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Text File  |  1996-08-11  |  26KB  |  59 lines

  1. LA SOCI├ëT├ë EN NOUVELLE-FRANCE 
  2.  
  3. W.J. Eccles 
  4.  
  5.      Trois facteurs ont influ├⌐ sur la soci├⌐t├⌐ de la Nouvelle-France: le milieu colonial, les institutions et la culture sp├⌐cifiquement fran├ºaises des colonisateurs et le fait que certaines autres institutions de la m├¿re patrie brillaient par leur absence. Au d├⌐but des ann├⌐es 1700, ├á l'issue d'un si├¿cle de guerre et de lutte acharn├⌐e contre un milieu hostile, une soci├⌐t├⌐ ├á la fois originale et marqu├⌐e par la tradition fran├ºaise a fini par ├⌐merger.
  6.  
  7. Une soci├⌐t├⌐ hi├⌐rarchis├⌐e 
  8.  
  9.      La soci├⌐t├⌐ de l'├⌐poque reposait sur la hi├⌐rarchie et la structure sociale, le statut le plus ├⌐lev├⌐ ├⌐tant attribu├⌐ aux hauts magistrats et aux officiers des troupes coloniales. Bon nombre de ceux-ci appartenaient ├á la noblesse ou aspiraient ├á y parvenir, et tous acceptaient les valeurs sociales de l'aristocratie en s'effor├ºant de s'y conformer. La richesse ├⌐tait consid├⌐r├⌐e comme un moyen de parvenir ├á cette fin, mais non comme un but en soi, la prodigalit├⌐ importait plus que la r├⌐alisation m├¬me de la fortune. Cette attitude s'est ├⌐tendue aux classes inf├⌐rieures de la soci├⌐t├⌐, et le peuple canadien ├⌐tait r├⌐put├⌐ pour son gaspillage, car les gens se h├ótaient de croquer tout leur argent en v├¬tements, en meubles co├╗teux et en distractions extravagantes d├¿s qu'ils en avaient les moyens ou m├¬me plus vite encore.
  10.  
  11.      L'Arm├⌐e a beaucoup contribu├⌐ ├á enraciner ce comportement aristocratique dans la colonie. L'administration ├⌐tait structur├⌐e sur le mod├¿le militaire; ainsi, le gouverneur g├⌐n├⌐ral et les gouverneurs r├⌐gionaux ├⌐taient des officiers, notamment des officiers de marine. Les familles dominantes d├⌐ployaient tous les efforts pour que leurs fils obtiennent des postes de commande au sein des troupes coloniales, et tous les hommes ├óg├⌐s de 16 ├á 60 ans devaient servir dans la milice. La consid├⌐ration accord├⌐e ├á un homme provenait davantage de sa valeur militaire que de sa richesse mat├⌐rielle.
  12.  
  13. Un peuple riche et ind├⌐pendant
  14.  
  15.      Les Canadiens de l'├⌐poque se caract├⌐risaient aussi par leur esprit tenace d'ind├⌐pendance, surtout ceux qui ├⌐taient issus des classes inf├⌐rieures. Cela s'explique par plusieurs facteurs. Les habitants du Canada ├⌐taient relativement plus riches que ceux de la France, o├╣, au XVIIIe si├¿cle, les paysans avaient tout juste de quoi survivre et m├¬me parfois pas assez. En raison des famines fr├⌐quentes, le taux de mortalit├⌐ ├⌐galait celui de la natalit├⌐, ce qui emp├¬chait la population d'augmenter. Le syst├¿me foncier seigneurial en vigueur au Canada, qui avait ├⌐t├⌐ con├ºu pour que le plus grand nombre de terres soient cultiv├⌐es aussi rapidement que possible -- ce ├á quoi veillaient ├⌐troitement les autorit├⌐s -- garantissait jusqu'├á 200 acres de terrain ├á toute famille dispos├⌐e ├á travailler contre le paiement d'une redevance minime au seigneur: celle-ci ne s'├⌐levait qu'├á 10 ou 15% du produit de la ferme. De plus, la d├«me ├á payer ├á l'├⌐glise ne correspondait qu'au vingt-sixi├¿me de la production de bl├⌐, soit la moiti├⌐ du taux en cours dans le nord de la France. Les habitants avaient la permission de chasser et de p├¬cher sur leur terre, disposaient d'amples provisions de bois de chauffage et, en acquittant un droit minime, pouvaient faire pa├«tre leur b├⌐tail sur le pr├⌐ communal de la seigneurie. Certains seigneurs ne se pr├⌐occupaient gu├¿re de pr├⌐lever ces droits, jugeant que