage Ismaël, ne perdez point de temps ;
V,3 1674 JOAD Suivez de point en point ces ordres importants ;
V,3 1675 JOAD Surtout qu'à son entrée, et que sur son passage
V,3 1676 JOAD Tout d'un calme profond lui présente l'image.
V,3 1677 JOAD Vous, enfants, préparez un trône pour Joas ;
V,3 1678 JOAD Qu'il s'avance suivi de nos sacrés soldats.
V,3 1679 JOAD Faites venir aussi sa fidèle nourrice,
V,3 1680 JOAD Princesse, et de vos pleurs que la source tarisse.
V,3 1681 JOAD Vous, dès que cette reine, ivre d'un fol orgueil,
V,3 1682 JOAD De la porte du temple aura passé le seuil,
V,3 1683 JOAD Qu'elle ne pourra plus retourner en arrière,
V,3 1684 JOAD Prenez soin qu'à l'instant la trompette guerrière
V,3 1685 JOAD Dans le camp ennemi jette un subit effroi.
V,3 1686 JOAD Appelez tout le peuple au secours de son roi :
V,3 1687 JOAD Et faites retentir jusques à son oreille
V,3 1688 JOAD De Joas conservé l'étonnante merveille.
V,3 1689 JOAD Il vient.
V,4 1689 JOAD Lévites saints, prêtres de notre Dieu,
V,4 1690 JOAD Partout sans vous montrer environnez ce lieu ;
V,4 1691 JOAD Et, laissant à mes soins gouverner votre zèle,
V,4 1692 JOAD Pour paraître attendez que ma voix vous appelle.
V,4 1693 JOAD Roi, je crois qu'à vos voeux cet espoir est permis,
V,4 1694 JOAD Venez voir à vos pieds tomber vos ennemis.
V,4 1695 JOAD Celle dont la fureur poursuivit votre enfance
V,4 1696 JOAD Ver ces lieux à grands pas pour vous perdre d'avance.
V,4 1697 JOAD Mais ne la craignez point. Songez qu'autour de vous
V,4 1698 JOAD L'ange exterminateur est debout avec nous.
V,4 1699 JOAD Montez sur votre trône, et... Mais la porte s'ouvre :
V,4 1700 JOAD Permettez un moment que ce voile vous couvre.
V,4 1701 JOAD Vous changez de couleur, princesse ?
V,4 1701 JOSABET Ah ! sans pâlir,
V,4 1702 JOSABET Puis-je voir d'assassins le temple se remplir ?
V,4 1703 JOSABET Quoi ! ne voyez-vous pas quelle nombreuse escorte...
V,4 1704 JOAD Je vois que du saint temple on referme la porte.
V,4 1705 JOAD Tout est en sûreté.
V,5 1705 ATHALIE Te voilà, séducteur,
V,5 1706 ATHALIE De ligues, de complots, pernicieux auteur,
V,5 1707 ATHALIE Qui dans le trouble seul as mis tes espérances,
V,5 1708 ATHALIE Eternel ennemi des suprêmes puissances !
V,5 1709 ATHALIE En l'appui de ton Dieu tu t'étais reposé :
V,5 1710 ATHALIE De ton espoir frivole es-tu désabusé ?
V,5 1711 ATHALIE Il laisse en mon pouvoir et son temple et ta vie.
V,5 1712 ATHALIE Je devrais sur l'autel où ta main sacrifie
V,5 1713 ATHALIE Te... Mais du prix qu'on m'offre il faut me contenter.
V,5 1714 ATHALIE Ce que tu m'as promis, songe à l'exécuter.
V,5 1715 ATHALIE Cet enfant, ce trésor qu'il faut qu'on me remette,
V,5 1716 ATHALIE Où sont-ils ?
V,5 1716 JOAD Sur le champ tu seras satisfaite :
V,5 1717 JOAD Je te les vais montrer l'un et l'autre à la fois.
V,5 1718 JOAD Paraissez, cher enfant, digne sang de nos rois.
V,5 1719 JOAD Connais-tu l'héritier du plus saint des monarques,
V,5 1720 JOAD Reine ? De ton poignard connais du moins ces marques.
