La prospérité se manifeste, en outre, dans de nouvelles institutions, à la fois financières et culturelles. C'est ici, en fait, que commence à s'établir le pouvoir financier réel de London. En 1864, les profits que les marchands ont tirés de la guerre civile servent à la constitution de la Huron and Erie Savings and Loan Society, aujourd'hui connue sous le nom de Canada Trust. La City Gas Company (aujourd'hui, la Union Gas) fait son apparition la même année, et trois ans plus tard, la Banque de commerce, nouvellement constituée, ouvre l'une de ses premières succursales dans la ville. L'évêque anglican, Isaac Hellmuth, ajoute au caractère culturel en fondant le Hellmuth College pour garçons en 1864, puis le Huron College en 1868. Dix ans plus tard, il fonde ce qui est devenu aujourd'hui l'University of Western Ontario, prouvant de nouveau la centralité de la ville par rapport à son arrière-pays.
Bien que la garnison britannique quitte London en 1869, et cette fois pour de bon, la prospérité continue de fleurir. La population atteint 15,826 personnes en 1871 et la ville est maintenant entourée par des banlieues en pleine croissance sur tous les côtés, à l'exception du nord; celles qui sont situées à l'est et à l'ouest sont incorporées sous le nom de Petersville (plus tard London West) et London East en 1874. Des services plus élargis deviennent nécessaires. En 1870, on transfère de Amherstburg l'institution pour malades mentaux; ce déplacement fut offert en cadeau par John Carling, député de London, en échange de faveurs politiques. L'année 1873 marque l'établissement de la première brigade de pompiers permanente, dont les employés sont rémunérés, et en outre, les débuts des tramways de London. L'année suivante, le parc Victoria, situé au centre de la ville, est inauguré sur l'emplacement des installations de la vieille garnison. Tous ces développements suivent en parallèle ce qui se passe dans tellement d'autres villes à la même époque.
La prospérité possède aussi ses aspects financiers. En 1870, la Ontario Loan and Debenture Compagny est établie et la Molson's Bank ouvre une succursale dans la ville. Quatre années plus tard, la London Life Insurance Company est incorporée, et l'année suivante, les marchands établissent cette institution des plus importantes pour une collectivité d'affaires heureuses, le London Club, un club privé pour hommes d'affaires locaux.
La décade qui suit 1874, bien qu'en majorité une période de régression, voit la poursuite de cette expansion. Les hôpitaux Victoria et St. Joseph sont solidement établis, les communications s'améliorent grâce à de nouveaux ponts en acier qui enjambent la rivière Thames, à commencer par les ponts Blackfriars et Victoria en 1875, et un approvisionnement municipal en eau potable est assuré par le barrage de Springbank en 1879. Le nombre des raffineries s'accroit pour dépasser la vingtaine en 1877; plusieurs d'entre elles sont combinées pour constituer la Imperial Oil Company en 1880. En outre, en 1877, les importants magasins à rayons de Smallman & Ingram (aujourd'hui la chaîne Simpson) sont mis sur pied; ce qui symbolise le mouvement général en faveur des magasins à rayons qui se répand à travers l'Amérique du Nord.
Les tragédies côtoient la prospérité. En 1881, des inspections inadéquates et le désir de réaliser des profits conduisent à l'engloutissement du bateau à vapeur Victoria, le jour de la fête Victoria, qui résulta en la perte de 200 vies. En mars 1883, la rivière Thames connaît l'une de ses innondations périodiques d'importance, faisant plus de 20 morts. Les lacunes des systèmes de vérification de l'époque ont, en outre, des répercussions à London, car en 1882, John Brown, le premier trésorier de la ville, en poste depuis 1855, se suicide soudainement, après avoir détourné $79,937.35 de la trésorerie.
Les trente années qui suivent l'arrivée du chemin de fer constituent une période de consolidation et de testage dans la croissance de London. En étendant ses communications vers le nord, la ville consolide sa position sur la partie nord du sud-ouest ontarien. De plus, les services communautaires furent élargis, les institutions financières, religieuses et régionales et les maisons d'enseignement furent agrandies et enfin une banlieue industrielle fut aménagée. London, après avoir passé à travers l'ère des booms et des dépressions, émergea avec une base culturelle et économique solidement établie, ce qui assura une expansion soutenue.