cela n'en valait pas la peine. Un autre facteur a favoris├⌐ l'ind├⌐pendance financi├¿re et l'aisance relative des Canadiens: l'absence de taxes dans la colonie. Tandis qu'en France imp├┤ts et redevances de toutes sortes privaient le paysan de 10 ├á 50% de son revenu, les seules taxes per├ºues au Canada ├⌐taient les droits d'importation sur le vin, les spiritueux et le tabac ainsi que les droits d'importation sur les peaux de castor et d'orignal; ces derniers ont d'ailleurs ├⌐t├⌐ abolis en 1717. Les autorit├⌐s estimaient qu'il ├⌐tait hors de question d'exiger des Canadiens le paiement d'imp├┤ts directs puisqu'ils devaient d├⌐j├á accomplir leur service militaire et s'exposer ├á de graves p├⌐rils dans les guerres coloniales.
  16.  
  17.      La situation g├⌐ographique favorisait, elle aussi, cet esprit d'ind├⌐pendance. Depuis l'octroi des premi├¿res seigneuries au d├⌐but du XVIIe si├¿cle, les terrains ont toujours ├⌐t├⌐ divis├⌐s en longues bandes ├⌐troites perpendiculaires au Saint-Laurent, qui ├⌐tait la principale voie de communication tant entre les diff├⌐rentes r├⌐gions de la colonie qu'avec le reste du monde connu. Tous les gens d├⌐siraient donc avoir une terre donnant sur le fleuve, et les maisons de ferme ├⌐taient construites le long des rives. D├¿s le XVIIIe si├¿cle, toutes les terres comprises entre Qu├⌐bec et la pointe ouest de l'├«le de Montr├⌐al ├⌐taient habit├⌐es. Quelques centaines de verges s├⌐paraient les maisons, et on trouvait une ├⌐glise, un manoir seigneurial et un moulin tous les quatre ou cinq milles. Vers la fin du XVIIe si├¿cle, la Couronne a tent├⌐ d'implanter de nouveaux villages afin de mieux surveiller les habitants et les mettre ├á l'abri des attaques iroquoises, mais les colons ne voulurent rien savoir. Ils insist├¿rent pour conserver leurs bandes de terrain altern├⌐es et garder suffisamment d'espace pour avoir les coud├⌐es franches. L'ind├⌐pendance et la libert├⌐ ├⌐taient donc plus importantes ├á leurs yeux que la s├⌐curit├⌐, et bon nombre d'entre eux en pay├¿rent le prix de leur vie.
  18.  
  19.      La vie ├⌐tait rude pendant les premi├¿res ann├⌐es de la colonisation mais d├¿s le XVIIIe si├¿cle, lorsque les terres furent d├⌐frich├⌐es et cultiv├⌐es, le sort des habitants commen├ºa ├á s'am├⌐liorer. Les premi├¿res habitations en rondins c├⌐d├¿rent la place aux maisons en pierres blanchies ├á la chaux avec un toit inclin├⌐ et des murs qui mesuraient souvent deux pieds d'├⌐paisseur. Le style architectural rappelait celui du nord de la France; le toit inclin├⌐, quoique recouvert de planches ou de bardeaux, reprenait l'inclinaison n├⌐cessaire aux premiers toits de chaume pour que l'eau puisse s'├⌐couler. Au cours du XVIIIe si├¿cle, un trait proprement canadien est apparu. En effet, la ligne du toit s'est prolong├⌐e jusqu'├á trois pieds au-del├á des murs, ce qui donnait de l'ombre pendant la canicule estivale tout en permettant ├á la faible lumi├¿re du soleil d'hiver d'atteindre les fen├¬tres. Jusqu'au d├⌐but du XVIIIe si├¿cle les ┬½habitants┬╗ et les artisans des villes durent se contenter de maisons de deux pi├¿ces avec un foyer ouvert au centre. L'une des pi├¿ces servait ├á la fois de cuisine, de salle ├á manger et de salle de s├⌐jour, tandis que l'autre tenait lieu de chambre ├á coucher. On a pu chauffer davantage de pi├¿ces pendant l'hiver, et convertir en chambres les greniers qui servaient d'espace de rangement, lorsque se r├⌐pandirent les po├¬les carr├⌐s en fer fabriqu├⌐s aux Forges de Saint-Maurice, pr├¿s de Trois-Rivi├¿res. Les familles les plus riches faisaient venir de Hollande des po├¬les de fa├»ence qui servaient d'ornement dans les salons somptueux.