V,5 1721 JOAD Voilà ton roi, ton fils, le fils d'Okosias.
V,5 1722 JOAD Peuples, et vous, Abner, reconnaissez Joas.
V,5 1723 ABNER Ciel !
V,5 1723 ATHALIE Perfide !
V,5 1723 JOAD Vois-tu cette Juive fidèle,
V,5 1724 JOAD Dont tu sais bien qu'alors il suçait la mamelle ?
V,5 1725 JOAD Il fut par Josabet à ta rage enlevé.
V,5 1726 JOAD Ce temple le reçut, et Dieu l'a conservé.
V,5 1727 JOAD Des trésors de David voilà ce qui me reste.
V,5 1728 ATHALIE Ta fourbe à cet enfant, traître, sera funeste.
V,5 1729 ATHALIE D'un fantôme odieux, soldats, délivrez-moi.
V,5 1730 JOAD Soldats du Dieu vivant, défendez votre roi.
V,5 1731 ATHALIE Où suis-je ? O trahison, ô reine infortunée !
V,5 1732 ATHALIE D'armes et d'ennemis je suis environnée.
V,5 1733 JOAD Tes yeux cherchent en vain, tu ne peux échapper,
V,5 1734 JOAD Et Dieu de toutes parts a su t'envelopper.
V,5 1735 JOAD Ce Dieu que tu bravais en nos mains t'a livrée :
V,5 1736 JOAD Rends-lui compte du sang dont tu t'es enivrée.
V,5 1737 ATHALIE Quoi ! la peur a glacé mes indignes soldats ?
V,5 1738 ATHALIE Lâche Abner, dans quel piège as-tu conduit mes pas ?
V,5 1739 ABNER Reine, Dieu m'est témoin...
V,5 1739 ATHALIE Laisse là ton Dieu, traître,
V,5 1740 ATHALIE Et venge-moi.
V,5 1740 ABNER Sur qui ? Sur Joas ! sur mon maître !
V,5 1741 ATHALIE Lui, Joas ? lui, ton roi ? Songez, méchants, songez
V,5 1742 ATHALIE Que mes armes encor vous tiennent assiégés.
V,5 1743 ATHALIE J'entends à haute voix tout mon camp qui m'appelle.
V,5 1744 ATHALIE On vient à mon secours. Tremblez troupe rebelle.
V,6 1745 ISMAEL Seigneur, le temple est libre et n'a plus d'ennemis.
V,6 1746 ISMAEL L'étranger est en fuite, et le Juif est soumis.
V,6 1747 ISMAEL Comme le vent dans l'air dissipe la fumée,
V,6 1748 ISMAEL La voix du Tout-Puissant a chassé cette armée.
V,6 1749 ISMAEL Nos lévites, du haut de nos sacrés parvis,
V,6 1750 ISMAEL D'Okosias au peuple ont annoncé le fils,
V,6 1751 ISMAEL Ont conté son enfance au glaive dérobée,
V,6 1752 ISMAEL Et la fille d'Achab dans le piège tombée.
V,6 1753 ISMAEL Partout en même temps la trompette a sonné :
V,6 1754 ISMAEL Et ses sons et leurs cris dans son camp étonné
V,6 1755 ISMAEL Ont répandu le trouble et la terreur subite
V,6 1756 ISMAEL Dont Gédéon frappa le fier Madianite.
V,6 1757 ISMAEL Les Tyriens, jetant armes et boucliers,
V,6 1758 ISMAEL Ont, par divers chemins, disparu les premiers ;
V,6 1759 ISMAEL Quelques Juifs éperdus ont aussi pris la fuite ;
V,6 1760 ISMAEL Mais, de Dieu sur Joas admirant la conduite,
V,6 1761 ISMAEL Le reste à haute voix s'est pour lui déclaré.
V,6 1762 ISMAEL Enfin, d'un même esprit tout le peuple inspiré,
V,6 1763 ISMAEL Femmes, viellards, enfants, s'embrassant avec joie,
V,6 1764 ISMAEL Bénissent le Seigneur et celui qu'il envoie.
V,6 1765 ISMAEL Tous chantent de David le fils ressuscité.