Du Jubilé d'or à la Première Guerre mondiale
Les trente années qui précèdent la Première Guerre mondiale représentent globalement des années de prospérité, de consolidation, d'expansion des services et de béatitude. La population passe de 7,746 personnes en 1881 à 46,300 en 1911. Les administrations municipales se modifient en raison des pressions de plus en plus fortes. London East est annexé en 1885, celles de la section du Township de Westminster situé au sud de la ville, aujourd'hui le vieux South London, en 1890, et de London West suivi en 1897. L'ordre des annexions est typique des problèmes urbains de l'époque que l'on retrouve dans toutes les villes: le désir de posséder une évaluation plus importante et la réticence à consacrer des crédits aux services nécessaires pour les nouvelles régions. Toronto, par exemple, faisait face à un problème identique à la même époque. L'annexion de London East représente une bonne évaluation industrielle et un nombre accru de services urbains pour les usines que dirigeaient de nombreux résidents riches de la ville. «London South» est une collectivité résidentielle prospère, mais London West constitue un problème. Établie sur un terrain bas et donc à la merci des innondations, généralement habité par des ouvriers et ne possédant aucune industrie permettant de réaliser des gains au chapitre des taxes, son annexion -- chose qui n'est pas surprenante -- est retardée le plus longtemps possible.
La création de nouveaux services suit ensuite. Les lampadaires à l'électricité font leur première apparition en 1883, cinq années plus tard, le parc Victoria est éclairé, et en 1895, les tramways sont électrifiés. Les vieilles institutions devenues trop petites sont reconstruites ou agrandies: la bibliothèque municipale, l'hôpital St. Joseph, l'hôpital Victoria et le YMCA. Le foyer McCormick pour personnes âgées ouvre ses portes en 1892. La ville elle-même doit s'engager dans de nouveaux domaines avec la mise en place d'un système d'égouts adéquat en 1890 et l'amélioration des méthodes de pavage des rues avec de l'asphalte et des blocs de bois, cinq années plus tard.
La finance et l'industrie vont de l'avant, avec la richesse de l'arrière-pays parfaitement organisé, pour appuyer les autorités de la ville. La Northern Life Assurance Company est fondée en 1894. Un des éléments qui confirment le plus l'économie en pleine expansion de la ville est l'éruption des succursales bancaires ouvertes au cours des dix premières années du vingtième siècle: deux de la Bank of British North America, de la Banque de Toronto et de la Dominion Bank, et une chacune pour la Home Bank, la Imperial Bank, la Banque Royale et la Banque de la Nouvelle-Écosse. L'industrie prospère, mais il y a une autre façade à cette expansion, soit l'accroissement des secteurs où règne la pauvreté et la naissance d'un malaise chez les ouvriers qui débouche sur les grèves des tramways de London de 1898 et de 1899-1900, la dernière se poursuivant pendant plus d'un an.
Les communications se modifient aussi, London possède son propre club automobile dix ans avant la guerre, et une succursale de la Ontario Motor League s'installe à partir de 1911. Au cours de la même année on assiste à la production de la première automobile construite à London, le «Harding Twenty» de la Harding Motor Car Company. Le premier aéroplane fait son apparition au-dessus de la ville en 1912. Au-delà des limites de la ville, on tente des expériences avec les derniers moyens de transport vers l'arrière-pays avec l'électrification du chemin de fer de London et de Port Stanley et la construction d'une ligne radiale rejoignant le même village.
De nouvelles personnalités arrivent sur la scène de la politique municipale, bien que des hommes d'état importants comme le sénateur Sir John Carling soient encore en vie. Les deux personnages les plus importants sont probablement Sir Adam Beck et Charles S. Hyman (1854-1926). Ce dernier est le fils d'un des premiers teneurs de London, Ellis W. Hyman. L'une des figures politiques les plus colorées de London, «Champagne Charlie» Hyman, comme ses circonvenants aiment l'appeler, est non seulement maire de London en 1884 et député libéral du Parlement de 1900 à 1907, mais il est, en outre, nommé ministre des Travaux publics, pendant une courte période.Il contribue à la fondation du London Hunt Club et joue un rôle important dans l'introduction du bridge et du tennis au Canada. Beck (1857-1925), manufacturier et Conservateur, est maire de London de 1902 à 1904 et député au provincial de 1902 à 1919 et de 1923 à 1925, où il s'affirme comme ennemi de la tempérance. Il est le père de l'Ontario Hydro et son premier président, de 1906 jusqu'à sa mort.