  20.  
  21.      La ferme de l'┬½habitant┬╗ constituait presque une entit├⌐ ├⌐conomique ind├⌐pendante et autarcique. Les familles y trouvaient toute leur nourriture, tissaient des v├¬tements frustes et durables avec la laine de leurs moutons, faisaient appr├¬ter leurs propres peaux par le tanneur du village et confectionnaient elles-m├¬mes leurs souliers et mocassins. De plus, elles fabriquaient elles-m├¬mes, presque tous leurs instruments aratoires, et le bois de pin blanc facile ├á travailler qu'elles trouvaient ├á proximit├⌐ de leurs terres permettait aussi la fabrication de leurs meubles. Ces hommes ┬½├á tout faire┬╗ n'avaient rien ├á acheter de plus que de la vitre pour leurs fen├¬tres, du m├⌐tal pour leurs travaux de forge, des objets en m├⌐tal, tels que des ustensiles de cuisine, des outils, des armes ├á feu, des verreries, de la poterie, des couverts et des articles de luxe comme de la lingerie fine pour les femmes, du vin, de l'eau-de-vie, du caf├⌐, du chocolat, des cartes ├á jouer, sans oublier les pipes en argile ├á la grosse. En vendant l'exc├⌐dent de leurs r├⌐coltes dans les trois centres urbains de Qu├⌐bec, de Montr├⌐al et de Trois-Rivi├¿res, ils disposaient d'assez d'argent pour se procurer tous ces biens. Ainsi, vingt ├á trente bateaux suffisaient chaque ann├⌐e ├á approvisionner la colonie, et la majeure partie de la cargaison ├⌐tait consacr├⌐e au commerce de la fourrure, notamment tissus, vins et spiritueux, verre et porcelaine. Lorsque la possibilit├⌐ de disposer de d├⌐bouch├⌐s ext├⌐rieurs apparut pour les produits agricoles (Louisbourg ├⌐tant le seul march├⌐ disponible au cours des ann├⌐es 1720), les habitants r├⌐agirent rapidement et la production de bl├⌐ se mit ├á augmenter. Malheureusement, les r├⌐coltes ├⌐taient souvent fort maigres, ce qui obligea les autorit├⌐s coloniales ├á importer des c├⌐r├⌐ales. Les autorit├⌐s jugeaient cependant que le nombre de chevaux ├⌐tait excessif: en effet, tous les hommes et les jeunes gar├ºons poss├⌐daient leur propre monture, non pour travailler la terre mais pour leur bon plaisir.Le gouverneur et l'intendant se plaignaient que ces chevaux mangeaient le fourrage qui aurait pu permettre d'├⌐lever davantage de bestiaux. Un telle chose ne se serait jamais vue en Europe, o├╣ les paysans les plus riches ne poss├⌐daient m├¬me pas un cheval de somme. C'├⌐tait l├á un autre signe de la richesse canadienne.
  22.  