V,6 1766 ISMAEL Baal est en horreur dans la sainte cité ;
V,6 1767 ISMAEL De son temple profane on a brisé les portes ;
V,6 1768 ISMAEL Mathan est égorgé.
V,6 1768 ATHALIE Dieu des Juifs, tu l'emportes !
V,6 1769 ATHALIE Oui, c'est Joas ; je cherche en vain à me tromper.
V,6 1770 ATHALIE Je reconnais l'endroit où je le fis frapper ;
V,6 1771 ATHALIE Je vois d'Okosias et le port et le geste.
V,6 1772 ATHALIE Tout me retrace enfin un sang que je déteste.
V,6 1773 ATHALIE David, David triomphe : Achab seul est détruit.
V,6 1774 ATHALIE Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit.
V,6 1775 ATHALIE C'est toi qui, me flattant d'une vengeance aisée,
V,6 1776 ATHALIE M'a vingt fois en un jour à moi-même opposée,
V,6 1777 ATHALIE Tantôt pour un enfant excitant mes remords,
V,6 1778 ATHALIE Tantôt m'éblouissant de tes riches trésors
V,6 1779 ATHALIE Que j'ai craint de livrer aux flammes, au pillage.
V,6 1780 ATHALIE Qu'il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage ;
V,6 1781 ATHALIE Et que, pour signaler son empire nouveau,
V,6 1782 ATHALIE On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau !
V,6 1783 ATHALIE Voici ce qu'en mourant lui souhaite sa mère :
V,6 1784 ATHALIE Que dis-je, souhaiter ! Je me flatte, j'espère
V,6 1785 ATHALIE Qu'indocile à ton joug, fatigué de ta loi,
V,6 1786 ATHALIE Fidèle au sang d'Achab qu'il a reçu de moi,
V,6 1787 ATHALIE Conforme à son aïeul, à son père semblable,
V,6 1788 ATHALIE On verra de David l'héritier détestable
V,6 1789 ATHALIE Abolir tes honneurs, profaner ton autel,
V,6 1790 ATHALIE Et venger Athalie, Achab et Jézabel.
V,6 1791 JOAD Qu'à l'instant hors du temple elle soit emmenée,
V,6 1792 JOAD Et que la sainteté n'en soit pas profanée.
V,6 1793 JOAD Allez, sacrés vengeurs de vos princes meurtris,
V,6 1794 JOAD De leur sang par sa mort faire cesse les cris.
V,6 1795 JOAD Si quelque audacieux embrasse sa querelle,
V,6 1796 JOAD Qu'à la fureur du glaive on le livre avec elle.
V,7 1797 JOAS Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction,
V,7 1798 JOAS Détournez loin de moi sa malédiction,
V,7 1799 JOAS Et ne souffrez jamais qu'elle soit accomplie.
V,7 1800 JOAS Faites que Joas meure avant qu'il vous oublie.
V,7 1801 JOAD Appelez tout le peuple, et montrons-lui son roi ;
V,7 1802 JOAD Qu'il lui vienne en ses mains renouveler sa foi.
V,7 1803 JOAD Roi, prêtres, peuple, allons, pleins de reconnaissance,
V,7 1804 JOAD De Jacob avec Dieu confirmer l'alliance,
V,7 1805 JOAD Et, saintement confus de nos égarements,
V,7 1806 JOAD Nous rengager à lui par de nouveaux serments.
V,7 1807 JOAD Abner, auprès du roi reprenez votre place.
V,8 1808 JOAD Hé bien ! de cette impie a-t-on puni l'audace ?
V,8 1809 LEVITE Le fer a de sa vie expié les horreurs.
V,8 1810 LEVITE Jérusalem, longtemps en proie à ses fureurs,
V,8 1811 LEVITE De son joug odieux à la fin soulagée,
V,8 1812 LEVITE Avec joie en son sang la regarde plongée.
V,8 1813 JOAD Par cette fin terrible, et due à ses forfaits,
V,8 1814 JOAD Apprenez, roi des Juifs, et n'oubliez jamais
V,8 1815 JOAD Que les rois dans le ciel ont un juge sévère,
V,8 1816 JOAD L'innocence un vengeur, et l'orphelin un père.