Avec une population excédant 50,000 personnes et une évaluation de l'ordre de $38,071,220, London représente un modèle typique à la veille de la Première Guerre mondiale, tout en souffrant de tous les problèmes habituels qui accompagnent l'expansion urbaine et les demandes accrues en matière de services publics, jumelés à un accroissement des coûts et une récession générale. Les années qui précèdent la guerre sont témoins de changements constants qui reflètent ces conditions. En 1911, le vieil hôtel de ville est vendu, parce qu'il est trop petit et on décide alors d'emménager dans de nouveaux quartiers, supposément temporaires. De nouvelles institutions sont fondées, notamment le Isolation Hospital, le Byron Sanitorium et l'Institut de santé publique. Une école secondaire technique est construite, on commence à ramasser les ordures, on approuve les tramways le dimanche et la Commission des services publics est établie pour s'occuper des questions relatives à l'électricité et à l'eau potable. Toutes ces améliorations amènent de nouvelles dépenses, et à mesure que la guerre approche, la ville commence à faire face un déficit. Pourtant, la paix et la prospérité de l'époque, et l'échec complet à prévoir la conflagration d'ensemble sont bien symbolisés par le fait que lorsque London achète son premier camion à incendie à propulsion autonome en 1912, elle lui donne le nom de Kaiser Bill
La métropole régionale développée
Alors qu'une nouvelle époque approche, avec l'imminence de la Première Guerre mondiale, London n'a pas à s'inquiéter en ce qui concerne son rôle comme la ville la plus importante de sa propre péninsule. Il est vrai que Toronto soit -- chose certaine -- la métropole du Sud de l'Ontario, et qu'elle a déjà engagé sa longue bataille pour devenir l'égale de Montréal et lui arracher son hégémonie. Contrairement à Hamilton, London est assez éloignée de l'arrière-pays immédiat de Toronto et peut réaliser une identité et des intérêts économiques qui lui sont propres. Les institutions de London tentent à demeurer sur place, au lieu de déménager dans un centre plus important, son arrière-pays se tourne vers elle en matière d'économies et de programmes sociaux, même si Toronto joue un rôle administratif.
En outre, London développe une certaine ambivalence d'attitudes commune à d'autres centres canadiens. La ville accueille avec joie les Jubilés d'or et de diamant de la Reine Victoria en 1887 et en1897, et c'est avec loyauté qu'elle envoie des troupes pour défaire Riel en 1885 et les Boers de l'Afrique du Sud en 1899; de même, elle enverra en toute hâte des troupes à la défense de sa terre natale en 1914. Toutefois, en même temps qu'elle se glorifie dans des entreprises impériales, London développe un certain nationalisme. Le Canadian Club of London est fondé en 1906 et la collectivité commerciale établit des relations amicales avec les États-Unis. London montre en outre des signes de nostalgie. En 1901, la London and Middlesex Historical Society est fondée, et à partir de 1897, la London Old Boys' Association tient des réunions périodiques qui demeurent immensément populaires jusque dans les années 1920.
Ainsi, au moment où une époque prend fin, une ville, qui n'était que forêt vierge moins d'un siècle auparavant, a atteint sa maturité, établit ses propres institutions et services et possède désormais sa propre personnalité. Elle s'est acquise un riche arrière-pays qu'elle contrôle sans rivaux locaux potentiels. Ce fut cependant sous la domination de métropoles plus importantes mais plus éloignées, soit Toronto et Montréal au pays, New York, et par-dessus tout, Londres, à l'étranger. Son histoire est loin d'être unique, mais est plutôt typique de ce qui était survenu et de ce qui survenait à mesure que le continent évoluait. On pourrait presque se servir de la ville de London comme cas-type pour une étude sur l'évolution des centres métropolitains régionaux du genre, et en 1914, elle devenait déjà depuis longtemps la place qu'elle occupe encore de nos jours.
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