  23.      ├Ç tout bien consid├⌐rer, l'┬½habitant┬╗ canadien jouissait d'un niveau de vie plus ├⌐lev├⌐ que la grande majorit├⌐ des Europ├⌐ens. Il ├⌐tait mieux log├⌐, mieux v├¬tu et mieux nourri. Tandis que la plupart des Europ├⌐ens se couchaient l'hiver, en grelottant et le ventre vide car ils ne se nourrissaient que de gros pain et de soupe de l├⌐gumes, les Canadiens disposaient, quant ├á eux, d'amples provisions de viande, de poisson, de lait, de beurre, de fruits et de l├⌐gumes frais en saison, et chacun consommait tous les jours une livre et demie de pain nourrissant fait au bl├⌐. Ils s'alimentaient probablement mieux que la plupart des Nord-Am├⌐ricains d'aujourd'hui, qui se contentent d'aliments empaquet├⌐s et sans valeur nutritive. Il a donc suffi de quelques g├⌐n├⌐rations pour que les Canadiens soient en meilleure condition physique que les Europ├⌐ens; un plus grand nombre d'enfants survivaient jusqu'├á l'├óge traditionnel du mariage et la population doublait ├á chaque g├⌐n├⌐ration.
  24.  
  25. Vie sociale 
  26.  
  27.      ├Ç la campagne, la vie sociale se d├⌐roulait autour de l'├⌐glise paroissiale. C'├⌐tait ├á la messe du dimanche que les femmes exhibaient leurs v├¬tements de luxe et les hommes, leurs chevaux, bien que les autorit├⌐s aient cherch├⌐ ├á interdire la mauvaise habitude qu'avaient les hommes de se rendre ├á la taverne locale d├¿s que le cur├⌐ commen├ºait son sermon. Les annonces publiques ├⌐taient faites de la chaire ou sur le parvis de l'├⌐glise, apr├¿s la messe. C'├⌐tait aussi dans les processions religieuses que se manifestaient les diff├⌐rences entre les classes sociales. Le seigneur et sa famille occupaient le premier banc, recevaient la communion avant les autres, et il arrivait que le seigneur soit enterr├⌐ sous le plancher de l'├⌐glise. Apr├¿s lui venaient les notables moins importants de l'endroit: le capitaine de milice, les magistrats du palais de justice local et les marguilliers. Les questions de pr├⌐s├⌐ance engendr├¿rent de si violents conflits au cours des premi├¿res ann├⌐es que le Roi dut finalement intervenir. Les bancs d'├⌐glise, lou├⌐s ├á l'ann├⌐e, ├⌐taient occup├⌐s par les m├¬mes familles pendant des g├⌐n├⌐rations. Lorsqu'un banc devenait vacant, on l'offrait aux ench├¿res, et les ambitieux pouvaient alors rehausser leur prestige en payant un prix exorbitant.
  28.  
  29.      Tout en assurant les services religieux prescrits, l'├⌐glise paroissiale comblait le go├╗t du peuple pour l'art. Contrairement aux chapelles d├⌐nud├⌐es des colonies anglaises puritaines, les ├⌐glises de la Nouvelle-France ├⌐taient somptueusement d├⌐cor├⌐es. L'int├⌐rieur des murs de pierre ├⌐tait rev├¬tu de bois couleur cr├¿me et embelli de sculptures aux motifs recherch├⌐s. Les autels et les chaires de style baroque, regorgeaient d'ornements. Toutes ces d├⌐corations, ajout├⌐es aux v├¬tements sacerdotaux du pr├¬tre, aux vases sacr├⌐s en argent v├⌐ritable, au parfum de l'encens, aux chants interpr├⌐t├⌐s par le choeur ├⌐taient une d├⌐lectation pour les sens. La riche tradition visuelle et spirituelle de la civilisation europ├⌐enne y ├⌐tait manifeste et rappelait aux colonisateurs leurs attaches culturelles.
  30.  
  31.      La structure sociale ├⌐tait ├⌐videmment beaucoup plus complexe dans les trois villes que dans les r├⌐gions rurales. Du point de vue ├⌐conomique, ces villes constituaient de petites m├⌐tropoles au service de l'arri├¿re-pays tout en survivant gr├óce ├á lui. Elles ├⌐taient le si├¿ge de l'administration civile, militaire, judiciaire et religieuse, et le lieu de r├⌐sidence des dignitaires de ces institutions. Y habitaient ├⌐galement les marchands de la colonie et bon nombre de seigneurs. Les artisans, qui devaient leur fournir les biens et services n├⌐cessaires, devinrent vite prosp├¿res. On y trouvait en outre des ma├ºons, des charpentiers, des menuisiers et des vitriers. Les tailleurs servaient les villageois et fournissaient de plus aux Indiens les v├¬tements de style europ├⌐en qu'ils affectionnaient; ces v├¬tements devinrent par cons├⌐quent indispensables au commerce de la fourrure. Ce fut aussi le cas des petits ornements en argent, dont la fabrication permit aux orf├¿vres de Montr├⌐al de gagner leur vie. Les couturiers et les perruquiers s'empressaient de copier les derniers styles de la mode parisienne. Armuriers et serruriers, forgerons et tanneurs, ├⌐b├⌐nistes et cordonniers, chaudronniers et ramoneurs avaient ├⌐galement leur place dans la cit├⌐, qui avait par ailleurs recours aux services des bouchers, des boulangers, des chaudronniers, des poissonniers et des marchands de d├⌐tail; ces derniers devaient avoir en stock toutes sortes de produits, certains import├⌐s mais la plupart ├⌐taient fabriqu├⌐s localement. ├Ç Trois-Rivi├¿res, les Forges de Saint-Maurice produisaient du fer pour les forgerons et mar├⌐chaux-ferrants, ainsi que des po├¬les, des casseroles, des socs de charrue et des boulets de canon. C'├⌐tait ├⌐galement ├á Trois-Rivi├¿res qu'on trouvait la manufacture de canots en ├⌐corce de bouleau qui servaient au commerce de la fourrure dans l'Ouest. Les rives du fleuve ├⌐taient parsem├⌐es de petits chantiers navals o├╣ l'on construisait les go├⌐lettes robustes qui transportaient les produits fran├ºais et antillais de Qu├⌐bec ├á Montr├⌐al, le bl├⌐ de Montr├⌐al ├á Qu├⌐bec, le bl├⌐, la farine et le bois d'oeuvre jusqu'├á Louisbourg, o├╣ on les transbordait pour les acheminer vers les Antilles. La population urbaine constituait un march├⌐ pour les surplus agricoles des ┬½habitants┬╗ de la r├⌐gion. Chaque ville avait son march├⌐ ├á ciel ouvert o├╣ les cultivateurs s'installaient pour vendre leurs produits, et un r├¿glement interdisait formellement aux aubergistes d'acheter les plus belles denr├⌐es avant que le reste de la population n'ait eu la possibilit├⌐ de s'approvisionner.
  32.  
  33. ├ëducation 
  34.  
  35.      Non seulement l'├ëglise avait un r├┤le religieux, mais encore elle ├⌐tait responsable de l'├⌐ducation des colons. Les religieuses s'occupaient des h├┤pitaux et des asiles d'orphelins, de vieillards indigents, de malades incurables et de jeunes filles aux moeurs l├⌐g├¿res que les autorit├⌐s condamnaient ├á la r├⌐clusion. Les d├⌐linquants m├óles, eux, subissaient un ch├ótiment plus s├⌐v├¿re. Bien des familles avaient des contrats priv├⌐s avec des m├⌐decins, tandis que les pauvres recevaient des soins gratuits dans les h├┤pitaux. La pauvret├⌐ n'├⌐tait qu'un probl├¿me occasionnel puisque chaque famille ├⌐tait oblig├⌐e de par la loi d'assurer sa subsistance, mais les soci├⌐t├⌐s de la Couronne intervenaient lorsqu'une crise ├⌐conomique ├⌐clatait. En r├⌐sum├⌐, la colonie ├⌐tait au bord de l'indigence.
  36.  
  37.      Au XVIIIe si├¿cle, l'Europe et ses diverses colonies ne comptaient gu├¿re de gens instruits. La majorit├⌐ de la population n'avait ni le go├╗t ni les moyens d'acc├⌐der ├á l'instruction. Les enfants de moins de 10 ou 12 ans avaient du mal ├á manier la plume d'oie, car il fallait une grande dext├⌐rit├⌐ manuelle tant pour la tailler et la fendre que pour ├⌐crire. En outre, l'instruction a d'abord ├⌐t├⌐ dispens├⌐e en latin; ce n'est que plus tard que les cours furent donn├⌐s en fran├ºais. Les enfants d'├óge scolaire devaient rester ├á la ferme pour accomplir les besognes essentielles. Les familles qui le d├⌐siraient avaient cependant la possibilit├⌐ d'envoyer leurs enfants ├á l'├⌐cole. ├Ç Qu├⌐bec, les jeunes gar├ºons pouvaient faire leurs ├⌐tudes ├⌐l├⌐mentaires au Petit S├⌐minaire, tandis qu'├á Montr├⌐al, les Sulpiciens administraient une ├⌐cole semblable. On esp├⌐rait les voir se diriger vers le sacerdoce, mais peu d'entre eux prenaient cette voie. Au Coll├¿ge de Qu├⌐bec, les J├⌐suites donnaient un cours plus avanc├⌐; ils avaient ├⌐galement mis sur pied une ├⌐cole d'hydrographie pour former les pilotes et les navigateurs. Une ├⌐cole de droit fut, par la suite, cr├⌐├⌐e afin de former d'├⌐ventuels juges; mais, lorsqu'il s'agissait de recevoir une formation plus pouss├⌐e, les candidats devaient suivre les cours de la Sorbonne, puis se faire admettre au barreau de Paris. Les jeunes filles faisaient leurs ├⌐tudes chez les Ursulines, qui s'appliquaient ├á leur enseigner les bonnes mani├¿res et le bon maintien en soci├⌐t├⌐. Il arrivait souvent que la femme soit la seule personne instruite de la famille. Dans les r├⌐gions rurales, les soeurs de la Congr├⌐gation de Notre-Dame tenaient des ├⌐coles de filles tandis que les pr├¬tres de paroisse dispensaient un enseignement rudimentaire aux fils d'habitants.
  38.  
  39.      Le r├⌐gime s├⌐v├¿re des ├⌐coles rebutait bien des gens. Au Petit S├⌐minaire, qui accueillait les enfants ├á partir de douze ans, les ├⌐l├¿ves devaient se lever ├á 4 heures du matin l'├⌐t├⌐ et ├á 4 heures 30 l'hiver. L'asc├⌐tisme le plus rigoureux ├⌐tait de r├¿gle. Les ├⌐l├¿ves portaient un uniforme, coupaient leurs cheveux court et se contentaient de repas frugaux, ├á peine nutritifs. Les bains ├⌐tant suspects, on ne les autorisait qu'une fois toutes les deux semaines, ├á moins de permission sp├⌐ciale. Les premi├¿res ann├⌐es, peu d'enfants persistaient: 135 des 200 premiers ├⌐l├¿ves abandonn├¿rent leurs ├⌐tudes apr├¿s un ou deux ans. Les gar├ºons qui pers├⌐v├⌐raient et qui ├⌐taient suffisamment dou├⌐s suivaient chez les J├⌐suites le m├¬me cours que s'ils avaient ├⌐tudi├⌐ en Europe. Le nombre d'├⌐coles ├⌐tant limit├⌐, il fallait maintenir des normes ├⌐lev├⌐es.
  40.  
  41.      Le syst├¿me d'apprentissage constituait une autre forme d'enseignement. En Europe, les ma├«tres artisans formaient des apprentis contre r├⌐mun├⌐ration, et le r├¿glement de la corporation faisait en sorte que peu d'entre eux acc├⌐daient ├á la ma├«trise, de sorte que la plupart restaient compagnons leur vie durant et recevaient un salaire. Au Canada, toutefois, la main-d'oeuvre ├⌐tait toujours limit├⌐e. Le ma├«tre artisan qui d├⌐sirait se faire assister dans son travail devait former des apprentis ├á ses frais, les loger, les nourrir et les v├¬tir. Une fois form├⌐, l'apprenti empruntait l'argent dont il avait besoin pour fonder son propre atelier, mais il devait d'abord obtenir la permission des autorit├⌐s qui veillaient ├á ce que, dans chaque m├⌐tier, les artisans ne soient pas trop nombreux pour la demande. Ils mettaient parfois des ann├⌐es ├á rembourser la dette contract├⌐e pour ouvrir leur atelier, mais les Canadiens pr├⌐f├⌐raient cette situation ├á celle de subalterne. Ils tenaient ├á ├¬tre leurs propres ma├«tres.
  42.  
  43.      Le travail des artisans ├⌐tait souvent de tr├¿s haute qualit├⌐; c'├⌐tait particuli├¿rement le cas des orf├¿vres et des sculpteurs sur bois. Les pi├¿ces de monnaie introduites dans la colonie pour payer les militaires disparurent rapidement de la circulation. En effet, les habitants les faisaient fondre et demandaient ensuite aux orf├¿vres de leur fabriquer r├⌐cipients et ustensiles de table. Comme il n'y avait pas de banque o├╣ d├⌐poser les ├⌐conomies, c'├⌐tait une fa├ºon de conserver son actif liquide tout en l'utilisant. En outre, les petits ornements en argent ├⌐taient bien utiles pour le commerce des oeuvres remarquables pour les ├⌐glises et les navires. Les ├⌐b├⌐nistes produisaient des meubles de qualit├⌐, mais les familles plus ais├⌐es importaient de France leur ameublement, ainsi que la verrerie de Venise et les couverts en porcelaine.
  44.  
  45. Montr├⌐al: ville-fronti├¿re 
  46.  
  47.      La g├⌐ographie semble avoir pratiqu├⌐ une curieuse division ├⌐conomique dans la colonie. La mar├⌐e, qui s'├⌐levait ├á plus de 17 pieds ├á Qu├⌐bec, ├⌐tait inexistante ├á la hauteur de Trois-Rivi├¿res. En aval de cette petite ville, les habitants participaient en fonction des mar├⌐es ├á des exp├⌐ditions de p├¬che et de chasse au phoque dans le Golfe ou s'engageaient ├á bord des bateaux d'approvisionnement qui faisaient la navette entre Louisbourg, les Antilles et la France. En temps de guerre, les capitaines fran├ºais venaient ├á Qu├⌐bec se constituer un ├⌐quipage, car ils trouvaient les marins canadiens plus belliqueux et habiles au combat que les marins fran├ºais; ils les payaient d'ailleurs plus cher que ces derniers. En amont de Trois-Rivi├¿res, les habitants scrutaient le fleuve en direction de l'ouest. C'├⌐tait les hommes de la r├⌐gion comprise entre Trois-Rivi├¿res et Montr├⌐al qui convoyaient les trappeurs de l'Ouest.
  48.  
  49.      La plupart quittaient leur village au printemps et y revenaient ├á l'automne mais un assez grand nombre rest├¿rent dans les postes lointains ou les villages indiens pendant des ann├⌐es. ├Ç leur retour, ces hommes rapport├¿rent certaines caract├⌐ristiques de l'Ouest qu'ils impos├¿rent ├á toutes les maisons de la r├⌐gion, ce qui donna ├á Montr├⌐al un caract├¿re unique. C'est ├⌐galement l├á qu'├⌐tait post├⌐ le gros des troupes r├⌐guli├¿res de la colonie, et les fermes avoisinantes portent encore les traces des guerres iroquoises. Les ├⌐glises des R├⌐collets, et des J├⌐suites, le s├⌐minaire des Sulpiciens et le couvent des Ursulines rappelaient ├á la population que la ville avait ├⌐t├⌐ fond├⌐e en tant que colonie missionnaire destin├⌐e ├á convertir les Indiens.
  50.  
  51.      Au XVIIIe si├¿cle, les autorit├⌐s de Montr├⌐al se lanc├¿rent dans un vaste projet d'urbanisme. Les rues furent trac├⌐es selon un plan en ├⌐chiquier et, au XVIIIe si├¿cle, la palissade en bois fut remplac├⌐e par un mur de pierre qui entourait compl├¿tement la ville. Afin d'emp├¬cher les incendies de se propager la loi exigeait que les maisons des trois villes soient construites en pierre et que les murs exc├¿dent d'environ deux pieds le bord de la toiture. De m├¬me, les planchers des greniers devaient ├¬tre recouverts de pierres r├⌐fractaires, de sorte que si le toit prenait feu, l'incendie ne pouvait s'├⌐tendre en contre-bas. Les chemin├⌐es devaient ├¬tre ramon├⌐es r├⌐guli├¿rement et on trouvait de l'├⌐quipement de lutte contre le feu ├á tous les coins de rue. Les gens craignaient au plus haut point les incendies comme celui qui d├⌐truisit la moiti├⌐ de Montr├⌐al.
  52.  
  53.      Au d├⌐but du XVIIIe si├¿cle, la plupart des maisons avaient des fen├¬tres en vitre, et non plus en papier; elles ├⌐taient munies de volets protecteurs en fer peint. Les artisans installaient leurs ateliers au rez-de-chauss├⌐e et r├⌐sidaient au-dessus ou ├á proximit├⌐. Tous les b├ótiments s'alignaient le long des trottoirs de bois et ├⌐taient entour├⌐s de jardins de bonnes dimensions, avec vergers et ├⌐curies ├á l'arri├¿re. Les demeures des riches marchands de fourrures ├⌐taient spacieuses et bien meubl├⌐es, tandis que bien des seigneurs poss├⌐daient des maisons en ville. Vingt-cinq pour cent de la population de la colonie ├⌐taient des citadins, contre un peu plus de quinze pour cent en France.
  54.  
  55.      Entre le mur de la ville et le fleuve, s'├⌐tendait le pr├⌐ communal qui servait de p├óturage pour le b├⌐tail et de campement pour les Indiens qui allaient souvent rendre visite au gouverneur. De l'autre c├┤t├⌐ du fleuve et ├á l'extr├⌐mit├⌐ ouest de l'├«le se trouvaient les villages des Indiens de la Mission qui avaient ├⌐t├⌐ convertis au christianisme. L'influence de ces tribus s'est faite sentir dans toute la colonie, et particuli├¿rement ├á Montr├⌐al. En ville comme ├á la campagne, les Canadiennes adopt├¿rent le style des v├¬tements indiens, ce qui ├⌐tonnait les visiteurs europ├⌐ens, en effet les robes descendaient tout juste ├á la hauteur du genou. Il ├⌐tait difficile de distinguer les Canadiens des Indiens lorsqu'ils portaient leur costume d'hiver, si ce n'est que les Canadiens coiffaient leurs cheveux en queue de cheval. Les magistrats fran├ºais et les officiers de l'arm├⌐e se plaignaient que les Canadiens avaient ├⌐t├⌐ corrompus par les Indiens, qu'ils ├⌐taient devenus orgueilleux, ind├⌐pendants, d├⌐bauch├⌐s, ent├¬t├⌐s et paresseux; mais aussi, ├á l'instar des Indiens, robustes, bons tireurs, sto├»ques, capables d'entreprendre des voyages incroyables et, par cons├⌐quent, des combattants hors pair.
  56.  
  57.      Tous ces facteurs ont contribu├⌐ ├á diff├⌐rencier la soci├⌐t├⌐ canadienne de la soci├⌐t├⌐ fran├ºaise. La colonie ne comptait gu├¿re de gens tr├¿s riches et on ne trouvait pas de ┬½ch├óteaux de la Loire┬╗ sur les rives du Saint-Laurent. Les Canadiens de l'├⌐poque ont ├⌐t├⌐ model├⌐s par le jeu de plusieurs ├⌐l├⌐ments: l'aisance relative du peuple, qui r├⌐sultait de la gratuit├⌐ de la terre et de l'absence d'imp├┤t, la tradition militaire ├á l'honneur en temps de guerre, les ambitions militaires de la classe seigneuriale ainsi que les longs voyages dans le centre-ouest avec les convois de fourrures ou vers l'Atlantique ├á bord des barques de p├¬che et de commerce, l'influence des nations indiennes, l'isolement de la colonie et la rigueur du climat.  
  58.  
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